Carrières synchronisées
Par Mike Foster
La ressemblance entre Audrey et Sarah Giles est frappante, et pas uniquement sur leur visage : en effet, ces sœurs jumelles ont toutes deux embrassé une carrière dans l’humanitaire, plus précisément dans l’amélioration de la santé, l’une dans le nord du Canada, l’autre à l’étranger.
Professeure à l’École des sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa, Audrey Giles a mis sur pied des programmes de sécurité nautique dans le nord du Canada, adaptés à la culture locale, afin de réduire le nombre de noyades dans une région où ces tragédies atteignent un taux annuel de six à seize fois plus élevé que la moyenne nationale.
De son côté, Sarah Giles, chargée de cours cliniques à titre bénévole auprès de la Faculté de médecine, vient d’entamer sa quatrième mission avec Médecins sans frontières. Actuellement, elle fournit des soins médicaux aux réfugiés à bord du navire de sauvetage MV Aquarius dans la Méditerranée et elle a récemment fait les manchettes après avoir accouché une femme sur le bateau.
Les deux femmes ont toujours eu la passion de l’eau depuis toutes petites; elles rêvaient même de devenir nageuses synchronisées. Mais comme il n’existait pas de club pour cela dans les environs de Toronto (où elles ont grandi), elles sont donc devenues professeures de natation et maîtres nageuses.
Elles affirment que leur choix de carrière a été influencé par des voyages de jeunesse au nord de l’Ontario, un professeur de géographie à l’école secondaire qui les a grandement inspirées, ainsi que leur expérience en tant que sauveteuses dans les Territoires du Nord-Ouest en 1998, dans le cadre d’un programme aquatique du gouvernement.
« Alors que la plupart de nos camarades passaient l’été à Disney World, nous, on s’embarquait pour le nord de l’Ontario », raconte Audrey Giles. « On se rendait même dans des réserves, là où la chaussée se termine et les maisons délabrées commencent. Les inégalités existant au Canada nous sautaient à la figure et provoquaient en nous des questions. »
Leur sœur aînée a également beaucoup influé sur leur choix de carrière. Après avoir œuvré en faveur du développement international en Asie et en Afrique, Ceinwen Giles dirige aujourd’hui un organisme charitable au Royaume-Uni, dont la mission consiste à soutenir de jeunes adultes atteints de cancer.

Sarah Giles. Photo : Alva White
Concurrence affectueuse
Chacune des jumelles se motivait en observant l’autre : « On se disait des choses comme : “Elle fait un truc chouette cet été; moi aussi, je devrais faire pareil.” Je compare aussi la portée de mon travail avec celle du travail de Sarah et je me demande comment je pourrais faire plus. Pour moi, la vraie vie a lieu quand on quitte sa zone de confort. »
Sarah est d’accord : il arrivait aux jumelles de rivaliser gentiment.
« On nous a tellement comparées dans notre jeunesse qu’on croyait tout le temps vivre une compétition », se rappelle-t-elle, dans un courriel envoyé depuis le MV Aquarius. « Parfois, ça avait du bon, mais parfois, pas du tout. » En effet, comment éviter la jalousie quand votre jumelle vous dépasse sur la piste de course devant tout le monde!
« Nous avons tant de choses en commun, comme notre passion pour la justice sociale et l’amour des chiens », poursuit Sarah. « Nous aimons la vie au grand air et nous sommes toutes deux des lectrices voraces. Mais je crois qu’en général, Audrey est un peu plus optimiste que moi. Elle m’appelle parfois “oiseau de mauvais augure”! Cependant, je peux très bien supporter sans m’évanouir que les gens me décrivent des scènes de douleur effroyable et de sang! »
Les jumelles passent beaucoup de temps loin l’une de l’autre, mais leurs liens restent très étroits. Depuis sept ans, Sarah retourne vivre chez Audrey lorsqu’elle ne prodigue pas ses soins médicaux dans des contrées lointaines, sur la Méditerranée, au nord du Canada ou dans l’ouest de l’Australie.
Elles ont également travaillé en même temps à l’Université d’Ottawa, ce qui a entraîné des quiproquos amusants. Car bien que fausses jumelles, elles se ressemblent étonnamment. Par exemple, lorsque Sarah a travaillé au Service de santé à l’automne 2011.
« Lorsque les étudiants se présentaient, ils étaient complètement déroutés », nous a écrit Sarah. « Et plus d’une fois, j’ai dû les rassurer que notre discussion serait confidentielle et n’aurait pas la moindre incidence sur leurs notes. »
« C’est exact : nous avons accordé que Sarah ne noterait pas leurs dissertations et que moi, je ne leur prescrirais pas des médicaments », plaisante Audrey.

Sarah Giles à bord du MV Aquarius. Photo : Alva White
Première mission médicale
Les deux sœurs ont entrepris leurs missions humanitaires alors qu’elles étaient âgées d’une vingtaine d’années. À l’époque, elles avaient formé une ONG appelée Sporting Partnership of Universities and Northern Communities, qui a recueilli 1800 kilos en dons d’équipement sportif pour des villages dans le nord.
Puis, en 2005, Audrey Giles a intégré le corps professoral de l’Université d’Ottawa. Sa recherche est axée sur les peuples autochtones, la prévention des blessures et la participation des membres de communautés marginalisées aux sports et aux loisirs. Elle a également mis sur pied le programme hebdomadaire de zoothérapie, qui aide à déstresser les étudiants vivant des situations difficiles.
Sarah, quant à elle, a non seulement enseigné à la Faculté de médecine, mais a également été l’invitée d’Audrey pour son cours Health: A Global Perspective.
« Les étudiants adorent écouter ses récits », affirme Audrey. « Ils veulent savoir comment ils peuvent aider les autres, alors quand quelqu’un qui revient du Pakistan ou du Soudan du Sud leur raconte ses aventures, c’est vraiment inspirant pour eux. »

Audrey Giles montre le livre qu’elle a corédigé.
Malgré sa fierté à l’égard de sa sœur, Audrey ne peut s’empêcher de ressentir beaucoup de stress par rapport à la nature du travail de Sarah.
« Le Soudan du Sud, c’était dingue : un jour, je reçois un appel par Skype et, tout en remplissant un sac à dos, elle me dit que les choses se gâtent au front, que la guerre va éclater et qu’elle doit y aller! » se souvient Audrey.
« Après, je n’ai pas eu un mot d’elle pendant quatre jours », reprend-elle. « Elle avait dû fuir en Éthiopie, où elle est devenue très malade : typhus, dysenterie, calcul rénal, campylobactériose, infection à C. difficile… que n’a-t-elle pas eu! J’en étais tellement angoissée. »
Sarah ajoute, pour sa part : « Moi, je deviens stressée pour Audrey lorsque ses étudiants n’arrivent pas à respecter leurs échéances ou qu’ils font des histoires pour un rien! »
Découvrez la recherche d’Audrey Giles (en anglais) ainsi que ses efforts pour réduire le taux de noyades dans le nord du Canada.
Écoutez les récits bouleversants de Sarah Giles qui décrit comment elle a accouché une mère presque mourante au Soudan du Sud et aidé une autre parturiente sur un bateau de sauvetage.
Photo principale :
De gauche à droite: Sarah et Audrey Giles sont toutes deux « folles des chiens ». C’est justement Audrey qui est à l’origine du programme de zoothérapie à l’Université d’Ottawa. Photo : Rohit Saxena