Vers un monde sans intimidation

David Smith et Karen Bouchard se tiennent debout, souriants, à l’intérieur d’une bibliothèque aux étagères garnies.

« L’école doit être un havre pour nos élèves. Dans certains cas, c’est le seul refuge que ces jeunes ont dans la vie. »

— Karen Bouchard

Par Maria Paulina Mendoza

« Dans ma jeunesse, je livrais des journaux et il y avait deux petits durs, des frères, qui vivaient le long de mon trajet. Quand ils me voyaient arriver, ils me couraient après, me poussaient en bas de mon vélo et me crachaient dessus. Je les voyais tous les jours et j’étais terrifié. » – David Smith, professeur

Prenant les formes les plus diverses, l’intimidation est un phénomène mondial qui peut frapper n’importe qui, n’importe où : dans les écoles, les domiciles, les lieux de travail, voire sur un trajet de camelot.

Selon David Smith, professeur à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa et spécialiste du sujet, l’intimidation vécue à l’enfance peut avoir des répercussions à long terme sur les victimes, notamment sur leur bien-être émotionnel à l’âge adulte. Lui-même victime d’intimidation dans sa jeunesse, il a transformé cette expérience en son principal sujet de recherche des 20 dernières années.

Bien des jeunes qui font de l’intimidation en sont eux-mêmes victimes, tient à préciser M. Smith, et ils ne correspondent pas à un profil unique. Certains sont populaires, d’autres non. D’autres encore proviennent de familles dysfonctionnelles et auront été victimes d’intimidation à la maison ou de la part d’une personne en position d’autorité.

Les enfants qui intimident recherchent un sentiment de puissance et ont l’impression que la violence est le seul moyen de l’obtenir. « C’est peut-être la seule manière de monter dans la hiérarchie sociale qu’ils ont apprise, ajoute-t-il. Les enfants doivent apprendre des façons plus positives de répondre à ces besoins sociaux, et ce sont les adultes qui sont les mieux placés pour leur enseigner ces habiletés. »

Appel à un changement générationnel

Mettre un terme à l’intimidation est difficile, mais pas impossible, affirme le professeur, qui est l’un des membres fondateurs de PREVNet, un réseau de chercheurs et d’organismes renommés faisant la promotion de relations saines chez les enfants.

« Dans un milieu positif où les enfants se sentent en sécurité et sont bien entourés, le risque d’intimidation s’amenuise », explique-t-il.

« Cela dit, pour que l’intimidation cesse définitivement, les enfants d’aujourd’hui devront influencer les générations de demain. Ils devront transmettre à leurs enfants et à leur entourage des messages positifs afin de nourrir ce changement générationnel. »

Amitiés toxiques

« J’entretenais une amitié toxique, c’était une période confuse et difficile. Je me sentais impuissante à changer ma situation, mais, curieusement, je ne voulais pas la changer, parce que cette amitié était si importante à mes yeux. » – Karen Bouchard

Pour sa part, la doctorante Karen Bouchard a été victime d’intimidation de la part d’une amie proche. Même si cette amitié s’est dissoute, certains de ses effets ont perduré. Elle estime que c’est grâce à l’aide de ses autres amis et de sa famille qu’elle a pu s’en sortir.

De plus, lorsqu’elle était enseignante au niveau élémentaire à Ottawa, elle a pu constater les conséquences terribles de l’intimidation chez les jeunes enfants.

« L’école doit être un havre pour nos élèves, insiste-t-elle. Dans certains cas, c’est le seul refuge que ces jeunes ont dans la vie. »

Comme son directeur de thèse David Smith, l’étudiante a été attirée par son sujet de recherche actuelle en raison de l’intimidation qu’elle a vécue. Dans son mémoire de maîtrise, elle s’est intéressée à la complexité de la méchanceté dans les relations d’amitié chez les adolescents.

« Dans le cadre de ma maîtrise, j’ai découvert que les jeunes que j’étudiais étaient tellement concentrés sur la construction de leur sentiment d’appartenance qu’ils acceptaient de subir des amitiés toxiques, malgré la souffrance qu’elles leur causaient », dit-elle.

« C’est ce qui m’a portée à me pencher sur l’expérience des personnes qui entretiennent des amitiés victimisantes. Toute amitié comporte des aspects importants, comme la confiance et le fait de se dévoiler à l’autre, qui peuvent ajouter un degré de complexité à l’intimidation vécue. »

Karen Bouchard

Dans une capture d’écran de sa vidéo, la doctorante Karen Bouchard explique sa recherche sur l'intimidation entre amis chez les adolescents.

Cycles de victimisation

Doctorante de quatrième année et boursière du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), Karen Bouchard a beaucoup creusé le sujet. Elle a découvert que l’intimidation entre amis, qui, selon ses recherches préliminaires, compte pour plus du quart de tous les cas d’intimidation, a un effet sur les victimes similaire à celui des relations marquées par la violence.

« Je constate beaucoup de confusion et de désespoir associé à ce type de victimisation, souligne-t-elle. Je note aussi qu’il se produit souvent par cycles, comme les cycles d’abus qu’on peut voir dans d’autres contextes de relations de proximité. »

Karen Bouchard a remporté une mention honorable lors de l’édition 2016 du concours J’ai une histoire à raconter du CRSH pour sa vidéo de trois minutes expliquant sa recherche sur les amitiés délétères chez les adolescents.

« Les amitiés de qualité sont essentielles à tout âge, mais elles sont particulièrement importantes pour les enfants et les adolescents, soutenait-elle dans la vidéo. Récemment, nous avons appris que le fait d’avoir ne serait-ce qu’une seule amitié de qualité peut protéger les jeunes des conséquences néfastes de l’intimidation et de la victimisation par leurs pairs. »

Grâce à sa recherche, elle espère pouvoir outiller les enseignants – et les jeunes – avec des stratégies leur permettant de reconnaître ces amitiés toxiques et d’y remédier.

« Pour bien comprendre le pouvoir de l’amitié, on doit saisir aussi bien les qualités positives que négatives de ces relations vitales », conclut Karen Bouchard.

Afin de donner aux enseignants les meilleurs outils pour s’attaquer à ce grave problème, nous vous invitons à appuyer les Fonds de recherche sur la santé mentale et l’intimidation de la Faculté d’éducation.

Photo principale : 
Par leur recherche, le professeur David Smith et la doctorante Karen Bouchard recueillent des données dans le but de prévenir l’intimidation. Photo : Robert Patterson

Two young boys bullying another boy.

La recherche sur l’intimidation à l’Université d’Ottawa explore des stratégies visant à promouvoir des relations saines chez les jeunes, pour mettre fin aux cycles de la victimisation. « Pour que l’intimidation cesse définitivement, les enfants d’aujourd’hui devront influencer les générations de demain », affirme le professeur David Smith.

 

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