Fondements politiques et institutionnels de l’aménagement linguistique au Canada

Le fédéralisme

Le fédéralisme sert à partager l’autorité entre différentes entités et à créer des ordres de gouvernement [1]. Tout État fédéral doit souscrire au principe de non-subordination des ordres de gouvernement dans leurs champs de compétences en vertu de la division des pouvoirs inscrite dans la Constitution du pays.

Un pays qui épouse le fédéralisme doit aussi s’assurer de la représentation des unités constituantes au sein des institutions fédérales afin qu’elles puissent participer aux décisions concernant l’ensemble de la fédération. La mise en place d’un tribunal indépendant est également requise afin de faire respecter l’esprit du fédéralisme.

[1] Cette section emprunte cette définition à Linda Cardinal, « Fédéralisme et langue. L’incidence du fédéralisme d’ouverture sur les régimes linguistiques canadien et québécois », dans Michel Seymour et Guy Laforest (dir.), Le fédéralisme multinational. Un modèle viable?, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2011, p. 249-250.

Le fédéralisme et la langue

Tout État fédéral fonctionne dans une ou plusieurs langues. Toutefois, une distinction s’impose entre État multilingue, État multinational et État multiculturel. Il est tout à fait possible pour un État fédéral de reconnaître plus d’une langue sans que celui-ci soit considéré comme un État multinational. À titre d’exemple, l’Inde est un État multilingue. Les Suisses forment un peuple multilingue même s’ils ont des langues nationales. Pensons aussi à l'Espagne pour une autre approche. Malgré sa diversité linguistique, le pays n’a pas choisi d’en faire un principe rassembleur. Pour sa part, l’Écosse, où, historiquement, l’on parle aussi le gaélique, ne fait pas grand cas des enjeux linguistiques dans sa revendication pour plus d’autonomie. Enfin, un État multiculturel n’est pas nécessairement un État multilingue. Le fédéralisme peut prôner la diversité culturelle, mais la prise en compte de la diversité linguistique ne fait pas partie de l’approche multiculturelle. En effet, aux États-Unis, le multiculturalisme se conjugue avec la langue anglaise alors qu’au Canada, il s’inscrit dans un cadre bilingue [1].

Le fédéralisme permet d’aménager un espace favorable à l’autogouvernement des nations internes et des peuples sur des territoires définis même si un tel arrangement peut provoquer des tensions importantes entre les unités constituantes et l’autorité fédérale. Cela est aussi le cas des minorités ou communautés linguistiques qui n’ont pas de territoire suffisamment grand pour former un ordre de gouvernement comme cela est le cas pour les communautés francophones en situation minoritaire au Canada. Les minorités linguistiques qui se retrouvent au sein des unités constituantes ne bénéficient pas toutes de mesures favorables à leur épanouissement et développement.

En résumé, le fédéralisme peut constituer une solution intéressante pour les nations et les peuples au sein d’un pays donné, mais cela n’est pas suffisant pour faire du multilinguisme un idéal collectif.

[1] William Safran, 2010. ‘’Political Science and Politics’’. Dans Language & Ethnic Identity Volume 1, Disciplinary & Regional Perspectives, Joshua A. Fishman and Ofelia García (dir..), p. 49-69. Oxford: Oxford University Press;

Linda Cardinal et Selma Sonntag, « Traditions étatiques et régimes linguistiques : Comment et pourquoi s’opèrent les choix de politiques linguistiques? », Revue internationale de politique comparée, vol. 22, no 1, 2016, p. 115-133.

Le fédéralisme canadien

Le fédéralisme est une tradition étatique importante au Canada. Elle est le reflet du compromis historique entre les francophones et les anglophones au pays en vue de permettre au Québec et aux autres unités constituantes de renforcer leur présence sur un territoire donné. Ainsi, le Québec, en raison du fédéralisme, peut s’autogouverner dans ses champs de compétences tout en participant à un ensemble plus grand.

Le Canada comprend 10 provinces et trois territoires. Il y a le Parlement fédéral constitué de la Chambre des communes et du Sénat. Chaque unité constituante ou province ainsi que les territoires ont leur législature. Les provinces ont des assemblées législatives. Au Québec, l’Assemblée nationale porte ce nom depuis 1968. Les territoires sont des entités fédérales qui n’ont pas tout à fait le même statut que les provinces. D’une part, ils ont été créés par le gouvernement fédéral. D’autre part, le pouvoir des territoires est délégué par le gouvernement fédéral, contrairement aux provinces qui ont des pouvoirs constitutionnels de plein droit.

Le plus récent territoire, le Nunavut, a été créé en 1999 afin de regrouper la population inuit du pays vivant dans les Territoires du Nord-Ouest et pour leur donner un plus grand contrôle de leurs terres, ainsi qu’une force d’autonomie gouvernementale.

Pour plus d'information, veuillez consulter la section ''Un État fédéral'' de ce site.

 

Le partage des compétences et la langue

Liste partielle des compétences du fédéral

Liste partielle des compétences des provinces

Liste des compétences partagées

La dette et la propriété publiques

Les taxes dans les limites de la province

L’immigration

La réglementation du trafic et du commerce

Les terres publiques, et les bois et forêts qui s’y trouvent

L’agriculture

L’assurance-chômage

Les prisons et maisons de réformes

 

Les taxes

Les hôpitaux, asiles, institutions et hospices de charité

 

Le service postal

Les institutions municipales

 

Le recensement et les statistiques

L’administration de la justice dans la province

 

Le service militaire et la défense nationale

L’éducation

 

Les pêcheries

 

 

Les passages d’eau entre provinces ou pays

 

 

La monnaie

 

 

Les banques

 

 

Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens

 

 

La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle

 

 

Les pénitenciers

 

 

 

Au Canada, le principe de la division des pouvoirs a donné lieu à un partage de compétences entre les deux ordres de gouvernements. Le gouvernement fédéral et les gouvernements dans les provinces et les territoires ont des compétences exclusives selon les domaines de politiques publiques incluant la langue. Les articles 91 à 95 de la Constitution canadienne établissent le partage des compétences.

Le partage des compétences est fondé sur une certaine compréhension du principe de subsidiarité. En 1867, les constituants confèrent au gouvernement fédéral le pouvoir d’intervention dans des domaines d’intérêts général et national alors que les gouvernements provinciaux reçoivent la responsabilité des questions régionales ou locales. Ainsi, en raison du fédéralisme, chaque ordre de gouvernement pourra adopter les politiques linguistiques qui conviennent le mieux à leur réalité.

Par ailleurs, le Canada est une monarchie constitutionnelle. En raison de cette réalité, le gouvernement fédéral bénéficie d’un pouvoir illimité de dépenser dans les champs de compétences des provinces. Ce pouvoir fédéral de dépenser fait référence au pouvoir du gouvernement fédéral de contribuer monétairement à des programmes de compétence provinciale, sur lesquelles il n’a pas normalement le pouvoir de légiférer. Or, en utilisant ce pouvoir, le gouvernement fédéral a provoqué plusieurs conflits et débats sur la compétence fédérale dans l’histoire du pays. En particulier, le Québec s’est toujours opposé au pouvoir de dépenser du fédéral, puisqu’il est perçu comme une façon de s’ingérer dans les affaires des provinces.

Le gouvernement fédéral détient aussi la prérogative en ce qui a trait aux « pouvoirs résiduels », c’est-à-dire les pouvoirs dans des domaines non prévus par la Constitution. Dans d’autres pays, comme aux États-Unis, le pouvoir résiduel appartient aux états fédérés. Pour leur part, les provinces canadiennes peuvent détenir des pouvoirs résiduaires dans leurs champs de compétences.

Le partage des pouvoirs a aussi donné lieu à des domaines de compétences partagées comme l’agriculture, l’immigration ou la langue. Cela signifie que les deux ordres de gouvernement peuvent intervenir dans le même domaine tout en évitant d’entrer en conflit. Or, lors de conflits entre deux lois, le principe de prépondérance fédérale l’emportera sur la loi provinciale ou territoriale.

De façon plus précise, la langue est considérée comme un domaine de compétence ancillaire au Canada. Un domaine de compétence ancillaire est un domaine dit accessoire qui se rattache aux champs de compétences énumérés dans la Constitution. En d’autres mots, dans tous les domaines de juridiction, le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux peuvent légiférer sur la langue. À titre d’exemple, en plus des politiques linguistiques qu’elles peuvent adopter, toutes les provinces peuvent légiférer sur la langue dans leurs champs de compétence, que ce soit pour préciser l’utilisation des langues dans le domaine de l’affichage, de la santé ou les relations de travail.

Le fédéralisme canadien et la représentation politique

En plus de comprendre deux ordres de gouvernement, les unités constituantes doivent être représentées dans les institutions fédérales. Historiquement, le Sénat est l’instance qui doit servir à représenter les régions ou les provinces. Ainsi, lors de sa création, en raison de leur taille et de leur composition linguistique, le Québec et l’Ontario, ont été considérées comme des régions à part entière, chacune étant représentée par 24 sénateurs. Pour leur part, les provinces de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard constituent une troisième région, celle des Maritimes, également représentée par 24 sièges. Enfin, les quatre provinces de l’Ouest forment une quatrième région, elle aussi représentée par 24 sénateurs, c’est-à-dire six par province. La province de Terre-Neuve et les territoires nordiques sont représentés indépendamment du système de régions, soit six sénateurs pour Terre-Neuve et un sénateur pour chacun des trois territoires (Nunavut, Territoires du Nord-Ouest et Yukon) [1].

Le Sénat permet aussi aux minorités de langue officielle, en particulier les minorités francophones hors Québec, d’être représentées au sein des institutions politiques fédérales étant donné leur faible nombre à la Chambre des communes. À titre de renseignement, en 2015, lors de l’élection du nouveau gouvernement sous la direction de l’Honorable Justin Trudeau, 23 députés francophones hors Québec, soit 6,0 % du nombre total des députés, ont fait leur entrée à la Chambre des communes. Quant au Sénat, en 2015, il y a six sénateurs représentants les CFC, soit 6,6 % du total des sénateurs.

En ce qui a trait à la représentation des Premières nations au Sénat, en 2016 le premier ministre Trudeau nommait Murray Sinclair, l’ancien président de la Commission vérité et réconciliation. Entre 1867 et 2016, 15 membres des Premières nations ou d’une communauté métisse ont été nommés au Sénat. À la Chambre des communes, il y a cinq députés Inuit, Métis ou appartenant à une nation autochtone.

En plus de représenter les minorités de langue officielle ainsi que les peuples métis et les Premières nations, la Chambre des communes comme le Sénat ont chacun un comité sur les langues officielles soit le Comité permanent des langues officielles et le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Dans ces comités, la question des langues officielles peut faire l’objet d’une réflexion plus soutenue, d’études et de projets de loi.

Pour conclure cette section, soulignons que le fédéralisme est caractérisé par des tensions inhérentes à son fonctionnement. Il a un effet centrifuge ou centralisateur, souvent favorable au gouvernement fédéral, en raison du principe de prépondérance fédérale. Le fédéralisme canadien a aussi une dimension centripète, car il sert à diffuser le pouvoir en conformité avec les frontières existantes entre les ordres de gouvernement. Le fédéralisme laisse ainsi aux provinces la capacité de s’autogouverner incluant dans le domaine de la langue. Les provinces doivent aussi pouvoir être représentées au sein des institutions fédérales comme le Sénat.

Enfin, le fédéralisme guide l’intervention étatique dans le domaine de la langue en raison du partage des compétences. D’une part, la langue est une compétence partagée au Canada et une compétence de nature ancillaire ou accessoire. D’autre part, les différents ordres de gouvernement au pays peuvent légiférer dans une ou plusieurs langues. Ils peuvent aussi légiférer sur les langues dans leur domaine de compétence en plus d’adopter des politiques linguistiques distinctes d’un ordre à un autre, d’une province à l’autre. Ces dimensions donnent une couleur particulière au régime linguistique canadien comme nous le verrons dans la prochaine section.

[1] Ces données sont tirées de Linda Cardinal et Sébastien Grammond, Une tradition et un droit : La représentation politique des minorités francophones au Sénat, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2017.

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