Suivre à la trace les produits toxiques

Vue aérienne du site de la mine Giant, avec la courbure de la Terre à l’horizon.

« Étudier l’environnement, c’est souvent comme arriver sur la scène d’un accident; on est mis devant le fait accompli. Nous cherchons à trouver la meilleure façon de tirer des leçons de nos erreurs. »

—Jules Blais

Par Mike Foster

De 1948 à 2004, on a extrait sept millions d’onces d’or de la mine Giant, au bord du Grand lac des Esclaves, dans les Territoires du Nord-Ouest. Mais l’extraction de ces immenses richesses pendant près de 50 ans a entraîné la production d’un poison mortel – 237 000 tonnes de trioxyde de diarsenic.

Cela fait dix ans ce mois-ci que le gouvernement du Canada et celui des Territoires du Nord-Ouest ont signé une entente pour le nettoyage du site. Le Projet d’assainissement de la mine Giant, qui devrait coûter près d’un milliard de dollars, vise la décontamination des terres et des cours d’eau et la restauration du paysage. Le site, qui se trouve environ à six kilomètres de Yellowknife, comprend cent bâtiments hautement contaminés, des fosses à ciel ouvert, des bassins à résidus et des sols contaminés.

Laurie Chan, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en toxicologie et santé environnementale, fait partie du Comité indépendant d’évaluation par les pairs créé par Affaires autochtones et Développement du Nord Canada pour étudier l’assainissement de la mine Giant. En août dernier, le Comité a décidé que le meilleur plan d’action, sur les 56 solutions possibles pour l’assainissement du site, était d’utiliser la méthode des « blocs congelés » pour congeler le trioxyde de diarsenic actuellement stocké dans des conteneurs souterrains. À l’aide de processus de réfrigération semblables à ceux qu’on utilise pour les patinoires intérieures, on empêchera ainsi les produits toxiques de s’écouler dans l’environnement.

« Il serait trop difficile et trop dangereux d’éliminer l’arsenic du sol. Ce serait comme exploiter une mine d’arsenic », affirme le professeur Chan, qui continue à donner des conseils aux responsables du projet sur la façon de protéger les travailleurs pendant les travaux d’assainissement. Dans le cadre du projet, on surveille également les niveaux de contamination chez des poissons comme l’ombre arctique dans le ruisseau Baker, qui traverse le site et est très fréquenté par les pêcheurs.

Jules Blais, un collègue de Laurie Chan, est professeur de biologie et de toxicologie environnementale à la Faculté des sciences de l’Université d’Ottawa et dirige le Laboratoire pour l’analyse de toxines environnementales naturelles et synthétiques (LATENS); il étudie les niveaux d’arsenic aux environs du site de la mine Giant. L’année dernière, il a obtenu une subvention de 570 000 $ du Conseil national de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) pour un projet stratégique de trois ans visant à créer de nouveaux outils d’évaluation des polluants et de leurs effets sur l’environnement dans les lacs voisins des mines des Territoires du Nord Ouest.

« On peut détecter l’arsenic dans les lacs environnants, dans un rayon de 15 kilomètres de la mine », affirme M. Blais. « Nos travaux portent uniquement sur les milieux extérieurs à la mine. Selon une analyse préliminaire, le niveau de trioxyde de diarsenic présent dans les lacs dépasse le seuil à respecter pour protéger la vie aquatique. »

Jules Blais examine des carottes de sédiments pour dresser des relevés environnementaux qui remontent à plusieurs centaines d’années. Les couches de sédiments renferment des indices, par exemple, les carapaces de cladocères – de minuscules crustacés très importants dans la chaîne alimentaire aquatique – qui révèlent l’évolution du lac au fil du temps, tout comme les anneaux d’un tronc d’arbre révèlent le climat du passé.

L’un des objectifs du professeur Blais est de déterminer si les sédiments du lac retirent l’arsenic de l’eau en l’absorbant, ou s’ils ont plutôt pour effet de le diffuser. Ses premiers résultats montrent que le niveau d’arsenic dans les sédiments a augmenté au cours des années pendant lesquelles le four de grillage de la mine Giant faisait fondre le minerai pour en extraire l’or, particulièrement avant que les mesures de contrôle des polluants soient mises en place. Les résultats montrent que les cladocères ont été décimés pendant cette période.

« Étudier l’environnement, c’est souvent comme arriver sur la scène d’un accident; on est mis devant le fait accompli. Notre approche nous permet de remonter le temps et de reconstituer les événements; nous étudions les réactions du biote aux perturbations passées », affirme Jules Blais. « Nous cherchons à trouver la meilleure façon de tirer des leçons de nos erreurs. »

La recherche, une fois publiée, présentera une étude bien documentée qui décrira l’évolution de contaminants comme l’arsenic, le mercure et le dioxyde de soufre et montrera ce qui s’est passé depuis la fin des opérations de la mine et la façon dont les contaminants se sont déplacés dans l’écosystème. Jules Blais espère aussi que sa recherche sera utile aux responsables de la réglementation.

« Si les responsables de la réglementation comprennent mieux les effets de produits toxiques comme le soufre et l’arsenic sur l’environnement, s’ils ont les outils nécessaires pour mieux en comprendre les conséquences environnementales, ils seront mieux placés pour les réglementer », affirme Blais.

Jules Blais et Laurie Chan sont une source d’inspiration pour les militants écologistes de la prochaine génération qui reçoivent une solide formation à l’Université d’Ottawa.
 

Image of Laurie Chan examining samples in his lab.

Laurie Chan participe à la formation des prochains experts en toxicologie environnementale. Photo : Bonnie Findley.

En 2013, conscient de la nécessité de former les futurs toxicologues environnementaux, Laurie Chan a réuni une douzaine d’experts de l’Université d’Ottawa, de l’Université Carleton, de l’Université Laval, de l’Université de l’Alberta, de Santé Canada et d’Environnement Canada pour s’engager à former plus de cent étudiants au cours des six années suivantes. Il a obtenu à cette fin une bourse du Programme FONCER du CRSNG, d’un montant de 1,65 million de dollars en 2014, pour mener des recherches en environnement, en chimie analytique et en toxicologie (REACT).

Près de la moitié des étudiants concernés fréquenteront l’Université d’Ottawa. La première cohorte de 15 étudiants a commencé le programme FONCER du CRSNG en septembre dernier, explique le professeur Chan, qui dirige le Centre de recherche avancée en génomique environnementale (CRAGE) de l’Université d’Ottawa. Les étudiants apprendront à utiliser les technologies les plus récentes et étudieront la façon dont la science contribue à la réglementation des produits chimiques dangereux dans l’environnement, dit-il.

« Je veux pouvoir prendre ma retraite un jour! Nous voulons que la prochaine génération soit bien formée », lance le professeur Chan. « Ces étudiants auront une solide formation en chimie analytique et en toxicologie pour trouver la source des différents produits chimiques, suivre leurs déplacements et étudier leurs effets. L’Université d’Ottawa est bien placée pour cela, car elle peut compter sur l’engagement et le soutien d’un réseau de scientifiques du gouvernement. »

Laurie Chan est bien connu pour son expertise en surveillance des polluants environnementaux dans la chaîne alimentaire et de leur impact potentiel sur la santé. Il a agi à titre de chercheur principal pour l’Étude sur l’alimentation, la nutrition et l’environnement chez les Premières Nations (en anglais), la première en son genre à l’échelle nationale. L’étude, menée en partenariat avec l’Assemblée des Premières Nations et l’Université de Montréal, a permis de se rendre compte que le niveau d’insécurité alimentaire chez les communautés des Premières Nations est élevé et que leur alimentation est de piètre qualité en raison d’un accès de plus en plus difficile aux aliments traditionnels par la chasse, la pêche et la récolte, et de la faible valeur nutritive des aliments disponibles en épicerie. Selon l’étude, une certaine contamination chimique touche les aliments traditionnels et l’eau dans certains secteurs, mais en général la pollution environnementale ne représente pas un problème important pour la santé. Cependant, l’étude recommande de continuer à surveiller les tendances futures en utilisant comme référence les données recueillies.

En 2014, le CRSNG a aussi reconnu l’expertise de l’Université d’Ottawa en lui accordant deux autres subventions de projets stratégiques.

Vance Trudeau, professeur de biologie à la Faculté des sciences, a obtenu plus de 600 000 $ sur trois ans pour étudier les effets négatifs des produits chimiques des sables bitumineux sur les amphipodes et les amphibiens. Son équipe de recherche étudie des contaminants difficiles à catégoriser, mais potentiellement toxiques, associés à l’extraction de bitume et cherche à formuler des lignes directrices sur les niveaux de toxicité en vue de réduire les risques environnementaux de l’exploitation des sables bitumineux.

Le Département des sciences de la Terre a également obtenu des subventions du CRSNG. Le professeur Jack Cornett, qui fait aussi partie de l’équipe FONCER, a obtenu plus de 750 000 $ sur trois ans pour trouver, mettre à l’essai et valider de nouvelles méthodes de mesure de radionucléides potentiellement dangereux dans l’eau à proximité des centrales nucléaires. Il utilisera le spectromètre de masse par accélérateur du Complexe de recherche avancée pour trouver des techniques spectrométriques plus précises de mesure des radionucléides.

Manifestement, l’Université d’Ottawa joue un rôle de premier plan dans l’application des plus récentes découvertes scientifiques à la protection de notre environnement.

Les diplômés de l’Université qui souhaitent en savoir plus sur les travaux de Laurie Chan peuvent assister, le 6 mai prochain, au dîner conférence du doyen de la Faculté des sciences, intitulé L’avenir du Nord, dans le cadre des activités de la Semaine des diplômés. Le professeur Chan nous présentera ses dernières découvertes sur les répercussions profondes des changements climatiques et de l’exploitation des ressources naturelles dans le Nord sur les gens, les communautés et les écosystèmes.

Photo principale :
Photo aérienne de la mine Giant, près de Yellowknife, T.N.-O. Photo : Joshua Thienpont.

Jules Blais monte dans l’hélicoptère à partir d’un flotteur.

Jules Blais monte sur le flotteur d’un hélicoptère après avoir recueilli un échantillon d’eau. Photo: Linda Kimpe.

 

Haut de page