Cadre juridique
Introduction à la langue des tribunaux
Cette section présente les dispositions constitutionnelles et législatives qui imposent des exigences en matière de langue des tribunaux et des procédures judiciaires. Le droit d’employer sa langue devant les tribunaux permet la participation équitable des représentants de la minorité linguistique aux débats.
L’organisation judiciaire du Canada est complexe. Pour comprendre les droits linguistiques, il faut en glisser un mot.
Le Parlement fédéral peut créer des tribunaux pour administrer les « lois du Canada » (article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867), et il a effectivement créé la Cour suprême du Canada, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, ainsi que d’autres tribunaux fédéraux comme la Cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt ou le Tribunal canadien du commerce extérieur, le Tribunal de la concurrence, le Tribunal des droits de la personne. Ces organismes sont des « institutions fédérales » et l’article 19(1) de la Charte canadienne ou la partie III de la Loi sur les langues officielles du Canada vont s’appliquer à ces tribunaux fédéraux. Le gouvernement fédéral est aussi responsable des pénitenciers qui abritent les personnes ayant reçu des sentences de deux ans ou plus, des commissions de libération conditionnelle et des agents de probation, ainsi que de la police fédérale (GRC et autres corps policiers fédéraux).
Les provinces (et territoires) sont responsables de l’administration de la justice dans leur juridiction, incluant la création des tribunaux. Les provinces (et les trois territoires) disposent d’une cour d’appel générale pour la province, de cours supérieures qui existaient avant leur entrée dans la confédération, et de cours provinciales et autres tribunaux administratifs. Le gouvernement fédéral nomme les juges des cours supérieures (article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867), les provinces nomment les autres. Pour tous les procès autres que criminels, et sous réserve des exigences constitutionnelles qui s’appliquent dans certaines provinces, chaque province (et chaque territoire) peut régir la langue des procédures judiciaires, la langue des procès, la langue des procureurs et des juges, la langue des jugements et décisions et la langue des appels devant ses tribunaux. Les provinces sont aussi constitutionnellement responsables de l’aide juridique, des prisons pour les sentences de moins de 2 ans, des commissions d’examen des troubles mentaux, des psychologues et travailleurs sociaux, des tribunaux de la jeunesse et des commissions des droits de la personne.
En conséquence, la situation linguistique est très complexe et difficile à expliquer. L’accès à des services dans la langue de la minorité en matière de justice dépend parfois des lois fédérales, mais d’autres fois des lois des provinces ou territoires. Cette section se concentre uniquement sur la langue des procédures judiciaires et des tribunaux, fédéraux ou provinciaux. Tout ce qui relève de l’aide juridique, des prisons et pénitenciers, de la police (sauf quand elle émet des procédures judiciaires), de la réinsertion sociale, de l’aide aux victimes, tombe sous le coup des « services » offerts au « public ».
Cette section est subdivisée en trois parties : les exigences constitutionnelles; la législation fédérale; les provinces et territoires.
Loi constitutionnelle
En matière judiciaire, les exigences constitutionnelles s’appliquent à quatre juridictions : le fédéral, le Québec, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba.
Au palier fédéral, deux dispositions constitutionnelles sont applicables : l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et le paragraphe 19(1) de la Charte canadienne. Chacune des deux dispositions s’applique aux tribunaux établis par le Parlement du Canada, c’est-à-dire la Cour suprême du Canada, la cour fédérale d’appel, la cour fédérale et les autres tribunaux fédéraux.
Au Nouveau-Brunswick, le paragraphe 19(2) de la Charte canadienne garantit le droit d’employer le français ou l’anglais dans les tribunaux du Nouveau-Brunswick ou dans les actes de procédure qui en découlent.
La jurisprudence a indiqué que les deux dispositions, l’article 133 et l’article 19, s’interprètent de la même manière : Société des Acadiens, jugement majoritaire, le juge Beetz. Dans MacDonald, la Cour à la majorité a statué que les auteurs des procédures judiciaires émanant d’un tribunal québécois ont le droit de choisir la langue de rédaction de celles-ci. Dans Société des Acadiens, la Cour a statué que le droit d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick ou dans les actes de procédure qui en découlent, ne donne pas un droit d’être compris par les juges directement dans la langue choisie, sans l’aide d’un interprète. Dans les deux cas, il est raisonnable de présumer que la même conclusion s’applique au droit d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux fédéraux. Ces deux décisions ont adopté une interprétation littérale des articles 133 et 19 en raison du fait que les droits linguistiques sont des compromis politiques : les tribunaux ne doivent donc pas en changer la nature. Même si la règle de l’interprétation restrictive fondée sur le compromis politique a été abandonnée dans Beaulac et n’a jamais été appliquée depuis, le fonds des deux décisions est demeuré inchangé à ce jour : une personne a le droit constitutionnel d’employer le français ou l’anglais devant les tribunaux fédéraux, québécois, manitobains ou néo-brunswickois, mais pas celui d’être compris par le juge sans interprète. Un juge peut choisir de rédiger son jugement en anglais même si toutes les parties sont francophones. Une sommation judiciaire peut être émise en français même si le prévenu est anglophone. Selon la Cour suprême, si ce résultat ne satisfait pas la juridiction concernée, elle peut modifier la règle au moyen d’une loi. Nous verrons comment les lois ont modifié cette règle.
Au Québec, il existe une seule disposition applicable : l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Son interprétation a été discutée ci-haut.
Au Manitoba, la disposition applicable est l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870, qui a acquis un statut constitutionnel par l’article 5 de la Loi constitutionnelle de 1871. Cet article s’applique à tous les tribunaux manitobains. Il s’interprète de la même manière que l’article 133 ci-haut mentionné.
En dehors de ces dispositions constitutionnelles, chaque province ou territoire est libre de légiférer concernant la langue des tribunaux : Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique c Procureur général de Colombie-Britannique.
Loi fédérale
À la suite de Société des Acadiens et devant le tollé provoqué par l’absurdité de la décision (on a le droit de parler sa langue devant les tribunaux mais pas celui d’être compris!), le législateur fédéral s’est vu obligé d’intervenir. Trois lois fédérales régissent la langue des tribunaux dans les domaines de compétence fédérale : la partie XVII du Code criminel, l'article 23.2 de la Loi sur le divorce, et, bien entendu, la partie III de la Loi sur les langues officielles du Canada.
Code criminel - Partie XVII
La partie XVII du Code criminel s’applique aux accusations criminelles qui sont entendues devant les cours provinciales (tribunaux provinciaux dont les juges sont nommés par la province) ou supérieures (tribunaux créés par les provinces mais dont les juges sont nommés par le fédéral). Cela implique donc que la province nomme à ses cours provinciales assez de juges bilingues pour entendre des procès criminels dans les deux langues; que le fédéral fasse de même pour les juges des cours supérieures; que les jurés qui siègent dans des procès criminels devant les cours supérieures soient capables de suivre les procédures dans la langue dans laquelle elles se déroulent; et que la terminologie juridique soit adéquate.
L’article 530 du Code criminel indique que l’accusé a droit de demander que son procès ait lieu dans sa langue officielle. Dans Beaulac, la Cour a décidé que la « langue de l’accusé » relève d’un choix personnel; que c’est à ceux qui contestent le choix de langue par l’accusé d’en faire la preuve; et que le critère applicable est celui de la capacité par l’accusé de donner des instructions à son avocat. Dans le cas des accusés dont la langue n’est pas une des langues officielles, le juge ordonne que le procès se déroule dans la langue officielle qui permettra à l’accusé de témoigner le plus facilement, ou dans les deux si les circonstances le justifient (article 530(2)). Le juge devant qui l’accusé comparaît pour la première fois doit veiller à ce que l’accusé soit informé de son droit (article 530(3)). Le défaut d’aviser l’accusé à sa première comparution conduit è un nouveau procès : R c Mackenzie. Si l’accusé ne présente aucune demande, mais que le juge devant qui l’accusé devra subir son procès est convaincu qu’il sera dans le meilleur intérêt de la justice que l’accusé subisse son procès devant un juge qui parle sa langue ou, si la langue de l’accusé n’est pas une des deux langues officielles, la langue officielle qui permettra à l’accusé de témoigner plus facilement ou, selon les circonstances, les deux langues officielles, alors il renverra l’accusé devant un juge qui parle la ou les langues en question (article 530(4)). Une ordonnance de procès dans une langue peut être modifiée pour que le procès ait lieu dans les deux langues officielles, ou vice-versa (article 530(5)), notamment si des co-accusés doivent subir leur procès ensemble et qu’ils ne parlent pas la même langue officielle (article 530(6)). C’est ce qu’on appelle des « procès bilingues ». La Cour d’appel de l’Ontario a jugé que dans le cas d’une enquête préliminaire bilingue, chaque co-accusé a droit à une procédure qui se déroule dans sa propre langue; autrement dit tout doit se dérouler dans les deux langues, et un manquement à cette obligation a conduit la Cour à annuler une citation à procès à la suite d’une enquête préliminaire (R c Munkunda).
Dans le cas d’un procès bilingue, le juge peut, au début du procès, rendre une ordonnance stipulant dans quelle mesure chaque langue officielle sera utilisée par lui et par le procureur (article 530(2)).
Quand une ordonnance est rendue, si l’accusé ne peut pas subir son procès dans la circonscription judiciaire normale, le juge peut transférer le dossier dans une autre circonscription de la même province, sauf au Nouveau-Brunswick (article 531)
Ce droit est absolu et les considérations administratives ne sauraient en empêcher la réalisation.
En cas de violation, un nouveau procès sera ordonné par les tribunaux d’appel : R c Beaulac. Dans un cas du Nouveau-Brunswick, la Cour a exclu la preuve recueillie en violation des droits linguistiques selon l’article 24(2) de la Charte, ce qui a conduit à l’acquittement de l’accusé : R c. Losier.
Lorsqu’une ordonnance est rendue, elle entraîne des conséquences linguistiques pour l’enquête préliminaire et le procès, mais non pour les appels; dans ce cas, c’est le régime linguistique provincial qui s’applique.
En vertu de l’article 530(1), un poursuivant public doit faire traduire dans la langue de l’accusé tout passage des dénonciations et actes d’accusation rédigés dans l’autre langue officielle; au cas de divergence entre la traduction et l’original, ce dernier fait foi du contenu.
Les droits conférés lorsque est rendue une ordonnance linguistique sont les suivants, tel qu’énumérés à l’article 530(1) :
1. L’accusé et son avocat peuvent employer une ou l’autre langue officielle;
2. Les témoins peuvent témoigner dans une ou l’autre des langues officielles;
3. Exceptionnellement, le juge peut autoriser un procureur à interroger ou contre-interroger un témoin dans la langue officielle de celui-ci, même si ce n’est pas la même que celle de l’accusé;
4. L’accusé a droit à un juge et un procureur qui parlent sa langue, ou les deux selon le cas;
5. Le tribunal doit fournir des services d’interprétation à l’accusé, son avocat et les témoins;
6. Le dossier comporte l’ensemble des débats ainsi que la transcription de l’interprétation s’Il y a lieu;
7. Le jugement est rendu disponible dans la langue de l’accusé.
L’article 638(1)f) permet au poursuivant ou l’accusé de demander la récusation de tout candidat juré au motif qu’il ou elle ne parle pas la langue officielle du procès ou les deux, selon le cas, lorsqu’une ordonnance sous l’article 530 a été prononcée. Selon l’arrêt Wilkins, il faut normalement procéder au cas par cas.
Enfin, les parties pré-imprimées des formulaires utilisés en droit criminel doivent être dans les deux langues (article 849(3)).
Loi sur les langues officielles du Canada - Partie III
Sous le titre « Administration de la justice », la partie III de la Loi sur les langues officielles du Canada vise tous les tribunaux fédéraux.
L’article 14 précise que le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux et que chacun peut employer l’une ou l’autre dans toutes les affaires et dans les actes de procédure.
L’article 15 indique que le tribunal doit veiller que les témoins puissent témoigner dans la langue officielle de leur choix; les tribunaux doivent aussi fournit l’interprétation simultanée pour l’audition des témoins, ou si l’affaire présent une importance pour le public ou que c’est souhaitable pour l’auditoire. Ces termes n’ont jamais été interprétés en jurisprudence.
L’article 16 est d’un grand intérêt. Il précise que le juge qui entend l’affaire comprenne la langue du procès, ou les deux quand les parties ont opté pour employer chacune; mais cette règle ne s’applique pas à la Cour suprême du Canada. Dans Société des Acadiens et dans Caron, la Cour suprême a indiqué qu’une telle exigence pour la Cour suprême pourrait nécessiter une modification constitutionnelle. La procédure par laquelle les candidates et candidats pour un poste doivent démontrer un certain degré de bilinguisme ne va pas aussi loin : c’est une procédure administrative, pas une règle de droit, et elle ne s’applique pas aux juges en fonction, de sorte que sa constitutionnalité n’est pas douteuse.
L’article 17 impose à la cour suprême du Canada, à la cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale l’obligation d’adopter des règles de pratique et procédure leur permettant de rencontrer leurs obligations. Toutes l’ont fait : règle 11 des Règles de pratique de la Cour suprême du Canada; règles 314(2)f) et 347(3)f) des règles des cours fédérales.
L’article 18 impose aux procureurs et avocats fédéraux d’utiliser la langue des parties, ou sinon celle qui est la plus justifiée dans les circonstances.
L’article 19 précise que les imprimés sont dans les deux langues officielles, ou dans une langue si une traduction est disponible sur demande. Ils peuvent être remplis dans une langue, mais une traduction peut être obtenue par l’auteur.
L’article 20 vise les décisions. Il n’est pas tellement clair. Le paragraphe 20(1) pose le principe et le paragraphe 20(2) établit des exceptions, mais en l’absence d’un règlement ou de décisions judiciaires ayant interprété ces termes, nul ne sait ce qu’ils signifient en pratique. Selon le paragraphe 20(1), la règle générale veut que les décisions, incluant les motifs, sont « mis à la disposition du public » (et non « publiés ») simultanément dans les deux langues officielles, dans deux cas : a) quand le point de droit présente un intérêt (quel intérêt?) ou de l’importance (qu’est-ce qui est important?) pour le public (qui décide?); ou bien b) quand les débats se sont déroulés, « en tout ou en partie » (quelle partie? Un peu? Un seul mot?) dans les deux langues, ou encore que les actes de procédure ont été rédigés « en tout ou en partie » dans les deux langues (même question). Selon le paragraphe 20(2) qui définit l’exception, deux situations semblent permettre que la décision soit « rendue » (et non plus « mise à la disposition du public » comme dans le paragraphe 20(1)) dans une langue, puis dans l’autre « dans les meilleurs délais » (qu’est-ce qu’un « meilleur » délai? Est-ce la même chose pour une décision de 5 pages ou de 200?). Ces deux situations sont : 1) si le tribunal estime que l’établissement, selon l’al 1a) (c’est-à-dire, rappelons-le, quand le point de droit présente de l’intérêt ou de l’importance pour le public), d’une version bilingue entraînerait un retard préjudiciable à l’intérêt public (qu’est-ce qui serait préjudiciable à l’intérêt public?), ou 2) causerait une injustice ou un inconvénient grave à l’une des parties (qu’est-ce qui serait injuste? Qu’est-ce qui pourrait devenir un inconvénient grave? Qui décide?).
Un seul arrêt porte sur cet article 20 : il s’agit de Devinat c Canada. La cour fédérale a décidé qu’en l’absence de preuve relative à l’exception, toutes les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié devaient être bilingues simultanément. En réaction à ce jugement, la Commission a préféré cesser de publier ses décisions.
Il conviendrait que le gouvernement fédéral adopte un règlement pour préciser l’application de cette disposition.
Lois des provinces et territoires
Rappelons que les provinces et territoires sont responsables de la langue des procédures civiles et quasi-pénales devant leurs tribunaux, mais qu’elles doivent respecter les règles du Code criminel en ce qui a trait aux procès criminels devant leurs tribunaux. Si le litige a lieu devant un tribunal de la province et concerne une loi fédérale autre que criminelle (par exemple, le divorce), mais que le parlement fédéral n’a pas imposé de règles concernant la langue des procédures, on applique alors le régime linguistique provincial puisqu’on est devant un tribunal provincial, même pour les tribunaux provinciaux dont le fédéral nomme les juges.
Alberta
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : art. 3 de la Provincial Offences Procedure Act, RSA 2000, c. P-34. Cependant, le Languages in the Court Regulation précise que devant tout tribunal albertain, si un défendeur veut employer le français dans ses communications orales, il doit en donner avis. Un juge peut aussi ordonner qu’un procès soit tenu en français à la demande d’un défendeur et du consentement du procureur, auquel cas les traductions vers le français des documents soumis par la poursuite en anglais seront aux frais de la poursuite et la traduction vers le français des documents soumis par la défense en anglais sera aux frais du défendeur. Enfin, l’article 4 prévoit la possibilité de tenir un procès dans les deux langues, sur demande du défendeur et avec le consentement du procureur.
L’article 110 de l’ Acte des Territoires du Nord-Ouest, qui autorisait l’usage du français ou de l’anglais dans les plaidoiries et procédures judiciaires devant les tribunaux territoriaux, a continué de s’appliquer en Alberta mais cette dernière pouvait l’abroger puisqu’il ne faisait pas partie de la Constitution du Canada : R c. Paquette, R. c. Mercure, Caron c Alberta. Il a été abrogé en Alberta par l’article 7 de la Loi linguistique.
Le droit d’employer le français devant la Cour d’appel, la cour du banc de la Reine ou la Cour provinciale, est limité aux plaidoiries orales : art. 4 de la Loi linguistique. Dans Pooran, la Cour provinciale a estimé que cela conférait le droit à un juge qui comprend sans interprète. Mais dans un arrêt antérieur Garcia, la Cour du banc de la Reine, un tribunal supérieur, a jugé que cela ne donnait que le droit d’utiliser la langue et de demander la traduction au bénéfice de la Cour.
Colombie Britannique
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : art. 133 du Offence Act, RSBC 1996, ch. 338.
En matière civile, l’arrêt Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique rappelle que dans cette province, une loi anglaise de 1731 impose l’anglais comme langue des procédures judiciaires (orales ou écrites) et que cette loi, jamais abrogée par la province, continue de s’appliquer. La langue française n’a aucun droit devant les tribunaux civils de Colombie-Britannique.
Manitoba
L’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870 stipule que le français ou l’anglais peuvent être employés devant les tribunaux de la province. Par application de MacDonald, l’auteur de procédures judiciaires peut les rédiger dans la langue de son choix et par application de Société des Acadiens, le juge n’est pas obligé de comprendre les procédures sans interprète.
Aucune disposition législative autre que l’article 23 précité ne vise les langues dans le domaine judiciaire. Cependant la Cour d’appel du Manitoba a adopté des règles de pratique relatives à l’usage des langues. La règle 111 permet que l’acte introductif soit rédigé en anglais ou en français. La règle 112 impose une mention bilingue qui précise la démarche à suivre et les avis à déposer. La règle 113 impose un avis dans les 21 jours de la signification du document introductif. La règle 114 est intéressante : si aucun avis n’est donné l’instance se déroulera dans la langue de l’acte introductif. La règle 115 permet à un juge de prolonger le délai. La règle 119 permet au juge ou registraire de prononcer une ordonnance relative à la langue; selon la règle 120 cette ordonnance régit l’usage du français ou de l’anglais. La règle 121 précise les modalités de traduction; la règle 122 indique que l’ordonnance peut exiger du procureur général qu’il fournisse l’Interprétation simultanée. Selon la règle 124, quand une ordonnance a été rendue, le jugement et ses motifs peuvent être émis dans les deux langues. Enfin selon la règle 125, si une ordonnance a été rendue, les certificats de décision et ordonnances sont dans les deux langues; sinon, ils sont dans la langue de l’acte introductif d’instance.
La partie IX de la Charte de la ville de Winnipeg impose certaines obligations linguistiques dans des secteurs désignés de la ville. Dans R c Rémillard, la Cour d’appel a statué qu’une contravention routière émise après un photo-radar sis dans un secteur désigné se devait d’être bilingue non seulement dans ses parties pré-imprimées mais aussi dans son libellé, en sorte que les accusés ont été acquittés de l’infraction.
Nouveau Brunswick
La Loi sur les langues officielles contient diverses dispositions relatives à la langue des tribunaux.
L’article 16 précise que le français et l’anglais en sont les langues officielles. L’article 17 reprend les termes de l’article 19(2) de la Charte. L’article 18 indique que nul ne peut être défavorisé de son choix linguistique. L’article 19 impose au tribunal de comprendre sans interprétation la langue officielle choisie, ou les deux le cas échéant. L’article 20 permet aux personnes accusées d’une infraction à une loi provinciale de choisir la langue du déroulement des procédures. On doit l’en informer par le juge qui préside avant d’enregistrer son plaidoyer. L’accusé a droit de se faire comprendre par la Cour sans interprétation.
L’article 21 permet aux témoins de témoigner dans la langue officielle de leur choix. Sur demande d’une partie ou du témoin, le tribunal offre la traduction.
L’article 22 impose aux avocats du gouvernement de choisir la langue de l’autre partie, ou, selon l’article 23, celle qui est le plus justifié dans les circonstances. Dans Charlebois c Saint-John (ville), la Cour suprême a déterminé que cette disposition ne s’applique pas aux municipalités en matière civile : celles-ci peuvent choisir la langue de leurs procédures et plaidoiries selon l’article 17.
L’article 24 reprend les éléments de l’article 20 de la loi fédérale : les jugements sont publiés (plutôt que « mis à la disposition du public ») dans les deux langues quand le point de droit présente de l’intérêt pour le public, ou quand les deux langues ont été utilisées. Dans les autres cas, ou lorsqu’il y aurait préjudice à une partie ou qu’un retard serait contraire à l’intérêt public, la décision est publiée dans une langue puis dans l’autre. L’article 25 est à noter : les décisions de la Cour d’appel sont présumées rencontrer les conditions de l’article 24, elles doivent donc normalement être publiées simultanément dans les deux langues. Enfin l’article 26 mentionne que les décisions publiées dans une seule langue sont quand même valides.
Le règlement 85-165 prévoit une procédure de certification des traducteurs et la valeur judiciaire des documents traduits.
Le règlement 86-2 prévoit la procédure à suivre quand un interprète est requis.
Terre-Neuve et Labrador
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : Provincial Offences Act, SNL 1995, ch. P-31.1, art. 6. Aucune loi ou règle provinciale ne traite de la langue des procédures. Par défaut, les procédures se déroulent en anglais.
Territoires du Nord-Ouest
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : Loi sur les poursuites par procédures sommaires, LRTN-O 1988, c. S-15, art. 2.
En matière civile, la Loi sur les langues officielles des TNO, telle que modifiée, contient des dispositions relatives aux instances judiciaires. Notons qu’en vertu de l’article 4 de cette loi, il y a onze langues officielles : l’anglais, le français, le chipewyan, le cri, l’esclave du nord, l’esclave du sud, le gwich’in, l’innuinnaqtun, l’inuktituk, l’inuvialuktun et le Tichlo. En pratique seuls le français et l’anglais sont sur un pied d’égalité, les langues autochtones jouissent d’un traitement juridique adapté au contexte. En matière d’usage du français et de l’anglais devant les trbunaux territoriaux, ces dispositions reprennent le régime fédéral.
L’article 9 reproduit l’article 15 de la loi fédérale : chacun peut employer le français ou l’anglais devant les tribunaux et les actes de procédure. Le paragraphe 9(2) accorde le droit d’utiliser les 7 autres langues devant les tribunaux. Le paragraphe 9(3) permet au tribunal d’assurer de l’interprétation d’une langue officielle à d’autres, s’il l’estime d’importance ou souhaitable pour le public.
L’article 10 reproduit l’article 20 de la loi fédérale : les décisions sont rendues (et non « publiées » ou « mises à la disposition du public ») en français et en anglais quand le point de droit présente de l’importance pour le public, ou que les débats se sont déroulés dans les deux langues. L’exception du paragraphe (2) permet la traduction ultérieure su le retard causé par la traduction entraînerait un retard préjudiciable à l’intérêt public ou causerait un préjudice à une partie. Le paragraphe 10(4) prévoit que les décisions sont aussi enregistrées sur bande magnétique dans une ou plusieurs des autres langues officielles, et des copies en sont fournies sur demande quand la décision tranche un point de droit d’intérêt public, qu’il est possible de la fournir, et que la communication aura pour effet d’accroître la connaissance du public.
Nouvelle-Écosse
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : Summary Proceedings Act, RSNS 1989, ch. 150, art. 7.
Aucune disposition législative ne régit la langue des procédures civiles. La langue d’usage est l’anglais.
Nunavut
La Loi sur les langues officielles du Nunavut indique qu’il y a trois langues officielles dans le territoire : le français, l’anglais et la langue inuit. Elle contient certaines mesures relatives aux tribunaux judiciaires et quasi-judiciaires.
L’article 8 permet l’usage de toute langue officielle, y compris la personne qui préside l’audience et peu importe le niveau de bilinguisme. Une partie ou un témoin ont aussi le droit de demander et recevoir un service d’interprétation dans sa langue officielle préférée et d’en être avisée.
L’article 9 donne le droit à « toute personne devant un organisme judiciaire ou quasi-judiciaire »de demander et recevoir une traduction, imprimée ou en version sonore, de la version définitive d’un jugement. Le droit est étendu au public quand le point de droit présente de l’intérêt pour le public, pour la communauté de langue officielle en question, pour un participant ayant utilisé la langue officielle en question. Le paragraphe 9(3) reprend les exceptions à la simultanéité du fédéral et du Nouveau-Brunswick (préjudice à l’intérêt public ou injustice à l’endroit d’une partie). Le paragraphe 9(4) maintient la validité des décisions rendues dans une seule langue.
L’article 10 permet à la Cour d’appel et à la Cour du Nunavut d’adopter des règles de pratique pour la mise en œuvre de ces droits. L’article 38(1)c) permet au commissaire en conseil d’adopter un règlement de mise en œuvre pour les autres organismes judiciaires ou quasi-judiciaires.
Ontario
La Loi sur les tribunaux judiciaires contient des dispositions relatives à la langue des procès.
L’article 125 précise que le français et l’anglais sont les langues officielles des tribunaux de l’Ontario; mais les instances se déroulent en anglais, sauf si la loi autorise l’usage du français.
L’article 126 organise les « instances bilingues ». Dans un tel cas, deux situations se présentent : celles qui se déroulent dans des régions désignées (qui ne correspondent pas aux régions désignées pour les services), et dans tous les cas.
Les droits linguistiques applicables dans tous les cas sont
paragraphe 126(2) :
1.Les audiences sont présidées par un juge qui parle les deux langues
3.Pour les audiences sans jury, les témoignages sont reçus, enregistrés et transcrits dans leur propre langue
5.Le témoignage oral donné hors de la présence du tribunal est reçu, enregistré et transcrit dans sa propre langue
7.Une partie peut déposer des actes de procédure et d’autres documents en français si les parties y consentent, en dehors des régions désignées
8.Les motifs de la décision sont rédigés dans une ou l’autre langue
9.Sur demande d’une partie ou d’un avocat qui parlent français mais pas anglais ou vice-versa, le tribunal fournit un interprète de ce qui est donné oralement dans l’autre langue en vertu des points 2 et 3, et la traduction des motifs d’une décision rédigée dans l’autre langue.
126(2.1) Dans une poursuite quasi-pénale, le procureur parle les deux langues
126(3) Les appels d’une instance bilingue sont présidés par des juges bilingues
126(4) Tout document déposé par une partie, avant une audience, devant la Cour de la famille, la Cour de justice de l’Ontario, ou la Cour des petites créances, peut être déposé en français
126(5) Un acte de procédure dans une instance criminelle, ou devant la Cour de la famille, ou la cour de justice, peut être rédigé en français
126(6) Le tribunal fournit une traduction d’un document rédigé dans l’autre langue selon les paragraphes (4) ou (5), à la demande d’une partie
126(7) Dans une instance devant jury hors d’une région désignée, si une personne qui se représente seule ou un témoin parlent français, le tribunal fournit une interprétation en anglais
Certaines règles visent les procès devant jury dans des régions désignées :
126(2)
2.Les jurés parlent les deux langues
3.Les témoignages sont reçus, enregistrés et transcrits dans la langue dans laquelle ils sont donnés.
Enfin une règle vise des régions désignées, autres que celles qui le sont pour les fins des procès par jury : une partie peut y déposer tout document en français, sans consentement des autres (126(2) point 6.)
Île-du-Prince-Édouard
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : Summary Proceedings Act, RSPEI 1988, c. S-9, art. 4(1).
Il n’existe aucune disposition législative relative aux procès civils. La langue de fonctionnement des tribunaux est, en pratique, l’anglais.
Québec
L’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule que le français ou l’anglais peuvent être employés devant les tribunaux de la province. L’article 7(4) de la Charte de la langue française donne à toute personne le droit d’employer le français ou l’anglais « dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux du Québec et dans tous les actes de procédure qui en découlent ». Rappelons que cela ne donne pas le droit à un juge ou un procureur qui parlent cette langue ni qui la comprennent sans interprète. En matière quasi-pénale ou civile, donc, le justiciable québécois utilisant l’anglais n’a pas les mêmes droits qu’en matière criminelle.
Par ailleurs l’article 9 prévoit que tout jugement rendu par un tribunal judiciaire ou quasi-judiciaire sera traduit en anglais ou en français selon le cas, à la demande d’une partie (et non d’un témoin, journaliste ou tiers), aux frais du gouvernement. Les articles 95 à 97 prévoient un régime linguistique spécial pour les procédures judiciaires en ce qui concerne les Cris, les Inuits (selon la Convention de la Baie James) et les Naskapis (selon la Convention du Nord-est québécois).
L’article 4(i) de la Loi sur les jurés prévoit que les personnes qui ne parlent pas couramment le français ou l’anglais ne peuvent siéger comme jurés. L’article 30 indique qu’un francophone assigné à un tableau de jurés unilingue anglais qui ne parlerait pas couramment cette langue peut être transféré à un tableau unilingue français, ou l’inverse. L’article 45 permet à un indien ou inuk de siéger comme juré si l’accusé est Indien ou Inuk, même s’il ne parle pas français ou anglais.
Saskatchewan
L’article 110 de l’ Acte des Territoires du Nord-Ouest, qui autorisait l’usage du français ou de l’anglais dans les plaidoiries et procédures judiciaires devant les tribunaux territoriaux, a continué de s’appliquer en Saskatchewan, mais cette dernière pouvait l’abroger puisqu’il ne faisait pas partie de la Constitution du Canada : R. c. Mercure, Boutin c R (Saskatchewan).
La Loi linguistique de Saskatchewan prévoit, à l’article 11, que le français et l’anglais peuvent être employés devant la Cour d’appel, la Cour du banc de la Reine, la Cour provinciale et le tribunal de la sécurité routière de la province. Des règles, publiées en français et en anglais, doivent être adoptées en conséquence. Les règles de pratique de la Cour du banc de la Reine, en français, contiennent aussi les formulaires judiciaires en français; il en va de même des règles de la Cour d’appel.
Yukon
En matière quasi-pénale (infractions réglementaires, infractions routières, etc…), la partie XVII du Code criminel est rendue applicable aux poursuites provinciales : Loi sur les poursuites par procédure sommaire, LRY 2002, c. 210, art. 7.
En matière civile, l’article 5 de la Loi linguistique du Yukon, L.R.Y. 2002 ch. 133, reproduit l’article 19 de la Charte. Notons que le français et l’anglais n’y sont pas déclarées langues officielles dans le territoire. Dans Halotier, 2007 YKCA 12, la Cour d’appel du Yukon a jugé que cette disposition donne le droit de déposer ses documents en français, d’utiliser le français dans les communications avec le greffe de la Cour, de voir ses paroles enregistrées en français, que le procès-verbal de l’audience doit inclure les témoignages dans la langue dans laquelle ils ont été présentés, et que les règles de pratique doivent être en français. Cependant, il ne donne pas droit à un juge ou un procureur qui comprend les parties sans interprète.