L’appel à l’action de Ralph Nader
Par Kelly Haggart
Même si la désinformation règne depuis l’élection de Donald Trump, le célèbre militant pour les droits des consommateurs Ralph Nader mise sur des citoyens actifs, armés de faits, pour responsabiliser les gouvernements et les sociétés.
Dans son dernier livre, To the Ramparts, l’enfant terrible de la politique américaine lance un vibrant appel pour le renouvellement de l’engagement civique. Le seul espoir réel d’une démocratie mal en point, « aux prises avec une vague de criminalité chez les entreprises de Wall Street à Houston », repose sur « la reprise du pouvoir par le peuple, reprise qui passera par les mouvements citoyens et par les urnes », écrit-il.
« Il faut arrêter de ne penser qu’à dénigrer le président Trump, bien que ce soit tentant. Militons plutôt pour les soins de santé à payeur unique, le resserrement des mesures environnementales, la santé, les travailleurs, la protection des consommateurs et les autres thèmes récurrents qui retiennent l’attention des citoyens en quête d’une plus grande emprise sur leur destin. »
M. Nader réserve tout de même quelques mots doux à l’endroit de Donald Trump : « autodestructeur, instable, désorganisé, dépourvu de faits et de vérités, égocentrique, intolérant, tricheur, ploutocratique ». Il n’y va pas non plus de main morte contre le Parti démocrate, qu’il dit sans mordant et désœuvré, et dont il déplore l’attitude défensive envers « le Parti républicain le plus cruel, ignorant, servile pour les entreprises, anti-travailleurs, anti-consommateurs et belliqueux de l’histoire ».
« Pourtant, [les Démocrates] devraient plutôt passer immédiatement à l’offensive », écrit-il. « Sur les remparts. »
M. Nader a présenté son urgent message à l’Université d’Ottawa le 24 septembre, premier jour de la Semaine de criminologie 2018 marquant le 50e anniversaire du département à la Faculté des sciences sociales. Dans son allocution intitulée Corporate Crime, State Violence and Accountability in the Trump Era (criminalité d’entreprise, violence de l’État et reddition de comptes à l’ère Trump), il a offert à la fois une critique acerbe de l’époque trouble que nous vivons et un vibrant appel à l’action.
« Le travail novateur de Ralph Nader est plus d’actualité que jamais, étant donné les abus de pouvoir sans précédent dont nous sommes témoins par les États et les sociétés à l’échelle mondiale », affirme le professeur de criminologie Steven Bittle, qui a participé à une discussion avec M. Nader après l’allocution de ce dernier.

Photo : Mike Simons/Corbis
Un héritage remarquable
Les réalisations de M. Nader, quatre fois candidat à la présidence, éclipsent celles de bien des présidents américains. Parmi les plus connues, pensons aux dispositifs de sécurité automobiles tels que la ceinture de sécurité et le coussin gonflable, qui ont sauvé des millions de vies partout dans le monde.
Il a joué un rôle de premier plan dans la création d’agences américaines importantes, dont le National Transportation Safety Board, l’Environmental Protection Agency et l’Occupational Safety and Health Administration. Il a aussi contribué à l’adoption de projets de loi historiques, comme ceux sur l’accès à l’information, la qualité de l’eau et la sécurité des produits de consommation.
Diplômé de l’Université Princeton et de la Faculté de droit de Harvard, M. Nader a participé à la création de douzaines de groupes citoyens, tels que l’association Public Citizen et le Groupe de recherche d’intérêt public (semblable au GRIPO Ottawa). General Motors a indirectement fourni les capitaux d’amorçage de son premier groupe, après que M. Nader ait gagné un procès contre la société pour avoir mandaté des détectives privés de l’espionner. Il a utilisé le règlement de 425 000 $ pour mettre sur pied le Center for Study of Responsive Law, un incubateur de jeunes chercheurs juridiques bénévoles qui se font maintenant surnommer les Nader’s Raiders (le commando de Nader).
Des liens avec le Canada
M. Nader affectionne le Canada. Enfant, il a passé plusieurs étés avec ses cousins canadiens en Ontario. Puis, en 1965, des journalistes canadiens ont été les premiers à l’interviewer après la publication de Unsafe at Any Speed (Ces voitures qui tuent), son exposé sur les normes relâchées en matière de sécurité automobile qui allait bouleverser l’industrie automobile américaine.
« À cette époque, les médias américains étaient très réticents à critiquer les voitures en précisant leur marque et leur modèle, comme je le faisais dans mon livre. Cependant, l’émission de la CBC This Hour Has Seven Days s’est prêtée au jeu, et j’ai donc fait mes débuts télévisuels nord-américains à Toronto. L’émission a d’ailleurs pu être captée dans la ville du moteur (Détroit) par l’intermédiaire de la station de Windsor. Une vaste couverture médiatique a suivi aux États-Unis. »
Dans son ouvrage Canada Firsts, un hommage aux réalisations canadiennes, il plaidait pour une hétérogénéité culturelle et « de nouveaux niveaux de confiance en soi en tant que nation pour protéger ce que le Canada a de mieux, et dont les États-Unis profiteront eux aussi ».

En 1985, en entrevue avec Hana Gartner de la CBC, Ralph Nader affirmait : « Il n’y a rien de mieux dans la vie que de faire – et d’aimer faire – des choses qui comptent vraiment pour les autres, puis d’en faire sa philosophie du bonheur. Il n’y a pas de meilleure façon de passer le temps que de prendre une société comme General Motors et d’essayer de l’entraîner à la propreté. » Photo : Saisie d’écran du segment Ralph Nader and the Big Three à l’émission the fifth estate/CBC
Changer le monde
Maintenant âgé de 84 ans, M. Nader rédige une chronique hebdomadaire dans son blogue, coanime une émission-débat (Ralph Nader Radio Hour) et continue de publier des livres à un rythme constant. Il n’a jamais été du type à s’asseoir sur ses lauriers, et il encourage les citoyens du Canada et de partout ailleurs à l’imiter. De nos jours, les enjeux sont trop importants pour ne pas militer pour un changement positif.
« Être patriotique, qu’est-ce que ça signifie? Mes parents avaient une définition toute simple », écrit-il dans To the Ramparts. « Ils nous ont appris que si on aime son pays, il ne faut ménager aucun effort pour le rendre encore plus attachant. Pour ce faire, il faut s’attaquer à la pauvreté, à la discrimination, à la corruption, à la cupidité, à la tricherie, au crime, aux dangers pour la santé et la sécurité, et à toutes les autres injustices qui affaiblissent le potentiel prometteur des États-Unis. »
Dans son livre, M. Nader estime que si seulement 1 pour cent des citoyens travaillaient ensemble quelques heures par semaine, « il ne faudrait pas attendre longtemps pour que des victoires en émergent. Le vide civique serait rapidement comblé par l’énergie civique ». En d’autres termes, choisissez votre cause, munissez-vous de faits et passez à l’action pour rendre le monde meilleur.

« L’œuvre de Ralph Nader est en phase avec le principe directeur de notre Département, qui célèbre son 50e anniversaire : la criminologie ne prospère que lorsqu’elle vit à l’intérieur et à l’extérieur du milieu universitaire », souligne le professeur Michael Kempa, directeur du Département de criminologie.« Au cours de notre semaine anniversaire, nous avons mis en valeur les travaux de nos professeurs et étudiants, allant de la théorie sociale abstraite à la réforme appliquée en collaboration avec des organisations communautaires locales et des membres progressifs d’organisations de justice pénale. »

L’allocution de M. Nader à l’Université d’Ottawa a fait partie de la série de conférences Shawn-et-Khush-Singh. Photo : Bonnie Findley
Photo principale:
Brian Engler