Théâtre de rêves
Par Mireille Piché et Mike Foster
Nos diplômés font généralement très bonne figure au gala des prix Rideau. Cette année n’a pas fait exception.
À la fin de ce 8e gala annuel, tenu pour la première fois en 2006 pour promouvoir les productions théâtrales françaises et anglaises dans la région d’Ottawa-Gatineau, neuf diplômés avaient remporté des prix dans dix catégories.
Et du côté francophone, les gagnants sont...
Sept diplômés du Département de théâtre ont remporté un prix Rideau dans diverses catégories.
Nous nous sommes entretenues avec deux d’entre eux, Caroline Yergeau (B.A. 2009, théâtre) et Louis Philippe Roy (B.A. 2008, théâtre), récipiendaires du prix « Nouvelle création de l’année » pour la pièce Fucking Carl qu’ils ont coécrite et dans laquelle ils interprètent un couple issu de la culture qu’on appelle « white trash ».
« Ce couple vit dans une pauvreté autant financière que culturelle, explique Caroline Yergeau. Un contexte particulier les amène à se présenter devant un comité pour demander à adopter un enfant. Un moment donné, ils décident que ce sera plus vite pour eux de montrer au comité des moments de leur vie plutôt que de les raconter. »
Louis Philippe Roy ajoute qu’ils ont « décidé d’utiliser le public comme étant le jury, brisant ainsi le quatrième mur ».
Dans la pièce, il y a inversion des rôles, tant dans l’écriture que dans l’interprétation. C’est donc Louis-Philippe Roy qui a écrit les textes pour le personnage de Jessica et qui l’a interprété, et Caroline Yergeau qui a pondu les textes du personnage de Jason et qui est entrée dans sa peau.
« C’était une suggestion du metteur en scène Kevin Orr, explique Roy. Je trouve que ça ajoute une couche à la proposition théâtrale. Le texte passait mieux venant de l’autre sexe. On s’est beaucoup plus amusé sans peur de tomber dans le cliché et le stéréotype. »
Pour Yergeau, c’était une manière de parler d’eux, « sans les juger », insiste-t-elle.
Et pourquoi avoir choisi un titre aussi percutant?
En fait, il faut l’interpréter comme « Sapré Carl », un diminutif amical qui qualifie l’ami de Jason. Jessica n’aime pas tellement Carl, qui est toujours omniprésent même si on ne le voit pas physiquement dans la pièce.
« Oui, c’est vulgaire, commente Roy, mais c’est une expression que j’entends tellement souvent.»
Finalement, Yergeau explique comment on se sent après avoir remporté ce genre de prix : « On est vraiment heureux, parce que Louis Philippe et moi avons travaillé super fort pour ce prix-là, et c’est vraiment une création ».
Intrigué? Intéressée? Pour voir ce couple au langage aussi vivant que coloré, rendez-vous à La Nouvelle Scène du 14 au 30 juillet 2016.
Du côté du théâtre anglais
Margo MacDonald (B.A. [Théâtre] 1991) a remporté le prix de la nouvelle création de l’année et celui de la meilleure actrice pour sa pièce The Elephant Girls.
Son homologue Mary Ellis (B.A. [Théâtre] 1979) a quant à elle remporté un prix pour la mise en scène de la même pièce, réalisée par Parry Riposte Productions.
Cette pièce pour une seule actrice – qui se déroule entièrement dans un pub – est un monologue interprété par Maggie Hale, membre fictive d’un gang criminel féminin réel qui a sévi à Londres dans les années 1920.
Margo MacDonald a eu l’idée d’écrire cette œuvre de fiction historique en lisant Gangs of London de Brian McDonald (2010). Elle a entrepris des recherches pour construire le parcours émotionnel de cette femme, entre autres lors de séjours à Londres.
L’actrice, qui avait déjà remporté deux autres prix d’interprétation en 2008 et 2013 au même gala, était particulièrement heureuse d’être récompensée pour une œuvre de son cru.
« C’est d’autant plus réjouissant qu’inattendu. Je n’avais aucune idée de la réception de cette pièce », explique l’auteure, qui cherche en ce moment du soutien pour une tournée, peut-être en Angleterre.
Mary Ellis était tout aussi ravie de récolter son premier prix Rideau, elle qui a été nommée presque tous les ans pour son jeu d’actrice ou sa mise en scène.
« Je joue depuis des dizaines d’années, mais je n’ai commencé la mise en scène qu’il y a cinq ans. Un prix dans cette catégorie était donc particulièrement significatif pour moi », raconte Mme Ellis, en ajoutant que la direction d’une seule actrice dans un lieu unique posait des difficultés particulières.
« C’est une histoire palpitante, et Margo est une actrice vraiment fascinante. Mais comme metteure en scène, je devais trouver des façons de rendre la pièce intéressante visuellement, notamment en jouant avec l’éclairage, mais aussi avec l’utilisation de l’espace par la comédienne », explique-t-elle.
Ce fut une grande année pour Margo MacDonald. La troupe qu’elle a cofondée avec Heather Jopling (B.A. [Théâtre] 1990) – A Company of Fools – célébrait cette année son 25e anniversaire. C’est pendant leurs études à l’Université que les deux femmes se sont mises à jouer Shakespeare pour quelques sous dans les rues et les parcs d’Ottawa. Même si elle n’en assure plus la direction, Margo travaille encore parfois avec cette troupe.
Une mise en scène bien orchestrée
L’avenir du théâtre à l’Université s’annonce prometteur.
La Ville d’Ottawa, la Galerie d’art d’Ottawa et l’Université ont entrepris conjointement la construction d’un bâtiment de 1 580 m2 comprenant quatre studios-salles de classe et une salle de théâtre de style « boîte noire » de 120 places sur la rue Waller, qui ouvrira ses portes en 2017. Les travaux, amorcés en août, prévoient de nouveaux locaux pour la Galerie d’art d’Ottawa et la Cour des Arts.
Selon Joël Beddows, directeur du Département de théâtre, ces nouveaux locaux permettront à l’Université de mettre sur pied un baccalauréat en beaux-arts de style conservatoire avec spécialisation en théâtre.
« Les francophones de l’extérieur du Québec n’ont pas accès à un programme de formation en théâtre professionnel de style conservatoire. Ils s’inscrivent à l’Université au B.A., mais il n’y a pas de baccalauréat en beaux-arts. Sans compter que le théâtre anglais à Ottawa connaît une expansion phénoménale. Mais il n’existe pas de baccalauréat en beaux-arts », déplore M. Beddows.
Il précise que ce bâtiment ultramoderne comptera une scène mobile avec une régie suffisamment grande pour accueillir des enseignants, et une salle de théâtre qui permet à peu près toutes les configurations possibles.
« Nous pourrons configurer cette salle à notre guise pour jouer du Shakespeare, de la tragédie grecque ou du théâtre politique… En ce moment, nous avons la Salle académique – la plus vieille salle d’Ottawa – cette grande dame âgée que nous adorons », décrit le directeur, en ajoutant qu’elle n’est toutefois pas polyvalente et que les espaces actuels pour jouer et répéter sont presque toujours tous occupés.
Pour revenir aux lauréats des prix Rideau de cette année, Joël Beddows estime que la bonne figure des diplômés démontre que le programme de l’Université favorise la confiance en soi des étudiants.
« Nous enseignons à nos étudiants à créer leurs propres œuvres, à faire des projets avec leur troupe, à être proactifs et à faire de l’art, dit M. Beddows. Nous nous opposons farouchement à produire des diplômés sortant tous d’un même moule. »
« Quand notre Université adopte des slogans comme elle vient de le faire [défier les conventions], en nous invitant à voir les choses autrement, je me sens vraiment chez moi, ajoute-t-il. Quand j’entends que la prospérité économique du Canada repose sur la création, les perspectives nouvelles, les idées novatrices et la capacité de prendre des risques, je me demande si quelqu’un n’a pas plagié le mandat de notre Département de théâtre! »
Les autres gagnants diplômés sont :
Marie-Ève Fontaine (B.A. 2014), Prix ‘Artiste en émergence’ ;
Kira Ehlers (B.A. 2000), Mise en scène de l’année pour À toi, pour toujours, ta Marie-Lou ;
Andrée Rainville (B.A. [Théâtre et Lettres françaises] 2007), Interprétation féminine de l’année pour Cinéma ;
Marie-Pierre Proulx (B.A. 2009 et M.A. 2012) et Benoît Brunet-Poirier (B.A. 2012), Conception de l’année pour Cinéma (scénographie-vidéo).