Des femmes d’influence
Par Hillary Rose and Brigitte Génier
Quand on parle de femmes en politique, le Canada est loin d’être un chef de file. Seul organisme pancanadien et multipartite dédié à l’élection de plus de femmes, l'organisme À voix égales rapporte que plus de 20 femmes sont chefs de gouvernement dans le monde. Le Canada, quant à lui, ne se classe que 52e pour ce qui est de la représentation des femmes en politique.
En juin 2014, l'organisme a publié des données sur la proportion de femmes en politique au Canada. L'Ontario et la Colombie-Britannique sont premiers de classe, avec 30 % de femmes siégeant au parlement provincial. Mais la politique se féminise surtout dans les structures de base, comme les municipalités et les commissions scolaires.
Pourquoi y a-t-il donc si peu d’élues au fédéral? Les femmes ont-elles ce qu’il faut pour grimper les échelons du pouvoir politique? Le système est-il biaisé pour favoriser l’élection d’un premier ministre masculin au Canada? A-t-on besoin de plus de femmes au Parlement simplement parce qu’elles forment la moitié de la population, ou parce qu’elles changeraient vraiment les choses si elles prenaient les rênes du pays?
Certains croient que 2015 sera un tournant pour la participation des femmes en politique. Trois diplômées de l’Université d’Ottawa ont pavé la voie pour encourager plus de femmes à entrer en politique : Anne McGrath (B.A 1990), directrice nationale du Nouveau parti démocratique, Katie Telford (B.Sc.Soc. 2002), coprésidente de la campagne nationale du Parti libéral, et Jennifer Byrne (B.Éd. 2002), chef adjointe du personnel au Parti conservateur.
« Les femmes sont en politique non pas parce qu’elles sont femmes, mais parce que la politique les intéresse », explique Nancy Peckford, directrice générale de l’organisme À voix égales.
Le 5 mars dernier, Kevin Page, titulaire de la Chaire de recherche Jean-Luc-Pepin en sciences politiques, et Caroline Andrew, professeure à l’École d’études politiques et autorité nationale sur les études urbaines et le féminisme, ont animé une série d'événements sur les femmes en politique.
« Les élections de 2015 nous donnent l’occasion de parler de l’état de notre pays et des questions de politiques futures, affirme Kevin Page. La participation des femmes en politique est une question d'importance capitale. De concert avec ses partenaires, la Chaire de recherche Jean-Luc-Pepin fait jouer les bons leviers et s'appuie sur le vécu de dirigeantes susceptibles d’inspirer la prochaine génération. »
La journée a commencé par un colloque intitulé Les femmes en politique : trouver les bons leviers et s’en servir judicieusement. Il était animé par six panélistes, notamment l’avocate Penny Collennette, diplômée et professeure de la Faculté de droit, Michael Orsini, directeur de l’Institut d’études féministes et de genre de l’Université d’Ottawa, et Melissa Haussman, professeure de sciences politiques à l’Université Carleton.
Après le colloque, Anne Kingston, journaliste chevronnée à Maclean’s, a animé un panel comprenant deux diplômées de l’Université d’Ottawa, Anne McGrath et Katie Telford, ainsi que Michele Austin, conseillère principale chez Summa Strategies.
« J’ai accepté de participer à cette discussion sur les femmes en politique, explique Mme McGrath, parce que cette question me tient à cœur. Plus les femmes seront nombreuses en politique, plus leur présence sera vue comme une priorité. »
Pendant leurs études à l’Université d’Ottawa, les deux femmes se sont investies en politique. Membre du club de débats anglophone, Anne McGrath a aussi dirigé la FEUO (1979-1980) et le journal The Fulcrum.
« J’ai débattu avec des gens comme Roger Guindon, Eugene Forsey et Tommy Douglas, raconte Mme McGrath. J’avais peur de parler en public, alors ces débats m’ont beaucoup aidée. »
Katie Telford est tout à fait d’accord, car pour elle, le club de débats a été la meilleure école pour lancer sa carrière en politique.
Les trois panélistes en conviennent : même si les choses ont changé, le progrès est trop lent.
« Je me rappelle 1975, déclarée année internationale de la femme par l’ONU, avec le slogan “Pourquoi pas?”, ajoute Mme McGrath. Cette année a eu une grande influence sur la génération montante de jeunes femmes à l’époque. Hélas, après tout ce temps, force est de constater que les obstacles demeurent et que la politique reste un milieu toujours très masculin. Pourtant, nous y sommes de plus en plus à l’aise et y faisons notre place. »
« Pour les femmes qui travaillent en coulisses, il est important de se montrer, explique Katie Telford. Elles doivent s'exposer et aider d’autres femmes à s’identifier à elles. »

Allocution de la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, le mois dernier, lors du colloque iVote-jeVote, une activité non partisane visant à encourager les jeunes à s’intéresser à la politique. Photo : Robert Lacombe
La soirée s’est conclue par une allocution de Kathleen Wynne, première femme et première personne ouvertement gaie à occuper les fonctions de premier ministre de l’Ontario, qui a insisté sur le concept de « femme d’influence ». Remontant jusqu’à 1864, elle s’est demandé pourquoi nous connaissons les Pères de la Confédération, mais pas les Mères de la Confédération?
« Laisser entendre que les femmes n’ont eu aucune influence sur la naissance de notre pays, a-t-elle affirmé, c’est insinuer qu’une telle influence ne peut venir que lorsqu’on obtient les mêmes droits et privilèges que les hommes. Quand les femmes occupent ces rôles, portent ces titres et assument ces pouvoirs jadis réservés aux hommes, leur influence s'accroît, jusqu’à ce qu'elles atteignent l’égalité.
« C’est la marche lente de l’histoire. La promesse d’une génération à la suivante. Le progrès. Un progrès dont on doit se réjouir. Mais qu’on doit aussi interpeller. À mon sens, cette analyse historique laisse à désirer. En définissant l’influence comme un siège à la table, on oublie l’influence de générations de femmes. C’est un crime historique et un crime contre l’histoire. »
En juin dernier, les Ontariens ont élu plus de députées que jamais auparavant et ont porté au pouvoir un gouvernement dirigé par une femme. Kathleen Wynne est résolue à user de son influence pour changer les choses.
« Les femmes d’influence ne sont que la pointe de l’iceberg, a-t-elle conclu, car elles agissent sur le devant de la scène. Mais n’oublions pas les mères, les sœurs, les grand-mères qui s’activent en coulisses dans toutes les familles de ce pays, et du monde. »
Photo principale :
Une série d'événements sur les femmes en politique à attiré beaucoup d’intéret. Photo : Robert Lacombe