Le besoin d’aider
Par Phil Jenkins
S’il est vrai que certaines des choses que l’on fait quand on est enfant donnent un aperçu du comportement que l’on aura une fois adulte, alors on peut dire que l’esprit d’entreprise s’est manifesté précocement chez Danika Gagnon (B.A. [Communications] 2008).
« Je me souviens que je fabriquais des signets pour les vendre dans la rue », raconte-t-elle. « Les autres enfants proposaient de la limonade. Moi, je vendais des signets! Je pense que j’ai toujours eu la bosse des affaires. »
En tout cas, elle semble bien l’avoir maintenant qu’elle est adulte. Avec son associé Dylan Corbett, diplômé en commerce de l’Université Bishop, elle vient tout juste de célébrer le premier anniversaire de l’entreprise qu’ils ont cofondée, The Hunger Republic, une boutique de vêtements en ligne qui verse une portion de chaque vente à l’aide aux enfants défavorisés des faubourgs de Nairobi, au Kenya.
Les deux amis ont commencé il y a environ deux ans à parler de se lancer ensemble dans les affaires. Leur objectif était de faire plus que de l’argent : ils souhaitaient aussi intégrer à leur plan d’affaires la mission d’aider des gens dans le besoin. Dylan Corbett ayant déménagé en Alberta, leurs discussions informelles sur le sujet ont fait place à des séances-marathons de remue-méninges sur Skype, certaines d’entre elles se prolongeant jusqu’à trois heures du matin.
La mission et la marque de The Hunger Republic n’ont véritablement pris forme qu’à la suite d’un voyage de randonnée effectué par Dylan Corbett en Afrique. Par l’entremise de sa tante, ce dernier a fait la connaissance du Kenyan Martin Kibera, charismatique ancien joueur de football et fondateur, dans un quartier pauvre de Nairobi, d’un organisme de bienfaisance appelé le Gatina Youth Empowerment Project (GYEP). En faisant du bénévolat auprès de ce groupe pendant une semaine, le jeune homme a pu constater en personne à quel point même de petites sommes d’argent et d’autres formes d’aide pouvaient changer les choses dans une collectivité comme celle de Gatina. Danika Gagnon et lui ont alors décidé que c’est sur Gatina qu’ils devaient concentrer leur aide.
La collection de vêtements de The Hunger Republic, qui comprend – pour le moment –des t-shirts, des leggings ou des casquettes, propose un design minimaliste, épuré et discret, avec un logo blanc sur fond noir. Lorsqu’un client fait un achat en ligne, il peut verser un don directement au GYEP en choisissant le domaine qui l’intéresse : alimentation, éducation, sports ou développement communautaire.
« Nous voulions nous assurer de leur donner des outils qui leur permettraient de croître de manière durable », explique Danika Gagnon.

Dylan Corbett en compagnie de jeunes joueurs de soccer du Gatina Youth Empowerment Project (GYEP) à Nairobi, au Kenya. Photo : The Hunger Republic
Les dons versés dans les différentes catégories procurent aux enfants des collations nourrissantes dans le cadre d’un programme parascolaire, des fournitures scolaires ou de l’équipement sportif. L’argent consacré au développement communautaire, quant à lui, est envoyé à une ferme où l’on fait pousser des légumes. Les cultivateurs conservent une partie des récoltes pour leur propre consommation, le reste est vendu au marché et les profits retournent au GYEP.
Selon Martin Kibera, directeur de cet organisme, la collectivité apprécie réellement les fonds qu’elle reçoit de The Hunger Republic.
« Les enfants reçoivent de l’aide pour acheter les livres nécessaires à leur scolarité. Après l’école, le week-end et les jours fériés, ils ont aussi la possibilité de participer à des séances d’entraînement et à des matchs de football, ce qui les passionne et leur donne une motivation positive. »
The Hunger Republic reste une petite entreprise, mais sa notoriété grandit peu à peu. Les deux fondateurs ont récemment été mis en nomination pour un prix Postes Canada pour l’innovation en cybercommerce, ce qui place leur entreprise parmi les cinq meilleures de sa catégorie. Ils ont aussi été choisis comme lauréats régionaux du Québec – dans la catégorie développement durable, commanditée par TELUS – aux prix Startup Canada 2015, qui récompensent l’excellence dans la promotion de l’entrepreneuriat au pays. Ils accèdent maintenant aux finales nationales, dont les lauréats seront annoncés à Toronto en décembre 2015.
La prochaine étape consistera pour eux à élargir leur collection de vêtements et à chercher de nouveaux organismes de bienfaisance à soutenir. Ils comptent pour l’instant sur les médias sociaux, le bouche-à-oreille et les activités de publicité croisée pour générer du trafic sur leur site.
« Ce qui est bien, de nos jours, quand on est entrepreneur, c’est qu’on a tellement d’outils à notre disposition. Nous avons mis sur pied notre propre site Web en utilisant Shopify, et je trouve qu’il est vraiment pas mal. Les entreprises en démarrage sont très nombreuses. Pour se démarquer et se faire connaître, il faut se trouver une niche ou une voix particulières. C’est l’un de nos plus grands défis », dit Danika Gagnon.
Et c’est un défi, ajoute-t-elle, que sa formation en communications l’aide à relever. (Danika Gagnon travaille comme agente de relations avec les médias à l’Université d’Ottawa). Bien qu’elle n’ait suivi qu’un seul cours de commerce à l’université, le fait d’avoir travaillé en relations avec les médias confère un avantage.
« Ça m’a habituée à synthétiser un argumentaire de vente en dix secondes. Qu’il s’agisse d’expliquer ce que nous faisons aux médias, à un client potentiel ou encore à des investisseurs, je pense que je suis devenue experte en la matière. J’arrive à susciter rapidement l’intérêt. »
Les deux associés sont conscients que leur entreprise n’est pas la seule à avoir une conscience sociale. Mais comme le souligne Danika Gagnon, les grandes sociétés confient souvent les questions de ce genre à des fonctions distinctes. Les bonnes actions de The Hunger Republic, elles, sont intégrées à chaque transaction effectuée par un client. Celle qui a fait ses débuts en vendant des signets dans la rue espère maintenant que les gens seront nombreux à mettre en signet le site Web de son entreprise.
« Le public est de plus en plus sensibilisé aux enjeux sociaux à l’échelle mondiale. Les réseaux sociaux et Internet contribuent à diffuser l’information à ce sujet, et les gens ressentent le besoin d’agir. S’ils ont à choisir entre une entreprise qui empochera tous ses profits et une autre qui en consacrera une partie à l’aide aux plus démunis, beaucoup de gens, je pense, privilégieront la seconde. Et puis, tout le monde a besoin de vêtements. »
Photo principale :
Danika Gagnon est la cofondatrice de The Hunger Republic, une boutique de vêtements en ligne socialement responsable. Photo : Mark Holleron