La passion de la justice
Par Laura Eggertson
Lisa Monchalin connaît par cœur les statistiques relatives à la victimisation et à l’incarcération des Autochtones.
Au Canada, 4 % de la population seulement s’identifie en tant qu’Autochtone. Et pourtant, en 2014, près d’un quart des victimes de meurtre dans notre pays étaient inuites, métisses ou membres des Premières Nations. Par ailleurs, plus de 25 % des détenus dans les prisons fédérales sont autochtones. Deux faits fort troublants, précise Mme Monchalin.
Première femme autochtone au Canada à décrocher un doctorat en criminologie, Lisa Monchalin se penche sur les raisons derrière ces statistiques accablantes.
Puisant dans sa perspective de femme d’ascendance algonquine, métisse, huronne et écossaise, elle vise à sensibiliser les Canadiens et les Canadiennes par rapport au rôle de la colonisation en tant que génératrice d’injustice à l’égard des peuples autochtones.
« Je veux réduire les taux de criminalité, de maltraitance et de victimisation qui affectent les Autochtones dans notre pays », insiste-t-elle. « Je veux faire la différence pendant mon passage sur cette planète. »
Mme Monchalin, qui a obtenu son doctorat de l’Université d’Ottawa en 2012, enseigne la criminologie à l’Université polytechnique Kwantlen de Surrey (Colombie-Britannique). Nombreux sont ses étudiants qui aspirent à devenir agents de police, gardes-frontières, ou bien travailleurs pénitentiaires ou sociaux. Autrement dit, ils assureront des services de première ligne. Et cependant, avant de suivre le cours de la professeure Monchalin, très peu d’entre eux comprennent vraiment comment la colonisation et le racisme ont donné lieu aux injustices qui nous sautent aux yeux aujourd’hui.
« Ces travailleurs occupent des postes dans le système de justice pénale, mais ils sont presque entièrement, voire tout à fait entièrement, dépourvus de connaissances sur les réalités entourant les peuples autochtones », signale-t-elle. « Il faut entreprendre une sensibilisation d’envergure à cet égard et par rapport à la notion de justice. »
Décoloniser la justice
Pour répondre à ces lacunes, Mme Monchalin a écrit The Colonial Problem: An Indigenous Perspective on Crime and Injustice in Canada (paru aux presses de l’Université de Toronto en 2016). Dans cet ouvrage destiné à l’enseignement postsecondaire, elle aborde, dans une optique autochtone, les enjeux qui ont découlé de la colonisation. La professeure y mentionne aussi les travaux d’érudits de Premières Nations, incorpore des connaissances autochtones et cite des aînés, afin, explique-t-elle, de donner une voix à ces peuples et de rendre à leur savoir la place qui lui revient.
Par ailleurs, elle explore les répercussions des traités violés, la dépossession, la pauvreté, les pensionnats indiens, les « rafles des années soixante » (lorsque des enfants des Premières Nations furent adoptés par des familles non autochtones, les séparant ainsi de leur culture d’origine), le plafond fixé pour le financement de l’éducation, et enfin, l’enlèvement et le meurtre de nombreuses femmes autochtones.
Tout au long de son livre, l’auteure ne cesse de mettre l’accent sur l’éducation comme arme puissante pour dénoncer l’injustice. C’est en connaissance de cause qu’elle parle, car sa propre expérience lui a appris que les enseignants peuvent profondément influencer des vies.
Lorsqu’elle allait à l’école secondaire, dans la région du Niagara (Ontario), Lisa Monchalin se demandait souvent si elle serait capable d’aller à l’université. Mais, raconte-t-elle, grâce à l’aide de son entraîneur d’aviron, Dom Senese, elle a réussi à obtenir une bourse pour étudiants-athlètes qui lui a permis d’entrer à l’Université Eastern Michigan.

Lisa Monchalin et Irvin Waller, son directeur de thèse, ont été invités en 2011 à donner une présentation à Toronto lors d’une conférence sur la justice pénale.
Puis, lorsqu’elle est arrivée à la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa, elle a trouvé un autre mentor qui l’a encouragée à croire en elle-même. Irvin Waller, professeur de criminologie, l’a en effet poussée à surmonter son manque de confiance dans ses propres capacités, l’incitant à développer ses aptitudes scolaires et sportives, afin d’équilibrer le corps et l’esprit. Ainsi, pendant une saison, elle a même fait partie de l’équipe de cross-country de l’Université tout en poursuivant son doctorat.
« Ce qui pousse Lisa à accomplir l’impossible, c’est un désir profond de faire vraiment la différence pour les peuples autochtones du Canada », déclare M. Waller. « Elle lutte pour mettre fin à la violence avec une passion sans bornes. »
S’attaquer aux préjugés
Pour prévenir la violence, il faut commencer par briser les stéréotypes et les idées reçues, comme celles selon lesquelles les Autochtones ne paient pas leurs impôts ou sont alcooliques – des à priori que Mme Monchalin aborde dans son livre.
« Les Autochtones finissent par intérioriser bon nombre de ces clichés », affirme-t-elle. « On commence à se dire : Peut-être que je ne peux pas faire ceci. »
Lisa Monchalin espère que son travail permettra non seulement de promouvoir le savoir autochtone, mais qu’il servira aussi de catalyseur pour mettre en place des solutions.
Pour illustrer le racisme et l’injustice systémiques contre lesquels elle lutte, elle cite le nombre d’années qu’il a fallu attendre avant qu’une enquête ne soit ouverte sur les femmes autochtones disparues et assassinées.
« Si n’importe quel autre segment de la population se voyait affecté par de tels taux de violence, de disparitions et de meurtres, il y aurait un appel national à l’action », s’indigne-t-elle. « Jamais on n’aurait attendu aussi longtemps. C’est inacceptable. »
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Photo principale :
Lisa Monchalin. Photo : Nadya Kwandibens/Red Works Photography