Monique Bégin : « Une âme d’enseignante et une amie »

Monique Bégin, souriante, se tient devant une étagère de livres sur la santé.

« On m’a appelée la mère de l’assurance-santé. C’est un grand honneur, mais je n’ai fait que mon travail. »

— Monique Bégin

Par Michelle Hibler

Lorsque le magazine Maclean’s a remis à Monique Bégin son prix de Parlementaire de l’année 2017 pour l’ensemble de ses réalisations, il l’a qualifiée de « pionnière féministe ».

« Une pionnière? » réplique-t-elle. « Non. Et dans les années 1960, on n’employait pas le mot “féministe”. »

On ne peut toutefois nier qu’elle a été précurseure en devenant, en 1972, l’une des trois premières Québécoises élues à la Chambre des communes et en se taillant par la suite une place dans l’histoire politique canadienne. Mais quand le premier ministre Pierre Elliot Trudeau a annoncé son retrait de la vie politique en 1984, Monique Bégin lui a emboîté le pas.

« Je ne pouvais imaginer faire autre chose après cela que de travailler en milieu universitaire », dit-elle. Elle avait une soif d’apprendre qui la ramenait à ses anciennes amours : l’enseignement. Elle a rapidement trouvé sa place à l’Université d’Ottawa – qu’elle appelle « mon université » – en tant que première titulaire de la Chaire conjointe en études des femmes de l’Université d’Ottawa et de l’Université Carleton.

Elle a bien aimé son mandat à ce titre, de 1986 à 1990, mais elle admet avoir eu des doutes au début. Bien qu’elle ait perdu quelques batailles politiques, celles qu’elle a remportées ont amélioré des milliers, voire des millions de vies.

Dans une salle de classe, cependant, elle n’était pas certaine de l’impact qu’elle avait sur les étudiants et étudiantes. Elle raconte que Caroline Andrew, alors responsable du programme d’études des femmes et maintenant professeure émérite à la Faculté des sciences sociales, l’a rassurée sur le fait qu’un professeur, un cours ou même une idée pouvait changer la vie d’une étudiante ou d’un étudiant.

Doyenne d’une nouvelle faculté

La nomination de Monique Bégin au poste de doyenne de la nouvelle Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa en 1990 (deuxième du genre seulement au Canada) témoigne de sa volonté constante de chercher des solutions aux problèmes de la société en santé. Sous sa gouverne, la faculté s’est attachée à mettre les dimensions sociales de la santé sur un pied d’égalité avec les sciences biomédicales.

Gros plan de Monique Bégin sur la couverture de son livre, Ladies, Upstairs!

Les mémoires de Monique Bégin, parus récemment chez McGill-Queen’s University Press.

À la fin de son mandat de doyenne en 1997, elle est devenue professeure invitée au programme de maîtrise en administration de la santé de l’École de gestion Telfer. Elle adorait les discussions animées sur l’état des soins de santé au Canada et encourageait ses étudiants et ses collègues du corps professoral à faire preuve de créativité pour surmonter les obstacles d’apparence insurmontables dans ce domaine.

« Monique m’a beaucoup aidé à franchir les obstacles qui se dressaient devant le programme », explique Wojtek Michalowski, vice-doyen à la recherche à l’École Telfer et ancien directeur du programme de maîtrise en gestion des services de santé. « Ses conseils étaient toujours équilibrés, factuels et raisonnables, et je savais qu’elle serait toujours là pour aider notre programme et nos étudiants. Je me considère très chanceux de pouvoir compter sur son soutien; c’est une âme d’enseignante et une amie. »

Monique Bégin a « pris sa retraite » plus d’une fois de l’Université d’Ottawa, avant son départ définitif à la fin de 2010. Elle a toutefois continué de faire des présentations dans diverses facultés jusqu’à ce qu’elle se plonge dans la rédaction de ses mémoires, travail minutieux et détaillé prenant appui sur cinq décennies de noms consignées dans ses agendas.

Une vie remarquable

Dans Ladies, Upstairs!, elle se remémore une vie publique remarquable qui a commencé en avril 1965. Alors sociologue établie à Montréal, la jeune Monique est panéliste dans le cadre d’un congrès organisé par l’icône féministe québécoise Thérèse Casgrain, pour souligner le 25e anniversaire du droit de vote des femmes dans la province.

Ce congrès a mené à la création, l’année suivante, de la Fédération des femmes du Québec, dont Monique Bégin devient la première vice-présidente.

Florence Bird et Monique Bégin côte à côte derrière un bureau jonché de documents.

1967 : Monique Bégin, à droite, avec Florence Bird, présidente de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme.

Peu de temps après, elle est nommée secrétaire générale de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, qui a formulé 167 recommandations pour réduire les inégalités entre les sexes.

Lorsqu’on lui demande de se porter candidate pour le Parti libéral lors d’une élection partielle fédérale en 1971, elle répond que la politique n’est pas pour elle. Un an plus tard, elle revient sur sa décision et remporte une victoire éclatante dans Montréal–Saint-Michel, la circonscription la plus peuplée du Québec.

Monique Bégin et Jean Chrétien se tiennent derrière Pierre E. Trudeau, qui est au micro. Ils sourient tous les trois.

1977 : Monique Bégin se tient aux côtés de son collègue du Cabinet, Jean Chrétien, à l’annonce par le premier ministre Trudeau de sa nomination au poste de ministre de la Santé et du Bien-être. Photo : Jean-Marc Carisse

En 1977, sa promotion au cabinet de Pierre Elliot Trudeau au ministère la Santé et du Bien-être social lance une croisade de plusieurs années pour protéger les soins de santé universels, pierre angulaire des politiques sociales du Canada.

Si la Loi canadienne sur la santé, adoptée à l’unanimité en avril 1984, est la réalisation la plus célèbre de Monique Bégin, ce n’est pas ce dont elle est la plus fière.

« On m’a appelée la mère de l’assurance-santé », dit-elle. « C’est un grand honneur, mais je n’ai fait que mon travail. »

Assise derrière un carton sur lequel est inscrit “Monique Bégin” à un stand appelé Soins de santé, le personnage de bande dessinée Lucy s’exclame “Good Grief!” (Bon sang!) Deux vautours, appelés Extra Billing et User Fees, sont perchés sur la cabine, sur

1983 : Le caricaturiste Merle Tingley du London Free Press représente Lucy, personnage de la bande dessinée Peanuts, dans le rôle de la “docteureMonique Bégin.

L’adoption du crédit d’impôt pour enfants de 1978 visant à aider les familles monoparentales ou à faible revenu lui tient encore plus à cœur.

« Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis fière de cette réalisation », dit-elle. « C’était mon premier bon coup ». La modeste prestation non imposable de 200 $ par année est l’ancêtre de l’actuelle Prestation canadienne pour enfants, qui peut s’élever aujourd’hui jusqu’à 6 500 $ par an.

Juste avant les élections de 1984, Monique Bégin tire sa révérence. « Après 12 ans, j’avais fait le tour » : quatre élections générales, un gouvernement minoritaire et renommée trois fois au plus gros portefeuille, celui de la Santé et du Bien-Être social.

En réfléchissant maintenant à ses nombreux prix et distinctions – notamment l’Ordre du Canada et 18 doctorats honorifiques (l’Université d’Ottawa lui en a remis un en 2003) –, elle se sent toujours comme une impostrice. « Pourquoi moi? » se demande-t-elle encore.

« En renforçant le système de santé et le filet de sécurité sociale du pays, Monique Bégin a amélioré le bien-être de toute la population canadienne », souligne le recteur de l’Université d’Ottawa, Jacques Frémont. « Le fait d’avoir consacré 25 ans de sa vie à l’Université d’Ottawa est une source de fierté durable, et nous ne pourrions être plus heureux de l’entendre l’appeler son Université. »

Photo principale :
2003 : Monique Bégin dans son bureau de l’Université d’Ottawa.

Cinq femmes se tiennent sous les arches de l’édifice du Centre sur la colline du Parlement.
De gauche à droite : Flora MacDonald, Grace MacInnis, Jeanne Sauvé, Albanie Morin et Monique Bégin. Grace MacInnis, seule femme élue au Parlement canadien en 1968, a été rejointe par les quatre autres en 1972. Cette photo a fait la une du Globe and Mail en avril 1973 avec la légende suivante [traduction] : « Les femmes de la Chambre : ces cinq femmes participent aux travaux du Parlement contre vents et marées. Elles sont 5 aux côtés de 259 hommes.

 

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