Le pouvoir de la presse

Photo en noir et blanc d’étudiants lisant le Fulcrum au milieu des années 1980.

« Le Fulcrum m’a permis de développer plusieurs compétences de base sur le journalisme, la concision et l’édition et m’a inculqué les vertus de la camaraderie. Syndrome de la page blanche ou non, le journal devait sortir, coûte que coûte. »

— Kate Heartfield

Par Mike Foster

L’effervescence de la salle de rédaction, le cliquetis frénétique des claviers, le sang, les larmes et la sueur répandus pour concocter des phrases parfaites sous la pression de l’heure de tombée, ce sont là des facettes de la réalité journalistique qui soudent singulièrement une équipe.

Tous ceux qui ont contribué au journal étudiant de langue anglaise The Fulcrum – journalistes, chefs de pupitre, directeurs artistiques, pigistes, photographes – depuis sa fondation en 1942 par le groupe English Debating Society sont invités le 9 mai prochain à une réception en l’honneur du 75e volume du journal.

Nous avons réussi à retrouver quelques-uns des nombreux aspirants journalistes de talent qui se sont succédé aux quartiers généraux duFulcrum, avenue King-Edward. Nous leur avons demandé de nous décrire leurs parcours et de nous expliquer comment le journalisme étudiant avait influencé le cours de leur carrière.

André Picard (B.Adm. Administration des affaires 1986), journaliste canadien émérite et spécialiste de la santé et des politiques publiques au Globe and Mail, nous a avoué qu’il serait probablement comptable aujourd’hui, n’eût été son passage au Fulcrum. Alors qu’il étudiait en administration des affaires, M. Picard a été convaincu par un ami d’écrire des critiques de disque (oui, des vinyles!) pour le Fulcrum. Il est par la suite devenu chef de pupitre de la section des arts, puis rédacteur en chef en 1983.

« Les histoires qui me reviennent à l’esprit sont surtout celles qui ont eu un certain retentissement », dit-il. Il pense entre autres à la campagne pour l’installation de feux de circulation sur la section de l’avenue Laurier traversant le campus, qui avait été organisée en réaction à la mort d’un étudiant heurté par un véhicule.

« Nous avons organisé des manifestations. Nous sommes sortis dans la rue et nous avons bloqué la circulation en matinée. Nous avons finalement obtenu notre feu de circulation », se souvient M. Picard. « Cet événement somme toute anodin m’a fait comprendre toute l’ampleur du pouvoir de la presse. »

Le SIDA, ou syndrome d’immunodéficience acquise, est un autre des sujets couverts par M. Picard pendant ses années au Fulcrum. À cette époque, cette maladie passait complètement sous le radar des médias grand public, mais faisait grand bruit sur les campus universitaires.

Après quelques années à travailler pour la Presse universitaire canadienne, entre autres comme président, Picard décroche, en 1987, un poste en journalisme des affaires au Globe and Mail. Or, son expérience de la couverture du SIDA lui ouvre rapidement les portes de la section des nouvelles générales.

Photos en noir et blanc montrant André Picard en 1983.

André Picard, rédacteur en chef du Fulcrum en 1983. Photo : The Fulcrum / Archives de l’Université d’Ottawa.

« J’en savais peu sur le SIDA, mais à l’époque, les médias grand public ne couvraient pas le sujet du tout », explique-t-il. « Je me souviens du moment où le chef de pupitre m’a demandé de lui rappeler si j’avais bien mis couverture du SIDA dans mon CV. Je lui ai répondu que j’avais couvert le sujet lorsque j’étais à l’université. »

Au fil des circonstances, il est amené à produire des articles sur le scandale du sang contaminé et sur la volteface du gouvernement fédéral pour dédommager les victimes. En 1993, il se voit décerner le prix Michener pour l’excellence du service public en journalisme. En 2002, la Pan-American Health Organization le couronne meilleur journaliste en santé à l’échelle des Amériques et lui décerne le Centennial Prize. Picard est aussi l’auteur des succès de librairie The Gift of Death: Confronting Canada’s Tainted Blood Tragedy et Critical Care: Canadian Nurses Speak for Change.

Par ailleurs, André Picard est né sur le campus de l’Université d’Ottawa. Il habitait dans une maison de la rue Henderson, qui est maintenant une résidence étudiante. C’est même au pavillon Tabaret qu’il a célébré son mariage avec Michelle Lalonde, journaliste à la Montreal Gazette et une autre ancienne rédactrice en chef du Fulcrum à la fin des années 1980.

« Depuis des années, je dis que la meilleure manière d’acquérir de l’expérience pratique est de s’impliquer dans un journal étudiant. On y récolte un bagage plus valable qu’un diplôme en journalisme. J’ai étudié en journalisme plus tard, mais je n’ai pas appris autant que lorsque j’étais au Fulcrum », remarque André Picard.

Kate Heartfield (B.Sc.Soc. 1999), chef des pages éditoriales au quotidien Ottawa Citizen, a été journaliste bénévole au Fulcrum en 1998-1999 et cochef de pupitre de la section actualités en 1999-2000.

« Je me souviens vaguement d’avoir écrit quelque chose sur l’édition maillots de bain du Sports Illustrated. Je ne me doutais pas à cette époque que je ferais une carrière dans le texte d’opinion », nous confie Mme Heartfield dans un courriel. « Le Fulcrum m’a permis de développer plusieurs compétences de base sur le journalisme, la concision et l’édition et m’a inculqué les vertus de la camaraderie. Syndrome de la page blanche ou non, le journal devait sortir, coûte que coûte. »

Son portfolio composé de ses articles du Fulcrum a sans doute contribué à la faire admettre au programme de maîtrise en journalisme de l’Université Carleton, qu’elle terminera en 2001. Un stage au comité de rédaction du journal Ottawa Citizen à l’été 2002 lui tracera la voie vers un poste à temps plein en 2004. Elle est aujourd’hui chef de la section éditoriale depuis 2013.

« Il m’arrive encore souvent d’être confrontée à des dilemmes éthiques, semblables à ceux que j’ai vécus au Fulcrum. La première fois, une source avait usé d’intimidation pour me forcer à lui montrer une version préliminaire de mon article. Cette situation a eu lieu au Fulcrum et elle se produit encore aujourd’hui. J’avais appris alors à être ferme, et cela m’est encore utile aujourd’hui », dit Mme Heartfield.

Ian Capstick, ancien attaché de presse de Jack Layton et aujourd’hui membre de l’équipe de gestion de l’entreprise ottavienne MediaStyle, a fait partie des invités à l’émission du réseau CBC Power and Politics et a écrit des chroniques pour plusieurs journaux canadiens. De 1999 à 2002, pendant ses études en communication à la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa, il est adjoint de bureau, chroniqueur artistique et rédacteur en chef au Fulcrum. Il devient par la suite membre du conseil d’administration.

« À mon arrivée sur le campus, je voulais vraiment m’investir dans quelque chose. J’ai rencontré les gens du Fulcrum et j’ai vite senti des atomes crochus. Et c’est ce qui est au cœur de tout journal universitaire. Ce sont les personnes qui peuplent cette maison de fous sur King-Edward, cette famille qui grandit de génération en génération », explique M. Capstick.

« Mon premier article portait sur la guerre des hot-dogs. J’ai été la cible des quolibets pendant quatre ans au Fulcrum à cause de cette histoire », se souvient Ian Chapstick. « Juste en face du pavillon Tabaret, il y avait toujours deux ou trois kiosques à hot-dogs. À un moment donné, en 1999, les propriétaires de ces kiosques ont eu une dispute qui s’est transformée en guerre. J’ai fait de cette histoire mon premier article pour le Fulcrum. Il y avait plus de points d’exclamation dans ce numéro que dans un volume entier. »

édition du Fulcrum, octobre 1981

« Je n’aurais tout simplement pas pu mener la carrière que j’ai menée sans le Fulcrum, ajoute-t-il. Mon travail au journal m’a fait comprendre concrètement les rouages de l’industrie médiatique au Canada et l’influence du conglomérat sur le métier. J’ai pu également améliorer mon orthographe! Vous apprenez des choses dans un journal universitaire que vous ne pouvez acquérir dans vos cours : comment écrire de façon journalistique, comment écrire une histoire. Nous étions en quelque sorte des imposteurs. Nous voulions faire du journalisme, sans pour autant l’étudier. »

Bill Beahan (B.A. 1967; M.A. Histoire 1972; Ph.D. Histoire 1980), était chef de pupitre aux sports (1964-1967). Il a suivi l’équipe de football des Gee-Gees dans plusieurs villes ontariennes, dont Windsor, Guelph et Kingston. Les équipes de hockey et de basketball étaient couvertes par deux autres journalistes.

Il y avait une atmosphère très collégiale au Fulcrum et c’était vraiment agréable d’y travailler », souligne M. Beahan. « Une fois, nous jouions contre Guelph et nous les battions 58 à 0. Il restait un quart. Le coach de Guelph s’est rué vers Matt Anthony, notre coach, pour lui dire d’envoyer des remplaçants. Matt l’a ignoré et a continué à faire grimper le score. »

M. Beahan se souvient d’un numéro du 1er avril intitulé « The Foolcrum » à l’occasion du poisson d’avril (April Fool’s Day). Le journal était rempli de canulars.

« La une titrait “Gatineau Man Cuts Finger” [Un homme de Gatineau se coupe le doigt]. L’article relatait l’histoire d’un soldat du Royal Canadian Regiment affecté dans une mission de l’OTAN en Europe. Ce dernier s’était coupé le doigt en ouvrant une ration C avant l’attaque des Soviétiques en Europe de l’Ouest », s’esclaffe Bill Beahan.

Au moment de prendre sa retraite, en 2004, Beahan était historien à la Gendarmerie royale du Canada, où il était responsable de la direction Partenariats stratégiques et patrimoine qui englobe le fameux carrousel de la GRC. Il a ensuite travaillé pour l’Association canadienne des chefs de police comme conseiller pour les relations ethnoculturelles et autochtones. Ses talents rédactionnels sont mis à contribution dans son essai Red Coats on the Prairies: The North-West Mounted Police, 1886-1900 et ses mémoires Encounters on the Camino del Santiago: Natural, Human and Divine.

« J’ai toujours aimé l’écriture. Cet art m’a suivi toute ma vie. Il ne fait aucun doute que mes années au Fulcrum ont peaufiné ma plume – ce qui n’était pas un luxe dans mon cas », souligne M. Beahan.

Si vous êtes un ancien collaborateur du Fulcrum, il est encore temps devous inscrire pour assister à la réception donnée en votre honneur et être témoin du dévoilement du 75e volume du journal.

Photo principale :
Des étudiants lisent un exemplaire du Fulcrum au milieu des années 1980. Photo : The Fulcrum / Archives de l’Université d’Ottawa.

La première édition du Fulcrum, en février 1942.

Sur la page couverture de la toute première édition du Fulcrum, en février 1942, on pouvait lire ce qui suit (en Anglais) « [Anciens étudiants, vos exploits accomplis au cours de vos années universitaires vous ont taillé une place durable dans le cœur de tous les loyaux partisans du Grenat et Gris…] » Photo : Mike Foster

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