Mission monarque : les citoyens à la rescousse

Jeremy Kerr and Rosana Soares tiennent tous deux un filet et regardent à l’intérieur de l’un d’eux.

« Une éventuelle disparition des monarques ne toucherait pas notre capacité à cultiver des aliments, mais notre planète perdrait un peu de sa couleur. Nous voulons vivre dans un monde au moins aussi beau que celui que nous ont légué nos parents. »

— Jeremy Kerr

Par Laura Eggertson

Un professeur de l’Université d’Ottawa se trouve au premier plan d’un projet novateur qui, pour sauver les monarques menacés d’extinction, fait appel cet été aux citoyens pour repérer et surveiller les aires de reproduction du roi des papillons.

La clé du projet? L’asclépiade.

Jadis largement répandus en Amérique du Nord, les monarques ont vu leur population chuter de 90 % au cours des 25 dernières années, affirme Jeremy Kerr, biologiste à la Faculté des sciences et titulaire de la Chaire de recherche de l’Université en macroécologie et en biologie de conservation.

De violents phénomènes météorologiques liés aux changements climatiques, la déforestation, la disparition des terres agricoles et l’utilisation de pesticides sont autant de facteurs qui contribuent à l’amenuisement de la population. Aujourd’hui, les monarques figurent sur la liste des espèces préoccupantes définies par la Loi sur les espèces en péril du Canada.

Pour enrayer le risque bien réel d’extinction des monarques, Jeremy Kerr croit que « nous devons porter une attention toute particulière à leur habitat de reproduction, et plus spécialement à l’asclépiade. »

Fleur sauvage à feuilles vertes et à gousses, l’asclépiade est prisée par les monarques : ceux-ci y pondent leurs œufs, et les larves naissantes (chenilles) s’en nourrissent. Les nobles papillons migrent vers le centre du Mexique pour y passer l’hiver, puis parcourent les 4 000 km qui les séparent du Canada pour se reproduire. Une fois sortis de leur chrysalide, ils reprennent la route du Mexique à la fin de l’automne. Il faut quatre générations pour compléter ce cycle.

Le salut des monarques repose avant tout sur la protection des asclépiades qui longent leur parcours migratoire. Jeremy Kerr et ses collègues ont donc concocté un plan pour recruter tous ceux et celles qui souhaitent assurer la survie du papillon emblématique. Leur mission : documenter avec exactitude les sites où pousse l’asclépiade.

Visiter, documenter, photographier

Réalisé sous les auspices de l’Insectarium de Montréal, le projet est piloté par Maxim Larrivée, chef de section, Collections entomologiques et recherche, et ancien stagiaire postdoctoral de Jeremy Kerr. En collaboration avec l’Université d’Ottawa, l’Université du Québec à Rimouski et l’Université de Calgary, l’Insectarium a officiellement lancé Mission monarque le 8 juin 2016.

Le projet mise sur l’imagerie par satellite à l’échelle du continent, un dépôt international de données et la recherche traditionnelle sur le terrain pour repérer et documenter les endroits précis, à travers le Canada et les États-Unis, où pousse l’asclépiade.

Une chenille à rayures sur la tige d'une plante.
Une chenille de monarque sur une asclépiade commune.

Mission monarque appelle le public à se disperser et à fouiller les aires de conservation, la lisière des forêts, les champs agricoles et autres secteurs propices à présence d’asclépiades, zones déjà cartographiées par Jeremy Kerr et ses collègues à l’aide d’imagerie par satellite. Les chercheurs demandent aux amateurs de science de noter la présence d’asclépiades ou de monarques, puis de consigner leurs données sur le site Web du projet.

Ils espèrent que les citoyens retourneront ensuite au même endroit tout au long de l’été – idéalement, à raison d’une fois par semaine – pour photographier et compter les œufs, chenilles, pupes et papillons qui s’y trouvent, puis feront état de leurs observations sur le site Web. Celui-ci contient une foule de renseignements sur la campagne de conservation à l’échelle nord-américaine.

Le groupe souhaite recruter des familles, des élèves et des passionnés de conservation de la nature, et ainsi faire de la recherche d’asclépiades et de monarques un passe-temps à l’échelle nationale cet été. Les données recueillies serviront à soutenir les campagnes à venir pour la préservation des précieux sites de reproduction des monarques.

« Nous tenterons de protéger ou de gérer ces habitats pendant la saison de la reproduction », affirme Jeremy Kerr.

Jeremy Kerr, smiling, holds a butterfly specimen.

Jeremy Kerr et un grand porte-queue (Papilio cresphontes), un autre grand papillon du Canada. Photo : Bonnie Findley

Espèce emblématique

Les monarques coexistent avec les humains, ce qui signifie qu’il ne sera pas nécessaire de prévoir des enclos ou des parcs pour les protéger. Or, la campagne de conservation à l’issue de Mission monarque pourrait sensibiliser la population à ne pas utiliser de pesticides dans les secteurs où poussent les asclépiades.

L’asclépiade est une importante source de nourriture pour de nombreuses espèces de papillons, dont le porte-queue d’Edwards (Satyrium edwardsii).

À défaut de mener ces efforts, Jeremy Kerr et Maxim Larrivée craignent que les majestueux papillons, symboles de la connexion entre les Nord-Américains, disparaissent bientôt. Et bien que l’extinction des monarques n’aurait aucun effet direct sur la survie de la race humaine, elle aurait malgré tout pour effet de nous amoindrir, selon Jeremy Kerr.

« Une éventuelle disparition des monarques ne toucherait pas notre capacité à cultiver des aliments, mais notre planète perdrait un peu de sa couleur. Nous voulons vivre dans un monde au moins aussi beau que celui que nous ont légué nos parents. C’est une question d’éthique. »

Maxim Larrivée croit quant à lui que Mission monarque mobilisera le public et l’aidera à renouer avec la nature.

« La situation des monarques touche profondément les Canadiens, car ils associent ces papillons à leur tout premier contact, quand ils étaient petits, avec la nature et l’entomologie, affirme-t-il. S’ils apprennent que nous avons un plan pour contribuer à rétablir la population et qu’ils peuvent nous aider à protéger cette espèce mémorable, je crois qu’ils porteront attention au projet et seront prêts à relever le défi. »

Valorisation des efforts collectifs

Le gouvernement fédéral contribue au financement du projet et exhorte les Canadiens à y prendre part. Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, précise que son département « mettra en œuvre ce projet dans les zones protégées de l’aire de reproduction des monarques de l’est du Canada. »

Un homme souriant se tient près d’une serre, dans des jardins.

Maxim Larrivée, ancien stagiaire postdoctoral à l’Université d’Ottawa, aujourd’hui chef de section à l’Insectarium de Montréal. Photo : Sonya Charest 

Jeremy Kerr espère que le projet servira également un autre objectif fondamental : démontrer que les efforts collectifs peuvent influencer une situation dont l’issue semble prédéterminée.

« Parfois, les gens croient qu’il n’existe virtuellement aucune solution aux problèmes de ce genre, explique-t-il. Pourtant, ce n’est pas du tout le cas. La conservation de la plupart des espèces est bien moins compliquée que les gens ne le pensent. Il s’agit simplement de songer aux gestes que nous posons et de les adapter légèrement – c’est ce qui nous permet de préserver une partie d’un habitat. »

Si Mission monarque connaît le succès auquel Jeremy Kerr et Maxim Larrivée s’attendent, le projet pavera la voie à d’autres initiatives de science citoyenne.

« J’ai l’impression que la façon dont nous abordons la situation des monarques au Canada aura comme effet de créer un standard pour les prochains efforts de conservation à l’échelle nationale et internationale », affirme Maxim Larrivée.

En savoir plus sur Mission monarque.

Photo principale :
Jeremy Kerr, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université en macroécologie et en biologie de conservation, et Rosana Soares, étudiante à la maîtrise en science, attrapent des papillons sur le terrain. Photo : Bonnie Findley

A butterfly clings to a flowering plant.

Un monarque adulte femelle (Danaus plexippus) boit le nectar d’une asclépiade commune (Asclepias syriaca). Mission monarque invite les citoyens à participer aux efforts de conservation des monarques et de leur habitat de reproduction. 

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