Déverrouiller les secrets génétiques du cœur
Par Laura Eggertson
Chaque fois qu’elle apprend qu’un ou une jeune athlète a été foudroyé par une défaillance cardiaque sur une patinoire, un terrain de soccer ou un court de basketball, Mona Nemer est douloureusement confrontée à l’importance de son travail.
Mona Nemer, vice-rectrice à la recherche de l’Université d’Ottawa, est biochimiste et spécialiste en cardiologie moléculaire dont les recherches innovatrices visent à découvrir les gènes essentiels au développement normal du cœur – des gènes dont la mutation ou l’absence pourrait engendrer des malformations congénitales ou des maladies cardiaques.
Un des gènes identifiés par Mme Nemer et son équipe est le gène GATA4, dont le nom quelconque ne rend pas justice à son rôle vital : en effet, une défectuosité du gène GATA4 peut causer une condition appelée communication interauriculaire, c’est-à-dire l’existence d’un minuscule orifice entre les deux oreillettes du cœur.
Cet orifice est à ce point petit qu’il peut demeurer inaperçu. Cependant, une communication interauriculaire peut perturber le flux sanguin, l’oxygénation et la pression du cœur. Elle est souvent à blâmer pour l’effondrement soudain et quelquefois mortel de jeunes athlètes, par ailleurs en parfaite santé, qui ignoraient totalement leur état.
« Chaque année, on entend parler d’un joueur qui s’effondre durant une partie. Immanquablement, une défaillance cardiaque congénitale est par la suite diagnostiquée », indique la professeure Nemer, qui enseigne également à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.
L’objectif suprême : prévenir la maladie
L’identification du gène responsable est la première étape du processus qui permettra de diagnostiquer et, un jour, de prévenir la maladie cardiaque pouvant toucher les personnes nées avec ces malformations. Mona Nemer souligne toutefois que l’identification à elle seule ne suffit pas, parce que la mutation génétique ne cause pas nécessairement la même défaillance dans la structure cardiaque des personnes touchées. D’autres facteurs génétiques et environnementaux peuvent changer la donne, même pour des membres d’une même famille.
« Le nouveau défi à relever, c’est de comprendre quels modificateurs au juste font en sorte qu’un même changement (dans un gène) causera une malformation chez un individu, mais pas chez une autre personne », fait-elle remarquer.
Tout en étudiant la biochimie de modèles animaux, Mme Nemer collabore avec des chercheurs de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa et avec des réseaux de chercheurs à Montréal, en Angleterre et en Australie pour déterminer l’application de ses résultats à la génomique humaine.
Selon elle, « l’objectif suprême est de prévenir ces anomalies congénitales. À mon avis, nous pourrons vraisemblablement en prévenir quelques-unes, mais pas toutes ».
Entre-temps, le fait de savoir qu’une personne porte une copie mutée du gène, et présente donc un risque plus élevé de maladie cardiaque, pourrait favoriser un meilleur dépistage et un meilleur suivi et encourager cette personne à modifier préventivement son style de vie.
Identification d’un second gène
Outre le gène GATA4, Mona Nemer et ses collègues ont également identifié le gène GATA5, un autre gène cardiaque associé à deux questions critiques : la régulation de la tension artérielle et la bicuspidie valvulaire aortique, une autre malformation cardiaque courante qui se traduit par la présence de deux feuillets au lieu de trois sur la valve aortique.
Les chercheurs de l’Université d’Ottawa savent maintenant que le gène GATA5 entrave la régulation de la tension artérielle en causant la malformation de petits vaisseaux sanguins. Ces défaillances accroissent la tension artérielle et peuvent, à terme, causer des crises cardiaques. Le gène entrave également le fonctionnement normal des valves cardiaques et peut perturber le rythme normal du cœur. C’est la principale raison des remplacements de valves effectués chez les personnes de moins de 60 ans.
Au départ, le cœur n’était pas au centre des intérêts de recherche de Mona Nemer. Durant ses études postdoctorales, elle s’intéressait plutôt au cerveau – jusqu’à ce que des collègues ayant découvert une nouvelle hormone cardiaque lui demandent son aide pour cloner le gène. Elle a alors été séduite par les mystères de cet organe souvent poétisé.
« Ça m’a tout simplement fascinée. Autant le cœur est un organe essentiel, autant sa fonction demeure méconnue », affirme-t-elle. « Les gens assimilaient le cœur à une pompe – une vision très simpliste en soi. »
Après avoir réalisé que les cellules cardiaques, contrairement aux cellules des autres organes, ne se régénèrent pas, et que les maladies cardiovasculaires demeurent une des principales maladies chroniques et une des premières causes de décès, elle était conquise. Elle a alors changé de domaine d’étude.
Faire progresser la médecine régénérative
Aujourd’hui, Mona Nemer souhaite que ses travaux sur l’identification des gènes et des protéines qui régissent la formation normale du cœur contribueront également à l’avancement de la médecine régénérative. Elle croit que dans la prochaine décennie, les chercheurs pourront faire croître à l’extérieur du corps des cellules cardiaques qui, une fois greffées au cœur, aideront à réparer les tissus endommagés.
Même si des chercheurs ont entamé ce processus, ils n’ont pas encore saisi tous les « ingrédients » – les différents gènes – pouvant aider à réparer des composantes précises du cœur, comme les valves. La mise au jour, par Mme Nemer, des rôles importants joués par les gènes GATA4 et GATA5 pourrait mener à la mise au point de cellules cardiaques régénératives plus ciblées.
« Voilà le type d’avancement progressif du savoir auquel nous travaillons. Une fois qu’on dispose d’une clé, on peut déverrouiller d’autres choses », explique Mona Nemer, dont le mandat de vice-rectrice à la recherche a été prolongé jusqu’au 30 juin 2017. « Nous sommes extrêmement bien placés non seulement pour faire d’autres découvertes, mais aussi pour nous en servir afin d’améliorer les soins aux patients. »
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Mona Nemer travaille dans le laboratoire aux côtés de la doctorante Jamie Whitcomb. Photo : Bonnie Findley