Diplomatie officieuse : un chercheur de l’Université d’Ottawa explore de nouvelles avenues de résolution de conflits

Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

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Professeur Peter Jones
Selon les Nations Unies, nous sommes confrontés au nombre le plus élevé de conflits violents et politiques depuis la Seconde Guerre mondiale.

Qui plus est, ces conflits sont sans précédent.

Les pays doivent composer avec des conflits internes qui dégénèrent, nourris par les avancées technologiques et les répercussions croissantes des changements climatiques. Dans ce contexte en pleine mutation, la diplomatie traditionnelle est souvent impuissante. Une question urgente se pose alors : quelles stratégies novatrices de résolution de conflits peuvent mener à une paix durable?

C’est ici qu’entre en jeu la « diplomatie officieuse » – une forme de diplomatie non officielle dans le cadre de laquelle des universitaires, de hauts fonctionnaires à la retraite, des leaders d’ONG et d’autres figures de la société peuvent explorer de nouvelles idées, tisser des liens et explorer de nouvelles voies à suivre hors des contraintes des engagements officiels.

Peter Jones, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa, est un expert de ce nouveau domaine en pleine évolution. Son expérience au sein de la fonction publique canadienne l’a propulsé dans une carrière de recherche sur cette forme unique de diplomatie qui lui est aujourd’hui bien utile pour s’attaquer à des conflits en cours.

Redécouvrir une pratique informelle qui remonte à des décennies

En début de carrière, le professeur Jones négociait des traités de contrôle des armements et collaborait à des efforts de médiation et de dialogue pour le gouvernement du Canada.

C’est pendant cette période qu’il a constaté que les autorités, contraintes par des directives et des protocoles très stricts, peinaient souvent à engager un réel dialogue. « Je me demandais s’il y avait une façon pour les gens de discuter de manière informelle et d’explorer de nouvelles approches », dit-il.

Cette curiosité l’a poussé à quitter la fonction publique pour aller travailler dans un institut de recherche à Stockholm. Là-bas, il a commencé à animer des échanges informels entre des personnes proches de leur gouvernement respectif – des personnes qui comprenaient les enjeux sans pour autant être assujetties à des règles officielles.

« À l’époque, je n’avais pas réalisé que le travail que j’accomplissais avait un nom – la diplomatie officieuse – et une histoire, affirme le professeur Jones. Au milieu des années 1990, nous étions au fait de ces discussions discrètes tenues en coulisse, mais les recherches avaient peu à offrir quant à leur fonctionnement, aux meilleures pratiques et aux défis inhérents à cette façon de faire. » 

Le passé, source d’inspiration pour le présent

Résolu à établir un corpus officiel de connaissances sur cette pratique, le professeur Jones a consacré sa carrière à étudier les méthodes officieuses de résolution de conflits et de dialogue, ainsi qu’à les mettre en pratique.

L’analyse de situations passées où des progrès ont été réalisés dans des conflits en apparence insolubles fait partie intégrante de la recherche. « Prenons par exemple l’Irlande du Nord ou l’Afrique du Sud, explique le professeur de la Faculté des sciences sociales. Sans nécessairement dire que la paix y règne, les affrontements majeurs ont grandement diminué. Donc, que pouvons-nous apprendre de ces situations pour résoudre les conflits actuels? » demande-t-il.

Le professeur aborde également les difficultés récurrentes du dialogue non officiel. « Nous devons démontrer que nous respectons des normes déontologiques élevées dans notre façon de le pratiquer. »

L’un des plus grands défis réside dans le « transfert », c’est-à-dire la transformation des idées ressorties d’échanges officieux en efforts diplomatiques officiels. « Pour garantir que ces échanges ne restent pas des paroles en l’air, il est essentiel d’établir des avenues claires pour transférer ces idées là où elles auront un impact », dit-il.

Il est également compliqué de mesurer l’efficacité et la portée de ces dialogues. « Comment évaluer la réussite d’un processus habituellement long et discret? »

Le professeur Jones propose comme solution d’incorporer une certaine représentation officielle dans les échanges informels. « Cette approche de plus en plus répandue, souvent appelée “diplomatie hybride”, comble l’écart entre la diplomatie officielle et la diplomatie officieuse, ce qui augmente la crédibilité, la transférabilité et l’efficacité du processus », explique-t-il.

Il souligne aussi l’importance de mobiliser la société civile dans la résolution de conflits. « La défense des intérêts publics – la troisième voie de la diplomatie – voit à ce que les efforts de paix soient inclusifs et transforment réellement les sociétés embourbées dans des conflits. »

Les principes en action

Pour Peter Jones, c’est en élargissant la portée de sa recherche au-delà de son laboratoire, sur le terrain, qu’il pourra changer les choses. C’est pourquoi il a fondé Ottawa Dialogue, un organisme de recherche et d’action à l’Université d’Ottawa consacré à la résolution de conflits internationaux par le dialogue.

Ottawa Dialogue est doté d’un programme ambitieux de recherche et de publication axé sur la diplomatie officieuse et étroitement lié à ses activités sur le terrain. « Nous sommes d’avis que la pratique et la recherche s’éclairent et s’orientent mutuellement », confie-t-il.

Les travaux d’Ottawa Dialogue lui ont d’ailleurs valu une reconnaissance internationale. Il y a deux ans, l’organisme a été admis au sein du Mediation Support Network, un regroupement des plus importantes ONG de médiation et de résolution de conflits, parrainé par les Nations Unies. C’est d’ailleurs le seul organisme canadien membre du réseau.

« Depuis notre fondation en 2007, nous avons facilité des initiatives de résolution de conflits entre l’Inde et le Pakistan, la Malaisie et l’Indonésie, l’Iran et les États-Unis, Israël et la Palestine, ainsi qu’en Afghanistan. »  

Parmi celles-ci, le dialogue indo-pakistanais se démarque par sa durée et sa réussite. « Le projet, né il y a plus de 15 ans, a d’abord été axé sur les relations militaires et nucléaires complexes entre les deux États. Notre travail et nos liens ont évolué au fil d’une série de rencontres discrètes pour en arriver à inclure d’autres enjeux. »

Le professeur Jones et Ottawa Dialogue sont également actifs dans des pays où le besoin de compétences en résolution de conflits est pressant. « Nous dirigeons un programme de formation au Myanmar, où divers conflits ont éclaté entre différents groupes religieux, ethniques et politiques », dit-il.

« Ces conflits sont indissociables et complexes, et le manque de connaissances institutionnelles sur la façon de faciliter ce type de dialogue ajoute encore à la difficulté. Les personnes qui ont tenu de tels dialogues par le passé ont été incarcérées ou ont fui le pays. »

Avec le soutien du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), Peter Jones et son équipe s’affairent à trouver et à former des personnes qui pourraient organiser ces dialogues au Myanmar à l’avenir, particulièrement au sujet des femmes et des jeunes – deux groupes traditionnellement sous-représentés dans les efforts de paix. « Il s’agit de renforcer les capacités afin que, dans l’éventualité où le pays serait prêt à entamer un processus de paix, il y ait déjà un réseau de personnes formées prêtes à intervenir. »