Perspective internationale

Cameroun

Le bilinguisme déséquilibré anglais-français

Carte Cameroun
Cameroun afrique
Cameroun carte fr





























 

La république du Cameroun (en angl.: Republic of Cameroon) est située au sud-est du Nigeria et est bordée à l'est par le Tchad et la République centrafricaine, au sud par la république du Congo (capitale : Brazzaville), le Gabon et la Guinée équatoriale, à l'ouest par le golfe de Guinée.

Le Cameroun n'est pas une fédération comme le Canada. C'est un pays unitaire divisé en 10 régions administratives (art. 61 de la Constitution) disposant de très faibles pouvoirs : la région d’Extrême-Nord, la région du Nord, la région de l’Adamaoua, la région du Nord-Ouest, la région du Sud-Ouest, la région de l'Ouest, la région du Littoral (Douala), la région du Centre (Yaoundé), la région de l’Est et la région du Sud. Ce pays possède deux langues officielles et, comme au Canada, ce sont le français et l’anglais, sauf qu’on compte huit régions «françaises» et deux régions «anglaises» au Cameroun, contre au Canada huit provinces anglophones, une province francophone (Québec) et une province bilingue (Nouveau-Brunswick). Les deux régions anglophones du Cameroun sont la région du Nord-Ouest et la région du Sud-Ouest. Ces dix «régions» étaient appelées «provinces» avant le décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008. Dans la documentation moins à jour, on peut encore lire l'appellation «province» au lieu de «région».

Lorsqu'on consulte une carte géographique de l'Afrique, on constate que le Cameroun est un pays situé sur la ligne de front entre les zones d’influence anglophone (Nigeria) et francophone (Tchad, Centrafrique, Gabon, Congo). Seule la Guinée équatoriale fait figure d'exception en ayant l'espagnol comme langue officielle, bien que depuis 1998 le français soit devenu la «deuxième langue officielle», le terme de deuxième se voulant le reflet des rapports de force entre l'espagnol prépondérant et le français quasi symbolique; le portugais est même devenu la «troisième langue officielle» en 2011.

Le pluralisme linguistique du Cameroun

En 2018, la population du Cameroun était de 24,5 millions d'habitants répartis en plus de 260 langues, dont au moins 200 sont des langues africaines. Comme dans la plupart des pays non arabophones en Afrique, il faut distinguer la ou les langues officielles par rapport aux langues parlées par les populations locales. Si l'on fait exception des pays arabophones (Algérie, Maroc, Libye, Tunisie, etc.), les langues officielles en Afrique sont généralement des anciennes langues coloniales comme le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol, auxquelles on a, dans certains États, juxtaposé une langue africaine telle que le swahili, le sésotho, le swati, le kirundi ou le kinyarwanda. C'est une énorme différence au Canada où les deux langues officielles sont aussi des langues maternelles pour la grande majorité de la population. Les seules langues maternelles camerounaises parlées par plus d'un million de locuteurs sont le peul (fulfuldé), l'éwondo et le boulou (ou bulu prononcé "boulou"). Cela signifie qu'un grand nombre de langues sont parlées par un petit nombre de locuteurs. Au Cameroun, les deux langues officielles, le français et l'anglais, sont des langues européennes qui se sont juxtaposées aux langues nationales lors de la colonisation. Au Cameroun, on dit que ce sont des «langues importées».  

Selon la Société internationale de linguistique (SIL International), soit le Summer Institute of Linguistics, le Cameroun compterait 268 langues maternelles. Il est difficile dans un pays aussi multilingue que le Cameroun de pratiquer une égalité réelle avec autant de langues. C’est pourquoi, il s’est formé, avec les décennies, un certain nombre de langues véhiculaires afin de permettre aux nombreuses ethnies de communiquer entre elles. Parmi ces langues, citons le peul (ou fulfuldé) qui est en usage dans tout le Nord, le béti et le bassa dans le Centre et le Sud, le boulou et le pidgin english dans l'Ouest et sur le littoral. On utilise aussi l'éwondo dans la banlieue de Yaoundé et le douala sur la côte de l’Atlantique. Chacune de ces langues véhiculaires dépasse aujourd'hui les trois millions de locuteurs, langues maternelles et langues secondes réunies.

Le pidgin english

Le pidgin english est aussi appelé «pidgin camerounais» ou, en anglais, "Cameroon-talk" ou "Cameroonian Pidgin English" ou encore CPE. Il demeure la langue la plus employée dans la zone anglophone, car elle sert de véhicule pour communiquer non seulement dans les deux régions anglophones, mais aussi dans les régions francophones contiguës aux régions anglophones (région de l'Ouest et région du Littoral), ainsi que dans la région du Centre et la région du Sud. Ce pidgin english est une sorte de créole à base d'anglais comparable aux créoles utilisés aux Antilles, sauf qu’il est surtout pratiqué au Cameroun dans les zones à forte diversité linguistique ainsi qu'à Douala où le cosmopolitisme de la ville a imposé cette langue véhiculaire dans les transactions commerciales. On estime que 50 % de la population est capable de s'exprimer dans cette langue, bien que ce soit une langue maternelle pour seulement 5 % des Camerounais.

Le pidgin english parlé par les francophones et les anglophones peut différer selon les régions ou les villes. Le pidgin english employé par les anglophones peut être perçu comme une sorte de variété linguistique par comparaison avec l’anglais; mais c'est une variété dite «basse» ("low"), tout en demeurant dans une sorte de continuité linguistique. Par contre, le pidgin english parlé par les francophones est dans un contexte de discontinuité linguistique avec le français. En général, les Camerounais perçoivent rapidement un énoncé en pidgin english produit par un francophone ou un anglophone.

On peut mentionner également une variété de pidgin appelée camfranglais. C'est une sorte de franglais camerounais à base de français, d'anglais, de pidgin english et d'autres langues africaines. Lefranfulfudé (prononcé comme fran-foul-fouldé) est une autre langue composite; il est issu d'un mélange de fulfuldé et de français. Il sert de moyen de communication aux étudiants des couches sociales plus ou moins scolarisées du Cameroun. Dans les faits, trois langues importantes se trouvent en compétition: le français, l'anglais et le pidgin english. Dans certaines régions plus au nord et à l'est, d'autres langues camerounaises peuvent s'y ajouter.

Les francophones et les anglophones

Quand on parle de francophones et d’anglophones au Cameroun, il s’agit d’individus dont la langue maternelle n’est en principe ni le français ni l’anglais, et qui résident soit dans l'une des deux régions anglophones, soit dans l'une des huit régions francophones. Autrement dit, on est nécessairement anglophones dans les régions anglaises et francophones dans les régions françaises, bien qu'on trouve des francophones minoritaires dans la zone anglaise et des anglophones minoritaires dans la zone française. Les droits linguistiques sont accordés en fonction de la région de résidence, même si en principe les droits linguistiques reposent sur une base personnelle. Les droits linguistiques sont territoriaux dans les régions, mais personnels auprès du gouvernement central de Yaoundé. 

Compte tenu des populations réparties dans les dix régions, on compterait approximativement 83 % de «francophones» et 17 % d’«anglophones», tout ce monde recevant les services et leur instruction dans la langue officielle de leur région de résidence. Rappelons que, contrairement au Canada où les deux langues officielles sont des langues maternelles, le français et l’anglais au Cameroun, sauf exceptions, sont des langues secondes. Les linguistes constatent cependant qu'un bon nombre de jeunes urbains de moins de 20 ans (peut-être 40% d'entre eux) ont adopté le français ou l'anglais comme langue maternelle, délaissant ainsi les langues africaines qu'ils ne connaissent que de façon passive; ils comprennent la langue de leurs grands-parents, mais ne la parlent plus. Selon les statistiques de 2005, quelque 46 % des Camerounais ne connaissent que le français dans les langues officielles, contre 13,6 % pour l'anglais chez les anglophones, ce qui signifie que ces derniers sont davantage bilingues. De plus, 28,8 % des Camerounais ne maîtrisent aucune des deux langues officielles, donc ils ne peuvent s'exprimer que dans une langue africaine.  

Les citoyens vivant dans les villes maîtrisent mieux l'anglais que les ruraux, dans une proportion de 29% pour les urbains et de 18% pour les ruraux; il en est ainsi des hommes (27% maîtrisant l'anglais) par rapport aux femmes (21%), et des jeunes par rapport aux plus âgés. Chez les francophones, les proportions sont de 75% pour les urbains maîtrisant le français contre 36% pour les ruraux, mais 62% pour les hommes et 53% pour les femmes. Évidemment, les jeunes générations ont une plus grande maîtrise du français, parfois de l'anglais, que les personnes plus âgées. Enfin, les citoyens habitant les régions situées plus près de la côte atlantique (Ouest, Centre, Littoral et Sud) ont une plus grande maîtrise du français que ceux résidant dans les régions plus au nord.

Par ailleurs, le français standard et l'anglais standard peuvent être régionalisés au Cameroun à un point tel qu'on peut les désigner comme du «français camerounais» ("Cameroonian French") ou de l'«anglais camerounais» ("Cameroonian English"). Le français parlé au Cameroun peut comporter un certain nombre d'innovations phonétiques, lexicales ou morpho-syntaxiques. Au Cameroun, le français emprunte massivement aux langues nationales et au pidgin english, sans compter les extensions de sens, ce qui démontre une volonté réelle de la part des locuteurs camerounais de manifester leur identité culturelle. Quant à l'anglais camerounais, il emprunte certes aux langues africaines, mais davantage au français avec des extensions sémantiques; il en résulte donc un anglais régional relativement différent de l'anglais standard. En somme, le français et l'anglais du Cameroun s’enrichissent de termes locaux qui contribuent, d'une part, à l’intercompréhension entre Camerounais, d'autre part, à une distanciation avec les mots du français standard ou de l'anglais standard. Finalement, nous pouvons dire qu'il n’existe pas une seule façon de parler français ou anglais au Cameroun, mais plusieurs. Ce comportement langagier traduit au Cameroun une appropriation linguistique afin de présenter des réalités et des émotions particulières. C'est un phénomène qu'on retrouve dans de nombreux pays, et le Canada ne fait pas exception.

Dans un pays linguistiquement aussi complexe que le Cameroun, les deux langues officielles ne font pas nécessairement bon ménage dans la vie quotidienne. Que ce soit dans les services publics ou les commerces, les gens utilisent le français OU l’anglais, rarement les deux, ainsi qu’une langue africaine et/ou le pidgin english. Bref, les Camerounais considèrent que l'essentiel pour eux est de se comprendre entre ethnies. Or, ils peuvent le faire aisément avec le pidgin english. Ainsi, le dynamisme de cette langue véhiculaire en fait une langue majeure sur la scène linguistique camerounaise. Par conséquent, les efforts pour parler l’autre langue officielle demeurent timides parce que ce n’est pas vu comme nécessaire… sauf pour les anglophones en zone francophone.

Bref historique du Cameroun

Les côtes camerounaises furent explorées en 1471 par le navigateur et explorateur portugais Fernando Póo. C'est lui qui baptisa le Rio dos Camarões («rivière des Crevettes») qui, par déformation, donna naissance au mot Cameroun (fr.), Cameroon (angl.) et Kamerun (all.). Les Européens commencèrent à faire du commence avec les populations locales; ce furent d'abord les Hollandais qui furent suivis des Britanniques et des Allemands.

Carte Cameroun

Le Kamerun allemand

Les Allemands occupèrent la quasi-totalité de leur Kamerun de 1884 à 1916. Les missionnaires germanophones de la Societas Apostolus Catholici ("Société de l'Apostolat catholique") s'installèrent dans la colonie allemande en 1890 et offrirent un enseignement en allemand à ceux qui le désiraient, tout en continuant à ouvrir des écoles de village en douala, en bakweri, en éwondo, en nguma, etc. La langue allemande exerça un certain attrait auprès de la société camerounaise urbaine qui désirait pouvoir communiquer avec la puissance coloniale.

En 1891, le gouverneur allemand Eugen von Zimmerer voulut imposer une politique de germanisation du Kamerun afin de fournir à l'administration des cadres locaux parlant l'allemand. Malgré les pressions exercées par les autorités coloniales allemandes, les missionnaires continuèrent d'employer les langues locales dans l'évangélisation chrétienne. Toutefois, la Première Guerre mondiale allait placer le Kamerun allemand au centre de deux autres grandes puissances dans la région : la France et le Royaume-Uni. 

Le Cameroon britannique

Les troupes allemandes abandonnèrent le Kamerun en 1916 aux mains de la France et de la Grande-Bretagne, ses deux plus grandes rivales. Le traité de Versailles (1919) entérina le partage franco-britannique de l’ancien Kamerun. Dans les faits, le Cameroun français (les quatre cinquièmes du territoire) fut administré comme une colonie française et le Cameroun britannique (ou occidental), le cinquième du territoire, fut intégré au Nigeria en tant que colonie anglaise. Chacun des colonisateurs allait marquer «son» Cameroun de son empreinte linguistique en imposant soit l'anglais soit le français. 

Toutefois, l’administration coloniale britannique, qui voulut minimiser ses coûts d'investissement dans ses colonies, se contenta d'assujettir son «morceau de Cameroun» à la colonie voisine du Nigeria, ce qui revenait en faire une «colonie dans une colonie» avec le résultat que le Cameroon britannique fut ralenti dans son développement tant social qu'économique. Évidemment, les Camerounais anglophones de la colonie britannique ne pouvaient que constater leur retard considérable dans leur développement par comparaison à la situation qui prévalait dans le Cameroun français.

 

La fixation des frontières et la fédération

Cameroun 1961

En 1961, l'indépendance du Cameroun français ramenait la question des frontières avec le Cameroon britannique, frontières qui n’avaient jamais été fixées entre les colonies française et britannique. Il restait un flou territorial entre les régions qui aujourd’hui font partie du Nigeria (le Cameroun septentrional) ou du Cameroun (le Cameroun méridional). C’est pourquoi l’ONU imposa un référendum aux deux populations concernées qui durent choisir à quel pays ils désiraient être rattachés : soit l’union avec la Fédération nigériane, soit l’union avec la république du Cameroun qui

devait devenir une fédération de deux États, l'un en français, l'autre en anglais.

Au moment du référendum tenu le 11 février 1961, les habitants du Cameroun méridional, déçu de l'administration britannique, se prononcèrent massivement pour une séparation du Nigeria et leur rattachement à la république du Cameroun. Quant au Cameroun septentrional, il se prononça majoritairement pour son rattachement au Nigeria. C’est ainsi qu’une population dite «anglaise», celle du Cameroun méridional sous tutelle britannique, se retrouva dans un pays majoritairement de langue «française».

Au 1er octobre 1961, le Cameroun devenait une république fédérale formée de deux États : le Cameroun anglophone (les régions actuelles du Sud-Ouest et du Nord-Ouest) et le Cameroun francophone. La République fédérale du Cameroun (1961-1972) comptait quatre assemblées dont une Assemblée fédérale et une dans les deux États fédérés, en plus d'une Assemblée des chefs traditionnels. On avait ainsi trois gouvernements dont un dans chaque État fédéré et un gouvernement fédéral. Si les habitants du Cameroun méridional avaient choisi de devenir des Camerounais plutôt que des Nigériens, c'est qu'on leur promettait un État autonome de langue anglaise au sein d'une fédération binationale. 

Au moment de l'indépendance en 1961, les langues camerounaises étaient à la fois si nombreuses (entre 260 et 300) et si diverses avec un enchevêtrement de langues nigéro-congolaises, nilo-sahariennes, bantoues et afro-asiatiques, avec parfois si peu de locuteurs pour certaines d'entre elles, qu'il apparut plus pratique de maintenir le français, puis l'anglais comme langues officielles de l'État. De toute façon, personne n'était à ce moment intéressé au sort des langues nationales, qui s'écrivaient peu, sinon pas du tout. Bien que le français et l’anglais soient les langues officielles du Cameroun, les langues nationales ont continué, pour la plupart, d’être très vivantes, mais marginalisées au point de vue social.

L'abolition du fédéralisme (1972)

Cependant, à l'issue d'un référendum en mai 1972, le fédéralisme camerounais fut aboli, les deux États fédérés disparaissant pour faire place à un seul État centralisé et divisé en dix provinces administratives (aujourd'hui des «régions»), dont deux de langue anglaise et huit de langue française. Évidemment, les «anglophones» des provinces anglaises se sentirent trahis dans leurs droits, car ils avaient choisi le Cameroun plutôt que le Nigeria en raison du fédéralisme et de la répartition des pouvoirs et des langues sur le territoire. Ce changement constitutionnel fut adopté par une majorité simple; il annonçait aussi une marginalisation des anglophones au moyen d’un pouvoir camerounais plus centralisateur.

Plus de cinq décennies après l'indépendance, l'unification du Cameroun de 1972 est aujourd’hui contestée et remise en cause par le Southern Cameroon National Council (SCNC), le parti politique anglophone qui milite pour la sécession des deux régions anglophones et la création d'un État indépendant qui serait appelé «Ambazonie» ou en anglais "Ambazonia". En 2018,  des groupes sécessionnistes multiplièrent les actions violentes contre des symboles de l’État. De son côté, la presse africaine s’est inquiétée d’une véritable guérilla qui semble s'installer dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun. La presse reproche aussi aux autorités camerounaises d’avoir fait le choix de sortir l’armée plutôt que d'entreprendre des pourparlers avec les sécessionnistes anglophones. D’une part, les mouvements rebelles armés sont dans une logique de rapport de force avec Yaoundé et, d'autre part, le gouvernement ne souhaite pas négocier avec ceux qu’il qualifie de «terroristes». Or, cette «crise anglophone» ("Anglophone crisis") est pourtant le résultat d'une mauvaise gestion de la part de l'État camerounais pendant que la minorité anglophone se trouve prise entre deux feux ou, pour reprendre les mots d’Amnesty International : «La population est prise entre deux feux, entre le marteau et l'enclume.».

Le bilinguisme institutionnel

Bien que le Cameroun et le Canada soient appelés des pays bilingues, leur bilinguisme diffère grandement. C’est en observant le type de bilinguisme pratiqué par ces deux pays que nous pouvons comprendre que le bilinguisme ne passe pas nécessairement par les citoyens qui s’exprimeraient dans les deux langues officielles. En ce sens, il nous faut distinguer le bilinguisme institutionnel et le bilinguisme individuel. Au Canada comme au Cameroun, le bilinguisme institutionnel n'oblige pas les individus à être eux-mêmes bilingues puisque ce sont les institutions qui le sont. Au Canada, ce sont les institutions du gouvernement fédéral; au Cameroun, les institutions d'un État unitaire. En un sens, l'État camerounais détient plus de pouvoir politique dans le pays que l'État canadien qui doit le partager avec les provinces. Si les provinces canadiennes ont leur mot à dire en matière de politique linguistique, ce n'est pas le cas pour les régions camerounaises.

Le paragraphe 3 de l'article 1er de la Constitution de 1996 stipule que le français et l'anglais sont les deux langues officielles du pays:

Article 1er

3) La République du Cameroun adopte l'anglais et le français comme langues officielles d'égale valeur.
L'État garantit la promotion du bilinguisme sur toute l'étendue du territoire.
Il œuvre pour la protection et la promotion des langues nationales.

Notons le fait que les deux langues sont «d’égale valeur» et que «l’État garantit la promotion du bilinguisme sur toute l’étendue du territoire» tout en œuvrant «à la protection et à la promotion des langues nationales». Il s’agit maintenant de vérifier comment ces trois dispositions constitutionnelles sont appliquées, car si la loi constitutionnelle fait mention de la promotion du bilinguisme, elle reste très silencieuse sur sa pratique et sa mise en œuvre.

Il faut aussi se rappeler qu’au Cameroun c'est l'État qui doit être bilingue, non les individus. C’est une modalité qui existe également au Canada dans la mesure où le gouvernement fédéral et ses institutions doivent être bilingues, non les citoyens canadiens. Comme au Canada, la politique linguistique camerounaise est fondée sur les droits personnels reconnus seulement aux usagers du français ou de l'anglais, et ce, en principe partout au Cameroun. Toutefois, la pratique réelle au Cameroun fait en sorte que les droits linguistiques ne sont applicables qu'en français dans la partie française et à la fois en français et en anglais dans la partie anglaise.

Les langues du Parlement et de la justice

Dans les institutions communes des deux zones linguistiques, c'est la formule des droits personnels qui prévaut et non pas la séparation des langues. Ainsi, la publication des actes législatifs ou réglementaires dans le Journal officiel se fait en principe en français et en anglais, que ce soit les lois, les décrets, les décisions, les instructions, les circulaires et les notes de service.

Dans les débats parlementaires, les députés s’expriment dans la langue de leur choix (français ou anglais), mais la loi du nombre fait que les délibérations se déroulent généralement en français, et la Chambre dispose d'un système de traduction simultanée.

Afin de respecter un certain bilinguisme, le gouvernement camerounais est (en principe) constitué de ministres francophones et de ministres anglophones, tant musulmans que chrétiens, issus lorsque cela est possible de chacune des dix régions. Mais les ministres francophones ne sont pas toujours bilingues, contrairement aux ministres anglophones. Comme on le constate, c’est un système qui présente des réalités similaires à celles du Canada.

En matière de justice, les deux régions anglaises ne fonctionnent qu'en anglais et se réfèrent au droit privé de tradition britannique. Dans le reste du pays, c'est le droit civil français et la langue française qui sont de rigueur. Lorsqu'un citoyen ignore l'une des deux langues officielles, le juge doit autoriser l'usage de l’autre langue officielle ou de la langue maternelle africaine tout en exigeant un interprète.

Les cours supérieures sont bilingues, mais la "loi n° 2006/16 du 27 décembre 2006 fixant l'organisation et le fonctionnement de la Cour suprême" ne contient aucune disposition concernant l’emploi des langues officielles. En théorie, les arrêts de la Cour suprême doivent être mis le plus tôt possible à la disposition du public dans les deux langues officielles, mais il arrive que la version anglaise arrive avec des retards importants.

Les assesseurs, des juristes professionnels en matière de droit, doivent maîtriser l'une des deux langues officielles, pas nécessairement les deux. En général, le français suffit dans la mesure où l'on n'a pas à communiquer avec les citoyens des régions anglophones.

Les langues dans l’administration publique

Le Cameroun étant un État bilingue, on s’attend à ce que l’administration le soit également. Cependant, la capitale du Cameroun, Yaoundé, est restée essentiellement française. Les Camerounais anglophones qui se rendent à Yaoundé pour y travailler ou pour toute autre raison ne peuvent ni comprendre ni se faire comprendre avec seulement l’anglais. Il faut savoir le français ou le pidgin english, mais en général le français occupe une place prépondérante dans la capitale. C'est une situation relativement similaire à Ottawa, la capitale du Canada, où seules les institutions du gouvernement fédéral offrent des services dans les deux langues officielles, mais il y a une différence importante: à Yaoundé, il est très difficile de recevoir des services bilingues de la part des ministères.

La réglementation

Il n'existe pas comme au Canada de loi sur les langues officielles au Cameroun. Une circulaire datant de 1991, signée par le premier ministre de l'époque, Sadou Hayatou, sert de politique en ce qui concerne l'emploi des langues en matière administrative. C’est la Circulaire n° 001/CAB/PM du 16 août 1991 relative à la pratique du bilinguisme dans l’administration publique et parapublique. On y lit notamment les mesures suivantes :   

1— Tout citoyen camerounais en général et, en particulier tout usager d'un service public et parapublic, a le droit fondamental de s'adresser en français ou en anglais à tout service public ou parapublic et d'en obtenir une réponse dans la langue officielle de son choix.

2— À quelques exceptions près (contrôleurs aériens et enseignant de langue par exemple), tout agent public a le droit de travailler dans la langue officielle de son choix sans que cela affecte sa carrière. Toutefois, il incombe à l'agent public qui traite directement avec le public de se faire comprendre par celui-ci. Il reste entendu que l'objectif à atteindre est que tout agent public qui traite directement avec le public soit en mesure de se faire comprendre par celui-ci.

3— Les services offerts et les documents officiels publiés par les services publics ou parapublics et destinés au grand public (discours, avis, actes réglementaires, encarts publicitaires, communiqués de presse, examens, circulaires et formulaires, etc.), ils doivent être disponibles dans les deux langues officielles.

4— Les affiches, panneaux publicitaires, enseignes et avis concertants les services ou les biens de l'État et l'usage de ceux-ci doivent être rédigés dans les deux langues officielles sur un même support ou sur deux supports distincts placés côte à côte et de manière à ce que le texte de chaque langue soit également visible, apparent et disponible.

Ce texte démontre que tout citoyen camerounais a le droit de demander des services publics dans l'une ou l'autre des langues officielles; que tout agent public a le droit de travailler dans la langue de son choix; que tous les documents officiels doivent être disponibles dans les deux langues; que les affiches, panneaux publicitaires, enseignes, etc., doivent être rédigés dans les deux langues officielles.

Les efforts pour promouvoir le bilinguisme

Conscient du statut minoritaire des anglophones et de leur sentiment d’exclusion, le gouvernement camerounais a adopté un système d’équilibre régional, et ce, autant dans la sélection des candidats admis dans les écoles professionnelles que dans le recrutement des fonctionnaires et des employés. Le gouvernement a aussi tenté d'affecter des fonctionnaires francophones dans les zones anglophones et des fonctionnaires anglophones dans les zones francophones. À de nombreuses reprises, la présidence de la République a donné des instructions aux fonctionnaires de l’État indiquant clairement que les textes officiels de communication devaient être préparés, signés et publiés en français et en anglais.

Dans l’affichage, les panneaux indicateurs sur les routes, les aéroports, les gares, les ports, les panneaux de signalisation, l’étiquetage des produits de consommation, etc., sont généralement en français, mais certains panneaux peuvent être bilingues dans les régions anglaises. Quant aux billets de banque, le français est en gros caractères, l'anglais est de plus petite taille. 

De plus, le gouvernement camerounais a adopté le Décret du 23 janvier 2017 portant création organisation et fonctionnement de la la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme. Cette commission, la CNPBM a vu le jour le 15 mars suivant; ses missions sont, entre autres, d'œuvrer à la promotion du bilinguisme, du multiculturalisme au Cameroun, dans l’optique de maintenir la paix, de consolider l’unité nationale du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre ensemble de ses populations. L'un des éléments importants est d'assurer le suivi de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles faisant de l'anglais et du français deux langues officielles d'égale valeur, et notamment leur usage dans tous les services publics, les organismes parapublics ainsi que dans tout organisme recevant des subventions de l'État.

L'administration régionale

Dans l'administration régionale, l'anglais est normalement utilisé dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Les citoyens peuvent s'adresser à l'administration régionale en anglais et ils sont assurés de recevoir des services dans cette langue. Cependant, il ne leur est pas possible de demander de tels services en anglais dans le reste du pays, bien que les francophones puissent éventuellement obtenir les services en français dans la zone anglophone, puisque même dans les régions anglophones du Cameroun la langue de l’administration peut être le français.

Il est possible que les fonctionnaires et les policiers anglophones soient désavantagés s'ils ne connaissent pas le français, dans la mesure où ils désireraient poursuivre leur carrière hors des deux régions anglophones.

L'administration municipale

Dans l’administration municipale, l'emploi des langues nationales camerounaises est autorisé. L'article 22 de la "Loi n° 2004/018 du 22 juillet fixant les règles applicables aux communes" a transféré aux municipalités les compétences en matière de promotion des langues nationales. Ainsi, dans les bureaux sous la juridiction d'une administration municipale ou locale, les langues camerounaises peuvent être employées dans les communications orales, mais pas à l'écrit. Étant donné que la plupart des langues nationales ne sont pas écrites, il n'est pas possible de les employer ni dans les formulaires ni dans les messages adressés aux citoyens, encore moins dans la presse écrite. À l’écrit, c’est nécessairement le français dans les régions françaises, l’anglais dans les régions anglaises. 

Bien que les langues camerounaises soient autorisées dans les communications orales, elles nettement supplantées par l'emploi du pidgin english qui sert généralement de langue véhiculaire, surtout dans le sud du pays. 

Un bilinguisme bancal

Malgré les efforts du gouvernement camerounais, l'application du bilinguisme institutionnel n'a pas donné les résultats escomptés. L'anglais demeure rarissime dans les institutions et organismes publics en dehors des régions anglaises. Les fonctionnaires bilingues sont peu nombreux, même si le bilinguisme fait partie des critères d'embauche. En général, on ne parle que le français et souvent l’éwondo dans les différents ministères de la capitale. La plupart des textes que le président signe lui-même, notamment les décrets présidentiels, sont souvent uniquement en français. Dans l'armée, seul le français est admis, et les fonctionnaires anglophones sont tenus d'assumer le bilinguisme institutionnel. La stratégie qui consiste à envoyer des fonctionnaires francophones dans la zone anglaise et vice versa n'a pas réussi, car les anglophones ont eu l’impression d’avoir été envahis par l'arrivée massive de fonctionnaires francophones dans leurs régions et d'être nettement minorisés lorsqu'ils travaillent dans un milieu francophone. Autrement dit, les francophones ont continué à parler français en zone anglaise et les anglophones de s'assimiler en zone française. 

Par contre, le bilinguisme français-anglais demeure plus visible sur les formulaires administratifs, mais de nombreux avocats et juristes anglophones protestent contre l'absence de traduction des lois et d'autres documents juridiques en anglais au moment de leur publication; ils se plaignent aussi de la nomination de juristes dans les régions anglophones qui ne maîtrisent pas la langue anglaise. Ils estiment également que l’État veut leur imposer le droit civil en vigueur dans les régions francophones à la place du code anglo-saxon. Il arrive que des magistrats, des commandants de la gendarmerie ou des commissaires de police affectés dans les régions anglophones ne peuvent s'exprimer qu'en français.

En éducation, les cours d'anglais langue seconde dans la zone française sont souvent supprimés en raison de la pénurie d'enseignants qualifiés. Même dans les régions anglophones, les examens qui doivent être publiés et présentés en anglais aux élèves anglophones peuvent être à l'occasion substitués par des examens en français en lieu et place de la langue initiale.

Beaucoup d'anglophones se demandent comment le gouvernement peut-il honnêtement promouvoir le bilinguisme, si les personnalités publiques — président, premier ministre, ministres, juge en chef, etc. — qui sont à la tête du pays demeurent unilingues français. Peu de ministres francophones peuvent s'exprimer en anglais. Bref, ces nombreuses carences dans la politique du bilinguisme camerounais accentuent les malaises et la marginalisation des anglophones.

La formation des traducteurs et interprètes

Le bilinguisme institutionnel prévu dans la Constitution donne au Cameroun des motifs pour former des traducteurs et des interprètes pour la traduction des textes et des discours officiels rédigés dans l'une des deux langues officielles. Pour ce faire, il existe au Cameroun un Institut supérieur de traduction et d'interprétation (ISTI) à Yaoundé et une École supérieure des traducteurs et interprètes à Buea (ESTI). Pourtant, ces institutions peinent à former des professionnels compétents et les conditions pour servir d’interprète ne semblent pas être aussi rigoureuses qu’au Canada. Il arrive régulièrement qu'un juge doive désigner d'office une personne dans la salle d'audience âgée d’au moins 21 ans pour lui faire prêter sur-le-champ le serment d'interpréter fidèlement les paroles des individus traduits en justice et parlant une langue différente ou de traduire fidèlement le document en cause

Dans la fonction publique, ce sont souvent des fonctionnaires plus ou moins bilingues qui font eux-mêmes les traductions. La version anglaise des textes réglementaires et des avis publics est généralement de fort mauvaise qualité. Pour les responsables de la situation, ce n'est pas grave, car les anglophones devraient quand même apprécier de voir des documents rédigés en anglais et en français, peu importe la qualité de la version anglaise. Cette situation provient de la négligence des agents de l’État face à ce problème et au manque d’intérêt total pour toutes les questions relatives à la langue anglaise.

Il existe dans le pays plus de 260 autres langues et il y a nécessité de traduire des textes religieux, médicaux, juridiques ou administratifs pour des populations au demeurant parfois  peu instruites. . Cette réalité impose une accumulation quotidienne de traductions entre les langues locales et les langues officielles. L'État camerounais peine à recruter suffisamment de traducteurs et d'interprètes sortis de ses écoles et n'arrive pas à combler le vide laissé par ceux qui sont allés vers postes plus prometteurs. L'un des exemples qui est souvent cité, entre autres, concerne le Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui a drainé des traducteurs par dizaines, pressés de quitter la fonction publique pour la Tanzanie et attirés par des rémunérations nettement supérieures à celles du Cameroun.

Les langues de l’éducation

Dans le domaine de l’éducation, il existe deux systèmes, l'un en français, l'autre en anglais, tous deux unilingues. Tous les Camerounais sont assurés de recevoir un enseignement en français ou en anglais, selon la région de résidence, du primaire jusqu’à la fin du secondaire. L'enseignement de «l'autre langue» est obligatoire en sixième année du primaire. L’État camerounais assure l’essentiel de l’enseignement scolaire puisque 72% de la population scolarisée fréquente un établissement scolaire public.

Les difficultés du bilinguisme

Le gouvernement camerounais fait des efforts pour promouvoir le bilinguisme en éducation. Pour ce faire, il a créé quelques lycées bilingues, notamment dans la région du Centre et la région du Littoral; il a également imposé l’enseignement de l’anglais ou du français, comme langue seconde, depuis la classe de la maternelle. Il a aussi ordonné la formation de classes anglophones et francophones dans les écoles primaires. On trouve plusieurs établissements scolaires anglophones dans les villes francophones, notamment à Yaoundé et à Douala. Le but de ces établissements est de former des personnes bilingues et d’encourager les élèves à parler le français et l’anglais. Cependant, les élèves, étant en majorité d’origine francophone, ont tendance à adopter une attitude timorée envers l’anglais qu'ils n'utilisent qu’en classe et en situation formelle. Dès qu'ils sont en dehors de la salle de classe, y compris dans les corridors de l'établissement, ils passent au français. Si ces multiples actions sont appréciables, le résultat semble plutôt modeste. En dehors de quelques établissements scolaires bilingues, il existe toujours une barrière entre les deux communautés linguistiques. On est soit francophone soit anglophone, rarement les deux. En réalité, la proportion des individus bilingues serait de 22,7 % pour l'ensemble du pays, dont 17,5 % pour les citoyens vivant en milieu urbain et 5,2 % en milieu rural. De plus, les bilingues sont concentrés dans deux régions: la région du Littoral et la région du Centre. Ce sont là les régions francophones où l'on compte le plus d'anglophones.   

Selon les études du ministère de l’Éducation, il existe une pénurie d’enseignants du français langue seconde et surtout de l’anglais langue seconde. Le problème est plus grave au secondaire qu'au primaire. Ainsi, des élèves peuvent terminer leur secondaire en comptant le nombre de fois qu’ils ont suivi un cours d’anglais dans une année, ce qui démontre que les cours d’anglais ont été rarissimes, sinon quasi inexistants!

Le bilinguisme institutionnel du Cameroun ne laisse aucune place aux langues nationales avec comme résultat que l'enseignement des langues nationales est resté à l'état embryonnaire. Les principales langues enseignées, mais il y en d'autres de moindre importance, sont le douala, l'éwondo, le bassa, le boulou, l'éton, le peul, le béti, le ntoumou et le mundang, ce qui est peu sur un total de 268 langues. De toute façon, il n'existe aucun programme officiel et les manuels dans ces langues sont quasi inexistants.

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, notamment dans les universités, les étudiants reçoivent leur instruction en français dans les régions francophones et en anglais dans les régions anglophones. Il existe des «universités bilingues» dans lesquelles les cours sont donnés dans la langue que le professeur maîtrise le mieux, ce qui dans les circonstances favorise le français. Évidemment, la minorité des étudiants qui connaissent les deux langues s'en trouve nettement avantagée. Dans la pratique, le français reste prédominant dans la plupart des universités, des instituts et des grandes écoles de technologie. Dans les universités bilingues, le français demeure l'unique langue de travail, même pour communiquer avec les étudiants anglophones; les seuls avis rédigés en anglais et en français concernent l'acquittement des frais de de scolarité. 

La formation des enseignants

En ce qui concerne la formation des enseignants, il existe des problèmes majeurs. Près de 70 % des enseignants du primaire n’auraient pas reçu une formation professionnelle adéquate, et ce, dans la plupart des disciplines et non seulement dans l'enseignement des langues, langue première ou langue seconde. Près de 90 % des élèves manquent de livres et de manuels scolaires. De façon générale, le niveau des élèves en lecture, en écriture et en mathématiques demeure assez faible. Dans ces conditions, il devient aléatoire d’apprendre l’anglais dans les écoles françaises.

Les médias camerounais

Dans le monde des médias, le Cameroun présente un modèle original. Le journal national bilingue, Cameroon-Tribune, paraît tous les jours en français, mais une seule fois par semaine en anglais. La presse privée compte une cinquantaine de titres, dont quelques-uns en anglais.  

La radio

Le Cameroun compte plusieurs chaînes de radio publiques qui constituent une filiale de la Radio de l'office national de radio et télévision, en abrégé la CRTV. Radio-Yaoundé diffuse treize heures par jours en français et sept heures en anglais, ce qui équivaut en général à 70-30%; des flashes d'information sont diffusés dans les deux langues officielles au début de chaque heure. Il existe une trentaine de stations régionales, dont plusieurs diffusent dans des langues camerounaises. Par exemple CRTV Littoral diffuse en douala, en bakon, en banen, en balong, en yabassi, en bakoko, en bakaka, en éwondo et en bassa.

Les langues de diffusion sont, dans l'ordre, le français d'abord, puis l’anglais suivi des langues camerounaises, du pidgin english et du camfranglais. C'est dans le milieu  rural  camerounais que les langues ethniques (langues nationales et langues maternelles) sont davantage employées; au moins une cinquantaine de langues nationales peuvent être employées et diffusées. 

Quelques radios étrangères diffusent des émissions: Radio France Internationale (en français), Voice of America / La Voix de l'Amérique (en anglais et en français), la BBC (en anglais), La Voix de l'Allemagne/ Deutsche Welle (en français), Radio Canada Internationale (en français et en anglais), Radio Nederland / Radio Pays-Bas internationale (en français), etc. Dans tout le pays, on estime que 69 % des émissions sont en français, contre 31 % en anglais.

La télévision

Quant à la télévision, CRTV-Télé, la seule chaîne de télévision nationale, diffuse depuis Yaoundé des émissions en français et en anglais, mais selon une répartition inégale, il va sans dire. Le pays compte une vingtaine de stations privées dont quelques-unes en anglais. Depuis quelque temps, il existe une «télévision de proximité» détenue par le groupe InfoTv qui veut promouvoir les langues camerounaises. Cette chaîne accessible par satellite permet aux Camerounais d’accéder, dans leurs langues maternelles, à un nouveau monde d’information et de communication.

Conclusion

Le bilinguisme institutionnel du Cameroun est un bon exemple de bilinguisme déséquilibré. Mais ce n'est pas une exception parmi les 55 pays bilingues, car le déséquilibre en matière de bilinguisme institutionnel constitue une règle quasi universelle. Nous pouvons affirmer que tous les pays officiellement bilingues pratiquent un bilinguisme déséquilibré, puisque les langues en cause sont rarement, pour ne pas dire jamais, égales en nombre et en prestige. Tout est une question de degré dans ce déséquilibre. Le bilinguisme du Cameroun est, par comparaison, plus déséquilibré qu'au Canada, mais pas moins que dans beaucoup d'autres pays, que ce soit l'Irlande, Israël, les Philippines, Singapour, le Sri Lanka ou la Nouvelle-Zélande. Dans cette perspective, le Canada se situe nettement au-dessus de la moyenne. De plus, le bilinguisme déséquilibré peut être plus ou moins accentué ou relativement faible selon les régions d'un même pays où il est appliqué. Dans quelque pays que ce soit, il peut y avoir loin de la coupe aux lèvres dans le domaine de la mise en œuvre d'une politique linguistique, que ce soit du bilinguisme ou autre.

Le bilinguisme institutionnel du Cameroun, pourtant inscrit dans la Constitution, est considéré comme profondément inégalitaire, notamment dans l'administration publique, la justice et l'éducation. L'anglais est généralement le parent pauvre des langues officielles au Cameroun. C'est pourquoi les anglophones éprouvent le sentiment d'être marginalisés et d'être des citoyens d'un rang inférieur à celui des francophones. Ils affirment ne pas bénéficier de l'égalité des chances qui devrait être accordée à tous les citoyens d'un État moderne et démocratique. Dans ces conditions, les anglophones souffrent davantage que leurs compatriotes francophones des problèmes liés au chômage, au déficit des infrastructures, aux soins de santé et à l'accès à l'instruction. Pour les anglophones, le Cameroun bilingue serait perçu comme réservé aux francophones. La situation observée sur le terrain semble être une confirmation du dicton populaire : «Le Cameroun est certes bilingue, mais les Camerounais ne le sont pas.»

Le bilinguisme du Cameroun est appliqué comme une stratégie visant à préserver l’intégration politique et sociale, ce qui permet d'unir les régions anglophones et francophones. Ainsi, le bilinguisme se traduit d'abord par des discours symboliques plutôt que par des actions réelles de mise en œuvre. L'une des expressions courantes chez les autorités camerounaises est du genre suivant: «Le bilinguisme, c'est la fierté et le symbole de notre unité nationale et de notre diversité culturelle.» Toutes les personnes, qui occupent des postes administratifs ou de direction, sont tenues de respecter ce genre de propos qui donne l’impression que le Cameroun est un pays bilingue. Toute forme de paroles ou de discours contre ce principe établi peut être interprétée comme une menace directe à l’unité nationale.

Le modèle camerounais constitue l'un des rares pays où la langue anglaise n’a pas réussi à exercer sa prédominance et à influencer les autres langues, en l'occurrence le français, avec qui elle partage le statut de langue officielle. Certains linguistes camerounais croient que l'usage de plus en plus répandu du pidgin english pourrait constituer l'un des facteurs aggravants contribuant ainsi à la régression de l’anglais dans le pays. Aujourd'hui, le pidgin english est devenu la langue la plus parlée dans le Cameroun anglophone; dans la rue, on entend les passants s'exprimer d'abord en pidgin english, puis en français, ensuite dans une langue africaine et enfin en anglais. C'est donc le pidgin english, et non l’anglais, qui rivalise avec le français au Cameroun. D'ailleurs, on ne parle plus dans le pays d'interdire le pidgin english, comme on l'a fait dans un passé encore récent dans les campus anglophones, mais plutôt de l'institutionnaliser comme une éventuelle troisième langue officielle. Mais les résistances sont fortes au sein des agences gouvernementales pour lesquelles le pidgin english constitue une régression linguistique plutôt qu'une marque d'identité culturelle.

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