Construire des ponts avec l'art
Par Brandon Gillet
Que diriez-vous de vous instruire sur les droits de la personne en suivant un atelier donné par un réalisateur primé des Premières Nations, en visitant le Centre d'art autochtone du gouvernement fédéral ou en participant à une marche autochtone cérémonielle? Les œuvres d'art sont généralement considérées comme l'expression personnelle de la pensée, des sentiments et des croyances, mais il est plutôt rare d'être invité à considérer l'art comme manifestation des droits de la personne et instrument de promotion de ces droits.
« Une image vaut mille mots, ce n'est pas nouveau, commente John Packer, directeur du Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne (CREDP) de l'Université d'Ottawa. Mais l'art a parfois aussi un pouvoir de motivation et de mobilisation supérieur à celui de l'avis juridique le mieux rédigé. »
Cet été, le Centre a inauguré un cours de courte durée visant à enseigner les valeurs des droits de la personne par l'exploration d'œuvres d'art et d'une perspective autochtone. Le professeur Packer a dirigé le cours d'été sur les arts et les droits de la personne avec son collègue de la Faculté de droit, Larry Chartrand, d'origine métisse.
L'objectif de ce cours non conventionnel et de l'exposition INDIGÉNÉITÉ + DROITS DE LA PERSONNE qui l'accompagne : susciter une profonde réflexion sur l'art comme instrument de promotion des droits de la personne.
« Ce n'est pas une exposition sur les droits de la personne, précise John Packer. Amnistie internationale organise par exemple un concert, et Human Rights Watch, un festival de films sur les droits de la personne, mais nous, nous voulons intégrer les arts et les droits de la personne. Il s'agit de faire de l'art comme instrument de promotion des droits de la personne, ce qui est un traitement plus en profondeur du sujet.
Nous avons aussi pensé qu'il serait utile d'ajouter l'idée d'indigénéité parce que les Autochtones ont généralement une perspective holistique de ces questions. Pour eux, l'art n'est pas une forme de divertissement externe; c'est simplement une façon de vivre qu'ils ont intégrée. »
Une approche interdisciplinaire
Le premier cours, tenu pendant une semaine très bien remplie en juin, s'inscrit dans le cadre d'une initiative plus vaste du CREDP visant à sensibiliser les gens aux enjeux de droits de la personne par l'entremise d'une réflexion sur diverses formes d'expression artistique. C'est l'une des nombreuses façons qu'utilise le Centre pour promouvoir la recherche et l'enseignement sur les droits de la personne, et d'intéresser un large public, à l'Université comme à l'extérieur.
Fondé en 1981, le CREDP vise l'ensemble de la communauté universitaire en ne relevant pas d'une seule faculté. Il compte parmi les membres de son corps professoral des professeurs des facultés de Droit, de Sciences sociales et des Arts, et ceux des autres facultés sont toujours les bienvenus.
« Nous essayons de mettre en valeur tout travail lié aux droits de la personne et de créer un espace collégial de collaboration interdisciplinaire autour des droits de la personne », ajoute John Packer, qui a acquis une vaste expérience des droits de la personne à l'ONU et sur la scène internationale avant d'accepter la direction du Centre en 2014.
Outre les projets de recherche qu'il chapeaute, le CREDP a organisé l'an dernier 75 activités, dont son festival du film annuel en automne. Il poursuit également sa collaboration avec des partenaires extérieurs, notamment l'Université Carleton pour le programme Scholars at Risk. Entre autres collaborateurs, mentionnons Amnistie internationale, la Commission canadienne pour l'UNESCO et la Croix-Rouge canadienne.
Une démarche peu orthodoxe
Pour le professeur Packer, le travail conventionnel en droits de la personne, qui consiste surtout à dénoncer des violations et à cataloguer les victimes, est essentiel, mais insuffisant.
« Aussi utile et important que soit ce travail, je pense qu'il y manque quelque chose et que nous devons reformuler les enjeux des droits de la personne de façon plus large et approfondie », dit-il. Dans cette optique, le CREDP a organisé l'an dernier un symposium (financé par l'ONG Internet des droits humains) pour l'aider à monter son nouveau cours d’été. Artistes, chercheurs, juristes et défenseurs des droits de la personne se sont réunis pour discuter du concept.
« Nous avons ensuite pris une année pour élaborer un bref plan de cours, explique M. Packer. Je pense que nous avons repoussé les limites pour ce qui est de défier les conventions; ce n'était pas un cours orthodoxe. Nous avons toutefois respecté les paramètres essentiels de la démarche scientifique. »
Les étudiants qui suivaient le cours pour l'obtention de crédits devaient consigner dans un journal ce qu'ils avaient retiré des activités de la journée. À la fin du cours, ils devaient également rédiger une dissertation sur les thèmes généraux de l'indigénéité, des droits de la personne et des arts. Mais le contenu du cours était novateur et livré selon des méthodes pédagogiques traditionnelles et artistiques par une gamme éclectique de présentateurs. L'un d'entre eux, par exemple, a choisi d’interpréter une histoire autochtone plutôt que de donner un cours magistral.
Parallèlement, le Centre a lancé un appel d'œuvres pour l'exposition INDIGÉNÉITÉ + DROITS DE LA PERSONNE, qui a été présentée sur le campus pendant l'été. La réaction a été exceptionnelle, des propositions affluant de tous les continents. La plupart des pièces sélectionnées par un jury qui provenaient de l'étranger ont été présentées par des photographies de haute qualité en raison du coût trop élevé de l'expédition des œuvres réelles.

Photo de Caroline Gomersall intitulée Parliament, qui fait partie de la collection Portraits des Premières Nations examinant les perceptions actuelles des peuples autochtones. De nombreuses œuvres de Mme Gomersall ont été présentées à l’exposition INDIGÉNÉITÉ + DROITS DE LA PERSONNE.
Des conférenciers de calibre mondial
John Packer souligne que l'élaboration du cours avait commencé avant la publication du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en fin d'année dernière. « Nous ne répondions donc pas réellement à la CVR, mais nous avons tout de même répondu à certains de ses appels à l'action, précise‑t‑il. Nous croyons que ce genre de cours améliore la compréhension des enjeux et nous amène à trouver des solutions pour mieux vivre ensemble, ce qui est l'essence même du rapport de la CVR. »
Parmi les deux douzaines de participants au cours, on comptait des fonctionnaires, des artistes et des membres de la communauté, ainsi que des étudiants de diverses facultés qui le suivaient dans le cadre de leur programme. L'étudiante en communications Jillian LeBlanc considère que le « groupe d'éminents intervenants » lui ont permis d'acquérir « une plus grande perspective des problèmes de droits de la personne spécifiques aux peuples autochtones et un sentiment renouvelé d'appréciation pour l'art autochtone de tous les coins du monde », ainsi qu'une « meilleure compréhension des groupes autochtones de la région [Ottawa] ».
L'étudiante en droit de l'Université de l'Alberta Komal Kumar, qui a suivi le cours en tant que simple participante (sans crédits), se remémore pour sa part « plusieurs moments durant le cours où [elle a] été bouleversée par l'histoire des peuples autochtones au Canada ». Elle ajoute qu'elle a beaucoup appris sur les enjeux autochtones. L'étudiante en droitde de l’Université d’Ottawa Caitlin Tolley, jeune leader de la réserve Kitigan Zibi, au Québec, a également beaucoup appris de ce cours et espère que d'autres initiatives semblables verront le jour.
« Le cours a dépassé nos attentes », souligne John Packer, qui prévoit que le cours de l'été prochain portera également sur un thème autochtone, en l'honneur du 150e anniversaire du Canada. « Ce que les participants ont surtout retenu de ce cours, ce sont les idées et une compréhension qui influenceront sans doute leur façon d'aborder les problèmes et les choses.
En ce sens, l'expérience a été une source d'inspiration et elle a permis aux participants de bâtir leur confiance et d'établir des relations. À mon avis, c'est précisément ce que devrait être la réconciliation. »
Photo principale:
Photo de Caroline Gomersall intitulée Warrior, qui fait partie de sa collection Portraits des Premières Nations.