Porte-drapeau de la francophonie
Par Sophie Coupal
Mariette Carrier-Fraser a le verbe précis, les idées claires, le rire facile. Celle qui a été décrite comme un des « visages de l’éducation en français en Ontario » renvoie, dès qu’on l’aborde, l’image d’une femme d’envergure.
Et il y a de quoi. Prix de la francophonie de l’Ontario 2015, Personnalité de l’année Radio-Canada/Le Droit 2015, Ordre d’Ottawa, Ordre de la Pléiade, doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa, diplôme honorifique du Collège Boréal… les distinctions n’en finissent plus de pleuvoir sur cette grande Franco-Ontarienne.
« Ce n’est pas parce que je suis bonne, c’est juste parce que je suis fine », lance-t-elle à la blague pour dissimuler sa gêne devant tant d’honneurs.
« Fine »? Assurément. « Juste » fine? On en doute lorsqu’on sait ce qu’elle s’est fait dire une fois par une ministre qui voulait l’embaucher :
« Ce sera moins dangereux de t’avoir à l’interne qu’à l’externe. »
La réputation de battante de Mariette Carrier-Fraser ne date pas d’hier.
Diplômée de l’École normale de l’Université d’Ottawa en 1961, elle enseigne pendant quelques années avant de commencer à gravir les échelons, d’abord dans le milieu scolaire (elle devient notamment directrice fondatrice d’une école de langue française à Cambridge), et plus tard, au ministère de l’Éducation.
À l’époque, dans le sud-ouest de l’Ontario, tout est à faire dans le domaine de l’éducation francophone : il faut se battre pour créer des écoles, mettre des structures en place, briser l’isolement, et surtout, amener la communauté majoritairement anglophone à mieux prendre en compte les besoins des Franco-Ontariens. Mariette Fraser-Carrier s’emploie à ce travail de défrichage avec une énergie hors du commun.
Puis, arrive le jour où on lui offre le poste de sous-ministre adjointe à l’Éducation franco-ontarienne. Là encore du terrain à défricher.
« Je me suis dit : “Mais qu’est-ce que ça fait, ça, une sous-ministre adjointe?” Je n’avais aucune idée. Alors j’ai défini mon poste », se souvient-elle.
À son entrée en fonction en 1983, elle n’a ni description de poste ni équipe, hormis un agent d’éducation et une adjointe administrative.
Mais lorsqu’elle prend sa retraite de la fonction publique 14 ans plus tard, elle est à la tête d’une division comptant plus de 2 000 personnes; elle a mené à bien la création du premier collège communautaire de langue française dans le nord de la province, le Collège Boréal; et surtout, le projet de loi sur la création des conseils scolaires de langue française, qu’elle avait propulsé, a été adopté : les Franco-Ontariens ont enfin le contrôle de leurs écoles, après plus de 25 ans de lutte.
Même si elle avoue trouver parfois que « les choses ne bougent pas assez vite », Mariette Carrier-Fraser croit en la « politique des petits pas ».
« Les changements radicaux ne se font pas. Ce sont des changements graduels qui fonctionnent. Il faut être persévérant. Les francophones ont toujours su l’être. Pas nécessairement toujours patients, mais persévérants », dit-elle avec un sourire dans la voix.
Lorsqu’on évoque ses « combats », elle refuse gentiment la métaphore guerrière, affirmant préférer le mot « interventions ».
« Comme minorité, les Franco-Ontariens vont toujours avoir besoin d’interventions continuelles pour s’assurer qu’on n’oublie pas qu’ils existent. Et ça, ce n’est pas de la mauvaise volonté de qui que ce soit. Il ne faut pas penser que les anglophones sont contre nous ou essaient de nous nuire, au contraire. »

En 2007, Mariette Carrier-Fraser a reçu un doctorat honorifique de l’Université d’Ottawa. On la voit ici en compagnie de ses petits-enfants, Zoé et Nicholas Monette. Photo : Robert Lacombe
Elle-même semble impossible à arrêter. Après sa retraite, elle est demeurée très engagée au sein de la communauté franco-ontarienne, notamment à titre de présidente de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario et du Centre canadien de leadership en évaluation.
Même si elle se consacre aujourd’hui davantage aux questions d’accès aux services de santé en français (elle siège toujours à de nombreux comités et conseils d’administration), l’éducation continue de lui tenir à cœur. Qui plus est, sa fille, directrice d’école, et sa petite-fille, bientôt étudiante en éducation, partagent sa passion.
« Nos écoles sont essentielles pour maintenir notre culture et notre langue », tient-elle à nous rappeler. « Elles ont besoin d’être fortes, de rayonner dans leur communauté. Les jeunes ont besoin d’y vivre des expériences positives pour pouvoir eux aussi être fiers de préserver leur langue. »
Le travail de défrichage est fait; maintenant, il faut l’entretenir. Heureusement, avec toutes les personnes que Mariette Carrier-Fraser a touchées, convaincues et influencées durant sa carrière, la relève semble assurée.
Photo principale :
Mariette Carrier-Fraser a travaillé pendant plus de 36 ans dans le système d’éducation de l’Ontario, notamment comme sous-ministre adjointe à l’Éducation franco-ontarienne. Photo : Bonnie Findley