Un programmeur à l’avant-garde
Par Mike Foster
Entrer au siège social de Shopify, rue Elgin, à Ottawa, c’est découvrir un lieu qui semble sorti tout droit d’un magazine de design architectural sur papier glacé. Dans le bureau de Jean-Michel Lemieux, au 10e étage, un écran vidéo sur l’un des murs fait voir un tableau de bord où des chiffres de couleur verte ou orange apparaissent en surbrillance. Un autre mur arbore quant à lui des formules algébriques et des diagrammes griffonnés à la main, selon une technique étonnamment archaïque dans ce contexte.
Jean-Michel Lemieux aime donner aux idées une forme visuelle. Il demande donc aux membres de son équipe de les dessiner à l’encre rouge sur les murs, qui ne sont ni plus ni moins qu’un gigantesque tableau blanc. Pendant ce temps, les écrans vidéo permettent à tous au sein de l’entreprise de suivre en temps réel les changements de code qui se produisent chez Shopify, cette société qui produit des logiciels de commerce électronique pour les entreprises et qui connaît un succès retentissant. Cela permet de maintenir ce que Jean-Michel Lemieux appelle la « cadence de l’innovation », qui consiste à orienter les efforts et les talents vers des objectifs communs. Le chiffre « 27 » qui s’affiche en vert sur le tableau de bord correspond au nombre de nouvelles fonctionnalités et mises à jour que l’entreprise a expédiées ce jour-là, explique-t-il.
« Nous voulons nous assurer de conserver notre rapidité lorsque nous réduisons l’échelle. La semaine dernière, nous avons lancé une fonctionnalité appelée Timeline, qui permet aux commerçants de collaborer entre eux en les aidant à déterminer qui a exécuté telle commande. Dans un monde où votre produit réside dans le nuage, cela permet d’obtenir fonctionnalités et mises à jour presque instantanément. »
Jean-Michel Lemieux (B. Sc. 1996, informatique) est depuis un an premier vice-président à l’ingénierie chez Shopify. Chaque mois, près de 100 millions d’utilisateurs uniques cliquent sur une fonctionnalité Shopify, et des biens pour une valeur d’un milliard de dollars sont vendus à l’aide d’une de ses plateformes.
« La raison d’être de Shopify, c’est de rendre le commerce aussi facile que possible en tout lieu », explique Jean-Michel Lemieux. « Il y a sur le marché énormément d’entrepreneurs qui ont de bonnes idées, mais la société leur impose des obstacles en grand nombre. Comment arriver à rentabiliser votre idée, par exemple? Comment vendre en ligne et bâtir votre marque? »
« Nous avons entrepris de nous attaquer à la tâche immense qui consiste à numériser le commerce sur Internet. Nous essayons de transposer sur Internet, à faible coût, toutes les manières traditionnelles de faire du commerce », ajoute-t-il. Son équipe d’ingénieurs et de programmeurs d’élite a tout ce qu’il faut, selon lui, pour relever ce colossal défi technologique, et il est farouchement déterminé, dit-il, à leur offrir un environnement de travail visuellement splendide.
Apprendre à la vitesse grand V
La carrière en informatique de Jean-Michel Lemieux a commencé dès son adolescence. Au secondaire, il composait de la musique à l’aide d’un clavier Atari ST et d’un ordinateur portable. Un conseiller d’orientation lui a alors recommandé de faire des études en informatique. Cela peut sembler difficile à croire aujourd’hui, mais pendant ses deux premières années à la Faculté de génie, au début des années 1990, la révolution Internet n’était pas encore venue bouleverser nos vies.
« À l’université, je me sentais comme un enfant dans un magasin de bonbons. Je n’en revenais pas : je pouvais explorer les ordinateurs, et à temps plein, en plus! », raconte-t-il. « Je me suis beaucoup amusé et j’ai beaucoup appris. Depuis, j’ai en quelque sorte aménagé ma vie de manière à pouvoir continuer indéfiniment d’apprendre à ce rythme. »
Un stage obtenu grâce au programme coop de l’Université lui a valu son premier emploi, chez Hewlett Packard, à l’époque où Ottawa faisait figure de Silicon Valley du Nord. Une bonne part de l’infrastructure sur laquelle Internet a été édifié – la téléphonie, les protocoles, les logiciels – a eu son origine à Ottawa, dit Jean-Michel Lemieux, et il a fait partie de ce monde. Il a passé 10 années à faire du codage pour une poignée de jeunes entreprises Internet.
Un logiciel sur la planète Mars
En 2005, il co-écrit l’ouvrage d’informatique The Eclipse Rich Client Platform, qui porte sur une plateforme logicielle développée par lui et son équipe pendant qu’il travaillait pour Object Technology International, filiale d’IBM Ottawa. Cette plateforme, qui vise à faciliter pour les développeurs l’écriture d’outils logiciels, a été utilisée pour des milliers de produits. Elle a même servi pour la mission Mars Exploration Rover.
La flexibilité de la plateforme a fourni aux ingénieurs en logiciels et aux scientifiques de la NASA une interface d’utilisation facile sur laquelle ils ont pu concevoir et programmer des expériences à réaliser pendant que les deux Rover se trouvaient sur Mars.
« Nous avons bâti une infrastructure qui permet d’élaborer des applications de toutes sortes sans que les équipes d’ingénieurs aient besoin à chaque fois de réinventer la roue. Il s’agissait en quelque sorte des éléments de base pour mettre au point des applications avec une très grande facilité. »
Parenthèse australienne
Jean-Michel Lemieux s’est ensuite intéressé à Atlassian, une entreprise australienne en émergence qui produit un logiciel de collaboration sur les lieux de travail. Il a téléchargé le logiciel, a trouvé des moyens de l’améliorer et a envoyé ses suggestions par courriel à l’entreprise.
Résultat : il a été embauché comme vice-président à l’ingénierie et est allé s’installer à Sydney avec sa famille en mars 2011. Pendant son séjour là-bas, il a recruté des centaines d’ingénieurs en logiciels, faisant passer les effectifs d’Atlassian de 150 employés à près de 1 500.
Maintenant de retour à Ottawa avec Shopify, Jean-Michel Lemieux a pris le temps de revenir sur sa carrière lors d’une table ronde Votre avenir en innovation, organisée en mars par la Faculté de génie afin de souligner le Mois national du génie. Camille Taylor (B. Sc. A. 2003, génie chimique), ingénieure principale en qualité de l’air chez Golder Associates, était également présente pour discuter de son expérience avec les étudiants.
Selon Jean-Michel Lemieux, le génie logiciel et l’informatique sont en train de devenir des activités créatives dans un environnement d’une complexité croissante, où l’expérimentation est nécessaire. Il estime que sa curiosité naturelle a joué dans sa propre carrière un rôle plus important que ses méninges. Aujourd’hui, c’est ce type de créativité qu’il recherche chez ses employés.
« J’ai l’habitude de demander aux gens d’exposer un problème non seulement verbalement, mais aussi à l’aide d’un dessin », dit-il, ajoutant qu’il exige souvent des candidats à un poste qu’ils lui apprennent quelque chose de nouveau.
« Si vous pouvez enseigner à d’autres ce que vous savez, vous réussirez beaucoup mieux à comprendre le problème. »
Photo principale :
Jean-Michel Lemieux devant l’écran vidéo qui lui permet de suivre les mises à jour de codage et les nouvelles fonctionnalités de Shopify. Photo : Robert Lacombe.