Botanique : du 60e parallèle à la planète Mars
Par Mike Foster
Niché entre les arbres aux abords du parc de la Gatineau, le Campus du patrimoine naturel du Musée canadien de la nature abrite sur ses 76 hectares quelque 10 millions de spécimens d’une grande diversité, comme en témoigne la présence de squelettes de mammouth et de météorites.
Adjoint principal à la recherche en botanique, Paul Sokoloff (M.Sc. 2010) traverse plusieurs couloirs et laboratoires pour accéder à l’une des 42 pièces hébergeant les collections du Musée canadien de la nature sur le campus. Il y ouvre l’une de quelques centaines d’armoires regorgeant de plantes séchées, toutes conservées dans des chemises en carton. Le nom latin du spécimen qu’il exhibe, Saxifraga oppositifolia, n’est pas sans rappeler une incantation tout droit sortie de l’univers d’Harry Potter.
Cette plante n’est qu’un spécimen parmi plus d’un million de végétaux préservés à l’Herbier national du Canada, dont les plus anciennes pièces remontent à 1766. Chaque chemise contient un échantillon séché et une étiquette précisant l’endroit et la date du prélèvement, le nom des personnes ayant effectué la collecte et une description de l’habitat avoisinant.
« Je gagne ma vie en tuant des plantes », plaisante Paul Sokoloff. En juin 2016, il a fait équipe avec d’autres chercheurs pour cueillir et faire sécher environ 800 végétaux dans la communauté inuite d’Arviat, sur les berges ouest de la Baie d’Hudson au Nunavut, sous l’œil vigilant de gardes armés guettant la présence d’ours polaires. L’équipe répondait alors à l’invitation du Service des parcs et des endroits spéciaux du Nunavut, qui compte aménager un nouveau parc territorial dans la région. Le chercheur en était à sa sixième expédition dans l’Arctique.
Surveiller les changements climatiques
Selon le chercheur, le catalogage rigoureux de la diversité végétale de l’Arctique est l’une des façons dont on peut surveiller les effets des changements climatiques dans cette région. Cette pratique aide également les directeurs des parcs à prendre des décisions pour protéger la flore sur les sites touristiques.

La grassette vulgaire (Pinguicula vulgaris) piège les moustiques et les petits insectes sur ses feuilles visqueuses, où ils sont digérés. Photo : Paul Sokoloff © Musée canadien de la nature
« Avant notre arrivée, les campagnes d’échantillonnage avaient été rares à Arviat, explique-t-il. Nous avons procédé au premier catalogage complet des plantes de la région. » De jour comme de nuit, l’équipe du musée – composée de Lynn Gillespie, responsable de l’expédition, de Troy McMullin, expert en lichens, de Geoff Levin, adjoint à la recherche, et de Samantha Godfrey, étudiante aux cycles supérieurs à l’Université d’Ottawa – a arpenté chaque centimètre carré de la zone inventoriée.
Ils y ont fait quelques découvertes inattendues, comme la platanthère à feuille et la corallorhize trifide, que l’on trouve habituellement dans la forêt boréale, de même que deux espèces de plantes carnivores qui se nourrissent de maringouins – la grassette et la grassette vulgaire.
L’équipe était ravie de pouvoir tisser des liens avec les aînés inuits et leur communauté. Pendant leur séjour, les chercheurs étaient hébergés dans la station de recherche de l’Institut de recherche du Nunavut à Arviat. Ruth Kaviok, une adjointe issue de la communauté locale, était présente pour leur venir en aide.
« Nous avons réellement appris à connaître la population », souligne Paul Sokoloff. « Les aînés ont partagé avec nous leurs connaissances sur les plantes et leurs usages traditionnels. » Le thé du Labrador est utilisé pour préparer des infusions. Certains végétaux ont des propriétés médicinales, tandis que d’autres n’ont de particulier que leurs arômes. En retour, l’équipe du musée présentera à la communauté d’Arviat un inventaire scientifique exhaustif qui renverra au nom inuit des végétaux et à l’utilisation qu’elle en fait.
En plus de faire sécher des spécimens, d’étudier leur ADN et de les cataloguer, Paul Sokoloff rédige un blogue destiné au grand public et contribue à concevoir des expositions. Il a notamment participé au contenu de la section sur l’Arctique dans les Jardins des paysages du Canada, un espace aménagé sur le flanc ouest du musée, à Ottawa, pour raconter l’histoire de la flore du Canada.
De toute évidence, Paul Sokoloff est satisfait de son choix de carrière. Il s’est inscrit à la Faculté de sciences de l’Université d’Ottawa pour faire sa maîtrise sous la supervision de Lynn Gillespie, aux côtés de qui il travaille aujourd’hui. Sa thèse portait sur l’astragale de Fernald, concluant qu’il s’agissait non pas d’une espèce rare en voie de disparition, mais bien d’une variation d’une espèce connue.

La corallorhize trifide (Corallorhiza trifida) est l’une des deux espèces d’orchidées cataloguées à Arviat par l’équipe de botanique du Musée. Photo : Paul Sokoloff © Musée canadien de la nature
« Avant d’arriver à l’Université d’Ottawa, je ne me serais jamais imaginé gagner un salaire pour étudier les plantes et voyager dans des régions extraordinaires du Canada! Moins de deux semaines après le début de mes études supérieures, je m’envolais pour Terre-Neuve afin de me pencher sur une première espèce végétale. Je n’ai jamais regretté mon choix. »
Botaniste sur Mars?
Paul Sokoloff est aussi chercheur à la Mars Desert Research Station de la Mars Society. En 2014, il a séjourné pendant deux semaines dans un module de simulation spatiale, dans le désert de l’Utah, en compagnie de cinq autres scientifiques venus de France, de Russie, des États-Unis et du Canada. Vêtu d’une combinaison spatiale, il recueillait des lichens. Aujourd’hui, il conseille l’équipage d’une nouvelle mission de trois mois lancée en octobre.
« La botanique sur Mars, c’est un projet personnel qui m’amuse bien, explique-t-il. J’ai enseigné au dernier équipage à effectuer un inventaire complet des lichens. Une fois tous les échantillons recueillis, ils nous les achemineront et, ensemble, nous les identifierons et publierons un article à ce sujet. En explorant la Terre, nous apprenons comment procéder sur Mars. »
S’il a déjà exploré de nombreuses contrées au nom de la botanique, Paul Sokoloff voit encore plus grand – et plus loin. S’il devait un jour se présenter une mission habitée vers la planète rouge, par exemple…
« L’aventure m’inspire. J’ai présenté ma candidature au programme des astronautes canadiens, qui a lancé un appel plus tôt cette année. J’ai décidé de me lancer – à date, ma candidature tient toujours! »

Paul Sokoloff présente un spécimen du Campus du patrimoine naturel du Musée canadien de la nature, dont les collections comptent plus d’un million de végétaux. Photo : Mike Foster
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Paul Sokoloff pendant une expédition de botanique à Cunningham Inlet, au nord de l’île Somerset du Nunavut, en 2013. Photo : Paul Sokoloff © Musée canadien de la nature