Agir, bénévolement
Par Mike Foster
Publié le mardi 15 décembre 2015
D’ici la fin de l’année, 10 000 réfugiés syriens, devraient arriver au Canada dans le cadre du plan du nouveau gouvernement de réinstaller 25 000 réfugiés d’ici mars 2016; de ce nombre, plusieurs seront parrainés par des groupes privés. Des diplômés de l’Université d’Ottawa ne ménagent pas leurs efforts pour trouver des façons de donner un refuge à ceux qui ont déjà tant souffert. Ils récoltent maintenant les fruits de ces efforts
Selon Emily Bates (B. Sc. soc. 2009), directrice du Carrefour des réfugiés à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, la couverture médiatique a soulevé « un vaste mouvement de soutien et de mobilisation » parmi les Canadiens, qui par centaines ont tout à coup souhaité intervenir en mettant sur pied des groupes de parrainage privé, en particulier après la diffusion des photos du petit Alan Kurdi, trois ans, échoué sans vie sur une plage turque.
Ayant consacré sa carrière à l’aide aux réfugiés et à la recherche sur le droit des réfugiés, Emily Bates est passée à l’action avec la professeure de l’Université d’Ottawa Jennifer Bond, fondatrice et directrice du Carrefour des réfugiés, qui offre divers programmes sur les réfugiés. Faisant appel à leurs relations au sein de l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés, de la section des réfugiés de l’Association du Barreau canadien et aussi dans le secteur privé, les deux femmes ont entrepris de recruter des avocats disposés à aider gratuitement les groupes à s’y retrouver dans le système complexe du parrainage privé de réfugiés. C’est ainsi que fut mis sur pied, avec le concours d’un petit noyau de collaborateurs, dont Katie Black (LL. B. 2009), Anne Levesque (LL. B. 2007) et Yan Zawiska (LL. B. 2010, LL. M. 2014), le Programme d’appui au parrainage (PAP) de réfugiés de l’Université d’Ottawa.
« L’idée derrière le PAP était de mettre les Canadiens désireux de parrainer des réfugiés en contact avec des avocats expérimentés et des étudiants en droit capables de soutenir le processus », dit Emily Bates, qui ajoute que des avocats spécialisés en droit des réfugiés sont déjà en train d’en former d’autres dans le but d’accroître le soutien juridique disponible.
« Les avocats fournissent les compétences nécessaires pour manœuvrer à travers les processus bureaucratiques, remplir des formulaires compliqués et veiller à ce que tout soit fait dans les règles de l’art, de manière à augmenter les chances de succès des groupes de parrainage privé, et de donc de faire venir un plus grand nombre de réfugiés au Canada rapidement », explique-t-elle.
Mentionnons que la professeure Bond a récemment été nommée conseillère spéciale auprès du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, John McCallum, pour aider à faire progresser le plan d’accueil des réfugiés du gouvernement canadien.
La création du PAP ne représente qu’une partie de la réponse de l’Université d’Ottawa au drame des réfugiés fuyant la guerre en Syrie et dans d’autres pays. En septembre, l’Université a promis 200 000 $, lesquels serviront à soutenir le PAP ainsi qu’à financer au moins cinq nouvelles bourses destinées aux réfugiés étudiants, de même qu’un nouveau programme d’études post‑secondaires de 16 mois sur la mobilisation communautaire, offert aux réfugiés syriens au Liban par l’Université d’Ottawa et l’Université américaine de Beyrouth. L’Université invite par ailleurs les donateurs à verser une somme équivalente pour soutenir son initiative.
Le PAP et la Faculté de droit ont également décidé de former une nouvelle génération de défenseurs des droits des réfugiés. Quinze étudiants en droit suivent actuellement un cours de recherche en common law qui leur donnera une expérience de terrain en matière d’aide aux groupes de parrainage privé. Les étudiants, comme Assma Basalamah, dont une partie de la famille, originaire de Syrie, vit actuellement dans une situation précaire en Jordanie, et Mayoori Malankov, venue du Sri Lanka au Canada à titre de réfugiée lorsqu’elle avait deux ans, y sont associés à des avocats bénévoles. Les travaux de cours comprennent la rédaction, à l’intention des avocats, d’un manuel sur les aspects juridiques du parrainage privé, le recrutement de traducteurs bénévoles et d’interprètes de l’arabe susceptibles d’aider à présenter les demandes et la visite d’écoles secondaires pour faire de la sensibilisation sur la question des réfugiés.

Le 1er octobre, plus de 450 personnes faisant partie de 150 groupes de parrainage privé ont participé à une séance d’aide juridique à l’hôtel de Ville d’Ottawa, dans le cadre du Forum public du maire Jim Watson sur le parrainage des réfugiés syriens. Environ 50 avocats bénévoles ont pu y être jumelés avec ces groupes. En quelques jours, le PAP a pu recruter à Ottawa 75 avocats prêts à offrir leurs services gratuitement, dit Emily Bates. Depuis, l’initiative a rapidement pris de l’ampleur, près de 1 000 avocats bénévoles se proposant pour recevoir la formation et rencontrer des groupes de parrainage à Toronto, Edmonton, Calgary, Saskatoon, Vancouver et Victoria.
Katie Black, avocate plaidante en droit civil qui exerce en pratique privée chez Caza Saikaley à Ottawa, se charge de mobiliser les avocats bénévoles pour le PAP. Elle a été poussée à agir, dit-elle, après s’être sentie « désespérément impuissante » en regardant les bulletins d’information sur les réfugiés syriens, qui l’amenaient à imaginer ses propres enfants et son mari dans la même situation. En septembre, pendant qu’elle écoutait, en se rendant au travail, une émission de radio traitant des obstacles bureaucratiques à l’obtention d’un asile sûr au Canada, le déclic s’est fait pour elle.
« Comme je suis quelqu’un de très pragmatique, une idée s’est imposée à moi : remplir un formulaire, c’est facile pour nous, avocats. C’est ce que nous faisons pour vivre. Nous comprenons le langage bureaucratique et nous savons comment présenter des documents dans les règles », explique-t-elle. « Je crois que les avocats ont le devoir d’être des guides pour la collectivité, un peu comme les médecins, et de contribuer à son bien-être. Il est rare qu’on ait, en tant qu’avocat, l’occasion de contribuer activement à atténuer une crise internationale. »
Elle a donc communiqué avec l’Hôtel de Ville pour suggérer de mettre sur pied une séance d’aide juridique lors du forum organisé par le maire, puis avec la professeure Bond pour trouver des avocats spécialisés en droit des réfugiés qui accepteraient d’y participer. Tous les efforts ont ainsi convergé vers un même but.
Pendant les séances de formation données par les avocats, Katie Black raconte avoir appris que certaines demandes étaient parfois refusées en raison de toutes petites erreurs, ou parce qu’on avait omis d’y mentionner un membre de la famille. La nécessité d’établir un historique d’emploi et d’énumérer les adresses de chaque adulte au cours des dix dernières années constitue également une énorme difficulté.
Laila Demirdache (LL. B. 1997, LL. L. 1998) est l’une des avocates spécialisées en immigration et en droit des réfugiés impliquées dans l’aide aux groupes de parrainage.
Elle travaille pour la Clinique juridique communautaire à Ottawa et a déjà travaillé, à l’étranger, pour le Programme des Nations Unies pour le développement, au Cap-Vert. C’est dans ce pays, à l’âge de 30 ans, qu’elle a décidé de faire des études de droit. Elle a voulu devenir avocate, raconte-t-elle, justement pour travailler dans le domaine des réfugiés et de l’immigration. Sa motivation lui est venue en partie de l’expérience qu’elle a vécue en aidant quatre jeunes réfugiés du Liberia, abandonnés à eux-mêmes au Cap-Vert après avoir été retrouvés comme passagers clandestins sur un navire à destination des États-Unis. Un jour, après un an passé au Cap-Vert, les quatre hommes ont disparu sans laisser de traces.
« J’ai commencé à faire du bénévolat à la Clinique juridique communautaire au cours de ma première année de droit. Je voulais être sûre que le droit était le bon choix pour moi », dit-elle. Elle ajoute qu’elle n’avait pas l’intention de pratiquer le droit au Canada et qu’elle voulait se concentrer ses efforts à aider les autres. Son diplôme en poche, elle a passé 17 mois en Éthiopie pour le Comité international de la Croix-Rouge comme déléguée à la protection. À son retour au Canada, elle a commencé sa pratique en droit de l’immigration et des réfugiés à la clinique où elle était bénévole pendant ses études.
Laila Demirdache a été jumelée avec deux groupes de parrainage privé. Avec 30 de ses voisins de Chelsea, au Québec, elle fait par ailleurs partie d’un groupe qui parrainera une famille syrienne. Ce groupe est piloté par Isabelle Solon-Helal (LL. L. 1994), une autre diplômée de l’Université d’Ottawa.
Beaucoup d’autres diplômés de l’Université d’Ottawa ont également décidé d’agir. C’est le cas de Krissi Michaud (B.A. 2003, B.A. 2004, maîtrise en interprétation de conférence 2005) et de Carly Johnson (maîtrise en interprétation de conférence, 2013), qui, avec de nombreux autres diplômés, font partie d’un autre groupe de parrainage.
Comme l’explique Krissi Michaud, ce groupe travaille en collaboration avec un organisme signataire d’une entente de parrainage, l’Église anglicane, qui a accès à une liste de réfugiés sur le point d’être acceptés au Canada. Le groupe a réuni plus de 24 000 $ et s’est vu adjoindre, dans la foulée du forum du 1er octobre, un avocat qui l’aidera dans le processus. Carly Johnson ajoute que le groupe a été jumelé avec une famille de quatre personnes – un père, deux filles et une mère enceinte – qui devraient arriver au pays d’ici Noël.
Le plan en cinq phases du gouvernement prévoit la réinstallation de 15 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement d’ici mars 2016 et de 10 000 réfugiés parrainés par le secteur privé. L’engagement se poursuivra en 2016 pour atteindre la cible de 25 000 réfugiés pris en charge par le gouvernement. Beaucoup de gens comme Laila Demirdache ont bon espoir de contribuer à soulager en partie les souffrances des populations déplacées. Découvrez comment vous pouvez le faire vous aussi.
Une expertise au service des réfugiés
Bien avant que les problèmes des réfugiés ne mobilisent l’attention comme ils le font maintenant, Emily Bates avait décidé qu’elle défendrait les droits des personnes déplacées. Inscrite à un programme de premier cycle en études internationales et langues modernes à l’Université d’Ottawa, elle a étudié l’arabe et la politique du Moyen-Orient.
« Je me suis beaucoup intéressée aux différentes populations de réfugiés dans cette région, à la manière dont la politique internationale, les relations internationales et les sciences sociales traitent les enjeux en cause ainsi qu’à la dimension humaine de l’expérience vécue par les personnes concernées », dit-elle.
Elle est donc allée faire une maîtrise sur la migration forcée et les réfugiés à l’Université d’Oxford, en 2010-2011, avant de revenir travailler à l’Université d’Ottawa, comme associée de recherche pour le Forum sur les personnes réfugiées, un groupe de réflexion dirigé par le professeur Peter Showler. En 2012, elle a été embauchée comme directrice du tout nouveau Projet d’assistance pour les réfugiés à l’Université d’Ottawa (PARUO), qui mène de la recherche sur l’accès à la justice dans le cadre du régime d’asile et qui est financé par la Fondation du droit de l’Ontario, le CRSH et la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Récemment, le PARUO publiait un article fondamental intitulé « Troubling Signs: Mapping Access to Justice in Canada’s Refugee System Reform ». Cet article fait partie d’une étude qualitative de 40 dossiers traités par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada depuis la réforme du système d’accueil des réfugiés de 2012. Le PARUO a également produit des documents écrits et des ateliers de formation destinés à aider les travailleurs communautaires à comprendre le processus d’accueil des réfugiés et à soutenir les demandeurs du statut.
En 2015, l’Université d’Ottawa a lancé la campagne Défier les conventions, dont l’objectif est de 400 millions de dollars, pour recueillir des fonds à l’appui des priorités de chaque faculté. Cette campagne aidera l’Université à recruter les meilleurs candidats et à les retenir, et à enrichir l’expérience étudiante. Les dons serviront également à financer des projets d’immobilisations innovateurs.