TLR, REM et projets de transport public : naviguer le flou

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Par Paul Logothetis

Media Relations Agent, External Communications, uOttawa

Le train LRT d'Ottawa sur les rails en hiver
Sebastien Artaud (Unsplash)
Une nouvelle étude de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa vient éclairer la gestion des projets publics qu’ils soient réalisés dans le respect des délais, des budgets et des attentes.

La Ville de Gatineau entend implanter un réseau de tramway qui la reliera à Ottawa, où le train léger (TLR) connaît toujours des problèmes majeurs. À Montréal, le Réseau express métropolitain (REM), le métro léger nouvellement en service, connaît aussi ses ratés. Mais comment les municipalités peuvent-elles réussir à mettre en place un réseau de transport en commun sans que le projet tombe à l’eau et entraîne des problèmes des années durant?

Une étude récente d’un professeur de l’Université d’Ottawa propose aux responsables des projets d’arrêter d’ignorer le mot qui commence par « F ».

Le professeur Lavagnon Ika de l’École de gestion Telfer remarque que le manque de recul par rapport au contexte qui entoure la réalisation des grands projets de transport en commun nuit à leur fonctionnement. Plus précisément, le caractère indéfinissable et flottant des objectifs de ces projets, leur portée changeante et les attentes contradictoires des parties prenantes sont la cause des plus gros problèmes. En effet, le rôle le plus important des gestionnaires de projet, ce n’est pas de respecter le budget, mais de gérer le flou.

« Il existe une solution aux retards, au dépassement des coûts, à l’échec des dossiers de décision et à la consternation des passagères et passagers, explique le professeur Ika, qui a examiné 3 000 projets de transport en commun dans le cadre de son étude et qui a aussi publié récemment un livre sur le sujet. Pour gérer le flou, il faut voir plus loin que les échéances, les coûts et la portée d’un projet, et appliquer plutôt une approche globale qui tient compte des aspects rationnel, psychosocial et politique du projet. »

Le professeur Ika – qui est professeur titulaire de gestion de projet, directeur fondateur de l’Observatoire des grands projets et directeur des programmes MSc en gestion et en systèmes de santé à Telfer – nous parle de sa recherche, notamment des aspects rationnels et des politiques dont il pourrait être pertinent de tenir compte dans les prochaines étapes des projets de TLR à Ottawa, de tramway à Gatineau et de REM à Montréal.


Question : Quel est le point commun qui explique pourquoi ces projets sont sujets à des complications?
Réponse : « Souvent, les gestionnaires abordent ces projets avec une approche standard, privilégiant le respect des échéances et du budget au détriment des aspects sociopolitiques et des répercussions sociétales. Bien vite, les gestionnaires réalisent que les enjeux politiques prennent le dessus sur leurs plans, même si ce qui compte le plus, c’est de servir le public et la société.

Dans le cas du TLR, le maire de l’époque, Jim Watson, a bloqué son budget à 2,1 milliards de dollars, et ce, avant la fin des étapes de planification et de conception. Cette annonce prématurée d’un budget optimiste était un faux pas politique qui a entraîné de mauvaises décisions, par exemple l’exclusion des portes palières dans la conception, ce qui s’est révélé contre-productif plus tard : les passagers bloquaient les portes, causant des bouchons sur les plateformes et des retards importants dans les déplacements, selon le rapport d’enquête. Les responsables de la planification et les gestionnaires ont aussi tendance à négliger les attentes des parties prenantes et les répercussions politiques pour l’équipe principale du projet, directement et indirectement, pour ensuite se rendre compte que la politique supplante les plans. »

Lavagnon Ika

« Les “projets flous”, pour lesquels les objectifs étaient évolutifs et les parties prenantes, diversifiées, la clé, c’est de dialoguer continuellement avec la clientèle, et ce, dès le début du projet. »

Le professeur Lavagnon Ika

— Directeur fondateur de l’Observatoire des grands projets à Telfer

Q : Vous mentionnez les attentes liées au « mot qui commence par f ». Pourquoi le flou est-il si pertinent?
R : « Le flou est à son paroxysme quand sont impliquées plusieurs parties ayant des intentions différentes et des organisations ayant des attentes divergentes. Elles peuvent alors influencer considérablement les grandes étapes du projet, à commencer par le libellé initial du mandat, qui peut beaucoup évoluer avec le temps. C’est aussi possible que tout change subitement après une élection, ce qui ajoute une autre facette à la dimension politique. »


Q : Quelle solution proposez-vous?
R : « Je propose une approche holistique qui mise d’abord sur l’applicabilité globale (avantages sociétaux) et non sur l’efficacité (clientèle officielle) et l’efficience (utilisation des ressources). Ce type d’approche implique de tenir des rencontres prospectives et de s’entretenir avec un vaste éventail de parties prenantes pour assurer une meilleure planification et prise de décisions.

En somme, il faut opérer un changement de paradigme dans la gestion des projets de transport en commun et insister sur l’importance des répercussions sociétales, de la mobilisation des parties prenantes et d’une compréhension approfondie du contexte du projet et de sa complexité sociopolitique. »

Q : Ultimement, qu’est-ce qui pourrait être fait pour assurer la réussite de ces projets?
Réponse :
« D’après mes recherches poussées sur les “projets flous”, pour lesquels les objectifs étaient évolutifs et les parties prenantes, diversifiées, la clé, c’est de dialoguer continuellement avec la clientèle, et ce, dès le début du projet. Les personnes qui n’utiliseront pas le transport en commun doivent elles aussi être consultées; elles sont souvent mises de côté, même si elles constituent le plus grand groupe de contribuables touchés, et même si les retombées du projet comme la réduction de la circulation et de la pollution et la revitalisation urbaine leur profiteront aussi.

Je recommande trois mesures concrètes pour gérer l’évolution des coûts d’un projet :

  1. Réaliser une analyse comparative.
  2. Réajuster les estimations de coûts à l’étape du dossier de décision.
  3. Réévaluer comment on tient compte des impondérables et les évalue.

Si nous voulons améliorer l’évolution des coûts des projets d’infrastructure de transport, il faut établir des définitions et une terminologie uniformes pour mieux comprendre le contexte et la raison d’être des projets. Alors seulement serons-nous à même de prendre des décisions fondées sur des données probantes concernant les risques. »

Le professeur Lavagnon Ika est co-auteur du livre Managing Fuzzy Projects in 3D: A Proven, Multi-Faceted Blueprint for Overseeing Complex Projects et de l’article Large-Scale Transport Infrastructure Project Performance: Generating a Narrative of Context and Meaning, publié dans le IEEE Transactions of Engineering Management en août 2023.

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