Cadre juridique

Introduction à la langue de lois et débats parlementaires

Cette section présente les dispositions constitutionnelles et législatives qui imposent des exigences en matière de langue d’adoption des lois et régissent la langue des débats et travaux parlementaires.  Outre que des lois bilingues offrent un meilleur accès à la législation pour la population francophone ou anglophone, la valeur symbolique de lois bilingues est importante : elle signale à ses locuteurs que leur langue est assez importante pour que l’État l’utilise dans ses normes les plus contraignantes, les lois et règlements.  Le droit d’utiliser sa langue pendant les débats parlementaires et l’obligation de rendre les travaux parlementaires disponibles dans les deux langues permettent la participation équitable des représentants de la minorité linguistique aux débats.

Cette section est subdivisée en trois parties : les exigences constitutionnelles; la législation fédérale; les provinces et territoires.  Les parties portent sur la langue des lois, mais les lois citées, lorsque elles imposent ou permettent l’adoption de la législation dans les deux langues, permettent aussi d’utiliser l’une ou l’autre langue lors des travaux et débats des parlements et des assemblées législatives.

Loi constitutionnelle

Il y a plusieurs textes constitutionnels disparates, adoptés à des époques différentes dans l’histoire canadienne, qui créent une obligation de légiférer en français et en anglais. Ces textes s’appliquent à des juridictions différentes.

L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 impose au Parlement fédéral ainsi qu’à la législature du Québec l’obligation d’imprimer et publier leurs lois en français et en anglais, ce que la Cour suprême du Canada a interprété comme incluant l’obligation de les adopter en français et en anglais (Blaikie c. Québec no. 1, 1979). Cette obligation s’étend aussi aux règlements du gouvernement (Blaikie c. Québec no 1, 1979), mais elle ne comprend pas les règlements municipaux ou scolaires ni les règlements d’organismes qui n’ont pas besoin d’une approbation du gouvernement (Blaikie c. Québec no 2, 1981) [CSC]. L’obligation de légiférer dans les deux langues ne peut pas être modifiée par le Québec sans au moins le consentement de cette province et du fédéral  (Blaikie c. Québec no. 1, 1979; article 43b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Le même article permet l’usage du français ou de l’anglais dans les débats et travaux du Parlement fédéral et de l’Assemblée législative du Québec. L’article 17(1) de la Charte canadienne des droits et libertés permet l’usage du français ou de l’anglais dans les débats et travaux du Parlement.

L’article 18(1) de la Charte canadienne des droits et libertés reprend l’exigence du bilinguisme des lois fédérales et précise que chaque version de ces lois a une égale valeur. L’article 18(1) ne peut pas être modifié sans le consentement unanime de toutes les provinces canadiennes et du fédéral (article 41c) de la Loi constitutionnelle de 1982). Parce que le texte de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 a été repris dans le texte de l’article 18(1) de la Charte canadienne, on peut raisonnablement affirmer que la règle de l’égale valeur des deux versions postulée à l’article 18(1) pour les lois fédérales s’étend aux lois du Québec.

L’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870, qui fait partie de la Constitution du Canada en raison de l’article 5 de la Loi constitutionnelle de 1871, impose à la législature du Manitoba la même obligation qu’au Québec : le Manitoba doit adopter et publier ses lois en français et en anglais. Cette obligation ne peut pas non plus être modifiée par le Manitoba sans le consentement de cette province et du fédéral (Forest c. Manitoba 1979 [CSC]; article 43b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Le non-respect de cette obligation par le Manitoba pendant près de 100 ans a conduit la Cour suprême du Canada à prononcer l’annulation totale de toutes les lois de la province du Manitoba qui avaient été adoptées en anglais seulement depuis 1891. Cependant, puisque cela signifiait que le Manitoba n’avait plus d’existence juridique et que cela serait contraire à la primauté du droit, la Cour a suspendu sa déclaration d’invalidité pendant le temps requis par la province pour traduire et ré-adopter ses lois (Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba 1985) [CSC]. Parce que le texte de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba reprend celui de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et a été repris dans le texte de l’article 18(1) de la Charte canadienne, on peut raisonnablement affirmer que la règle de l’égale valeur des deux versions postulée à l’article 18(1) pour les lois fédérales s’étend aux lois du Manitoba.

L’exigence de bilinguisme s’étend aux décrets du gouvernement qui créent des règles et aux documents incorporés dans les lois et règlements, qu’ils aient été produits par le Manitoba, par un autre gouvernement ou par une compagnie ou un organisme privé, « à moins qu'on ne puisse démontrer que son incorporation sans traduction est fondée sur un motif légitime » (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba,1992, sommaire de la décision) [CSC]. Dans la même décision la Cour précise qu’un motif légitime serait la référence aux lois d’une autre province ou d’un autre pays à des fins de coopération inter-gouvernementale, des règles internationales, ou des normes techniques (comme ISO ou ICANN) adoptées par des organismes privés.

L’article 18(2) de la Charte canadienne des droits et libertés impose la même obligation au Nouveau-Brunswick : cette province doit adopter ses lois en français et en anglais, chaque version ayant la même valeur. L’exigence s’étend aux règlements, mais aussi aux arrêtés municipaux (Charlebois c. Moncton (ville), 2001). L’article 18(2) ne peut pas être modifié sans le consentement de cette province et du fédéral (article 43(b) de la Loi constitutionnelle de 1982). Et l’article 17(2) de la Charte permet l’usage du français ou de l’anglais à l’Assemblée législative.

La Cour suprême a décidé que l’exigence constitutionnelle d’adoption des lois bilingues ne s’étendait pas aux provinces de Saskatchewan et d’Alberta, qui ont été créées en 1905 à partir d’une loi fédérale. Le Décret d’annexion des Territoires du Nord-Ouest au Canada de 1870, adopté presque en même temps que la Loi sur le Manitoba de 1870, ne contenait aucune garantie explicite d’adoption bilingue des lois, contrairement à la Loi sur le Manitoba; la Loi sur la Saskatchewan de 1905 et la Loi sur l’Alberta de 1905 ne contenaient pas de clauses linguistiques explicites non plus; selon la Cour, cela signifiait que les parties aux négociations entre les Métis et le gouvernement canadien savaient comment garantir et protéger les droits linguistiques et leur omission, dans le décret d’annexion ou dans les lois de création de ces provinces, était donc voulue (Caron c. Alberta 2015) [CSC]

Les autres provinces et territoires n’ont pas d’obligation constitutionnelle explicite d’adopter leurs lois dans les deux langues officielles. Il faut alors consulter les lois de chaque juridiction pour connaître la situation.

Loi fédérale

La Partie I de la Loi sur les langues officielles du Canada ne comporte que l’article 4, qui garantit l’usage du français et de l’anglais au Parlement, l’obligation de fournir la traduction simultanée et la langue des comptes rendus. 

La Partie II de la Loi sur les langues officielles du Canada gouverne la langue des « actes législatifs et autres ».  L’article 5 exige le bilinguisme des archives, comptes rendus et procès-verbaux du Parlement.  L’article 6 impose le bilinguisme des lois.  L’article 7 impose le bilinguisme des textes d’application des lois, des actes du pouvoir exécutif de nature publique et générale, à l’exclusion des ordonnances des territoires ou des actes pris par les organismes autochtones.  L’article 8 étend l’exigence aux documents qui émanent d’une institution fédérale et déposés au Sénat ou à la Chambre des communes.  L’article 9 vise les règles de procédure et pratique des tribunaux fédéraux.  L‘article 10 concerne les traités internationaux et les accords avec les provinces dans certains cas.  L’article 11 vise les avis et annonces du gouvernement qui sont publiés dans une publication principalement d’expression française ou anglaise, ou en version bilingue dans une publication largement diffusée dans la région.  L’article 12 porte sur les actes « qui s’adressent au public et sont censés émaner d’une institution fédérale ».  Enfin l’article 13 exige la simultanéité des publications et l’égale valeur de chaque version.

Lois des provinces et territoires

Alberta

L’Alberta a été créée de la même manière que la Saskatchewan : la Loi sur l’Alberta (1905).  Ce qui a été dit de la Saskatchewan s’applique donc à l’Alberta, ainsi que les conclusions dans R c MercureL’Alberta a adopté la Loi linguistique  en 1988.  Cette loi a un contenu semblable à celle de Saskatchewan, sauf pour la possibilité d’adopter des versions bilingues des lois : en effet l’article 3 mentionne que « les lois et règlements peuvent être édictés, publiés et imprimés en anglais ».  Il n’y a aucune possibilité de légiférer en français.  L’article 5 permet l’usage du français ou de l’anglais dans les débats et organise la diffusion des travaux.

Colombie Britannique

Aucune loi.  Les lois de cette province sont adoptées en anglais seulement.

Manitoba

La section constitutionnelle explique l’obligation du Manitoba d’adopter ses lois dans les deux langues.  L’article 29(1) de la partie V de la Loi sur les textes législatifs et réglementaires du Manitoba précise que les exemplaires qui reproduisent la version bilingue des textes originaux et codifiés « font foi de leur contenu » à certaines conditions, dont celle de respecter le format réglementaire pour génération dans le site web.  Le reste de la Partie V indique les présomptions de validité.  La partie II de ladite loi vise l’adoption des lois; la partie III précise la version originale des règlements; et la partie IV vise la codification permanente des lois.

Nouveau Brunswick

Les articles 6 à 8 de la Loi sur les langues officielles permettent l’usage du français ou de l’anglais dans les travaux et organisent l’exercice du droit.

Les articles 9 à 15 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick précisent les obligations constitutionnelles de l’article 18(2) de la Charte canadienne.  Les projets de loi sont simultanément déposés, adoptés et publiés dans les deux langues officielles, chaque version ayant même valeur;  l’article 12 précise que les lois sont « corédigées » (et non seulement écrites dans une langue et traduites dans l’autre), dans les deux langues. L’article 13 s’étend aux « règles, ordonnances,  décrets en conseil et proclamations dont la publication » est requise.  L’article 14 vise les « avis, annonces et autres pièces à caractère officiel ».  Enfin l’article 15 vise les « avis, pièces et documents » dont une loi exige la publication par la province.

Terre-Neuve et Labrador

Aucune mesure législative.

Territoires du Nord-Ouest

Les TNO sont exclus de la portée de la Loi sur les langues officielles du Canada (article 3(1), définition d’ « institution fédérale »).  Les TNO ont adopté une ordonnance linguistique en 1988, devenue ensuite la Loi sur les langues officielles des TNO.  Bien qu’elle proclame le français, l’anglais et 9 langues autochtones comme langues officielles, l’article 7(1) de la LLO TNO édicte que les lois sont imprimées et publiées dans les deux langues, chaque version ayant force de loi.  Le reste de l’article 7 stipule les modalités de traduction des lois dans d’autres langues officielles.  L’article 6 permet l’usage d’une des langues officielles dans les débats.

Nouvelle-Écosse

Aucune mesure législative.  Certaines lois ont été traduites par mesure de courtoisie mais elles n’ont pas de valeur officielle et il n’y a pas d’obligation légale de le faire.

Nunavut

Le Nunavut est exclu de la portée de la Loi sur les langues officielles du Canada (article 3(1), définition d’ « institution fédérale »).  Le Nunavut compte trois langues officielles : le français, l’anglais et la langue inuite.  Le Nunavut a adopté une Loi sur les langues officielles en 2008.  En vertu de l’article 5(1) de la Loi sur les langues officielles, les lois sont adoptées, imprimées et publiées en français et en anglais.  Le reste de l’article 5 prévoit les modalités de traduction et d’adoption en langue inuite. L’article 4 autorise l’utilisation de l’une des langues officielles dans les travaux et organise la publication et diffusion de ceux-ci.

Ontario

L’article 3 de la Loi sur les services en français de l’Ontario permet l’usage du français ou l’anglais dans les  travaux parlementaires.  L’article 4  impose, depuis le 1er janvier 1991, l’adoption et la publication des lois ontariennes de caractère public en français et en anglais.  L’article 4 prévoit la traduction d’un recueil « des lois de caractère public et général » de l’Ontario, toujours en vigueur le 31 décembre 1990, pour présentation et adoption par l’Assemblée législative.  Cela fut fait et la version à jour des lois révisées de l’Ontario comprend les versions française et anglaise.  L’article 4(3) impose au procureur général de faire traduire en français « les règlements dont il estime la traduction appropriée », pour recommander leur adoption par l’autorité compétence.  Contrairement aux exigences constitutionnelles, les règlements ontariens ne sont pas tous traduits; cependant ceux qui le sont ont valeur officielle.  Malgré que la loi soit silencieuse quant à la règle de l’égale valeur, on peut raisonnablement avancer qu’elle s’applique aux deux versions des lois et règlements de l’Ontario.

Île-du-Prince-Édouard

Aucune mesure législative.  Certaines lois ont été traduites par mesure de courtoisie mais elles n’ont pas de valeur officielle et il n’y a pas d’obligation légale de le faire.

Québec

Les articles 7 et 8 de la Charte de la langue française du Québec régissent la langue des lois.  L’article 7 est ambigu, parce qu’il commence par « le français est la langue de la législation et de la justice au Québec », mais sous réserve que « les projets de loi sont imprimés, publiés, adoptés et sanctionnés en français et en anglais, et les lois sont imprimées et publiées dans les deux langues » (alinéa 1). L’alinéa 2 étend l’exigence à tout document auquel s’applique l’article 133; l’alinéa 3 pose la règle de l’égale valeur des deux versions.  L’article 8 précise que s’il y a divergence entre les versions française et anglaise d’un texte auquel l’article 133 ne s’applique pas, « le texte français, en cas de divergence, prévaut ».  L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, par ailleurs, permet l’usage du français ou de l’anglais pendant les débats de l’Assemblée. 

Saskatchewan

À l’origine la Saskatchewan faisait partie des Territoires du Nord-Ouest (TNO), tel qu’expliqué dans la section constitutionnelle et dans la section historique.  L’article 110 de la Loi sur les Territoires-du-Nord-Ouest de 1877 imposait à l’Assemblée territoriale l’adoption bilingue des ordonnances du territoire.  Cependant, cette mesure ne fut plus respectée par l’Assemblée territoriale à partir de 1891, mais sans avoir été formellement abrogée.  La Saskatchewan fut créée à partir d’une portion des TNO en 1905, par une loi fédérale : la Loi sur la Saskatchewan.  L’article 16 de cette loi précisait que les ordonnances en vigueur dans les Territoires avant 1905 demeuraient applicables dans la nouvelle province.  Dans R c. Mercure, en 1988, la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 110 était toujours en vigueur et que l’omission par l’Assemblée législative de la province de respecter cette exigence rendait toutes les lois de Saskatchewan nulles.  Cependant, à la différence du Manitoba, la Cour estima que l’exigence du bilinguisme des lois en Saskatchewan n’avait pas été intégrée dans la Constitution du Canada, et qu’elle pouvait donc être modifiée ou abrogée par la province, pourvu que ce soit au moyen d’une loi bilingue.  La Loi linguistique de Saskatchewan fut donc adoptée à l’été 1988.  L’article 3 crée une présomption de validité des lois adoptées en anglais seulement avant 1988.  L’article 4 prévoit que les lois seront adoptées en anglais seulement, ou en anglais et en français pour certaines d’entre elles.  L’article 5 permet la présentation et ré-adoption dans les deux langues de lois déjà adoptées en anglais seulement; l’article 6 prévoit l’adoption future de certaines des nouvelles lois dans les deux langues.  Les articles 8 et 9 visent les règlements actuels et futurs.  L’article 10 pose la règle de valeur égale des deux versions le cas échéant.  Enfin signalons l’article 13 qui déclare que l’article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest  ne s’applique plus à la province de Saskatchewan pour les matières qui relèvent de sa compétence.  Ainsi certaines lois ont été traduites et adoptées ou ré-adoptées dans les deux langues, chaque version ayant valeur égale.  Mais ce n’est pas une obligation.  Enfin l’article 12 permet l’usage du français ou de l’anglais pendant les débats et organise la publication des travaux.

Yukon

Le Yukon est exclu de la portée de la Loi sur les langues officielles du Canada (article 3(1), définition d’ « institution fédérale »).  Le Yukon dispose d’une Loi sur les langues. L’article 4 de la Loi sur les langues reproduit l’article 18(1) de la Charte, à savoir que les lois du Yukon sont présentées, adoptées et publiées dans les deux langues, chaque version ayant la même valeur. L’article 3 permet l’usage du français, de l’anglais ou d’une langue autochtone dans les débats et travaux.

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