Retour à la terre?

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Santé et mieux-être

Par Leah Geller

Rédactrice, Pigiste

Michael Robidoux et François Haman
Michael Robidoux et François Haman
L’accès à des aliments nutritifs est une préoccupation croissante chez les Premières Nations du Nord. Michael Robidoux et François Haman proposent des solutions à la fois locales et pratiques.

« Les gens se font une image romantique de la vie dans le Nord, mais c’est une vie extrêmement difficile. Il n’est pas rare de faire une sortie de chasse de 12 heures et de rentrer les mains vides. »

– Michael Robidoux

À l’époque où il faisait une étude sur le hockey dans les Premières Nations du Nord il y a dix ans, l’ethnologue Michael Robidoux a fait une découverte qui lui a fait prendre tout un virage.  

« À chacun de mes voyages, les gens m’amenaient sur leurs terres et me parlaient d’anciennes habitudes alimentaires qui s’étaient perdues, dit-il. Certains aliments traditionnels, comme la lotte (ou loche), un poisson d’eau douce très nutritif, étaient même boudés par la population. »

C’est alors que Michael Robidoux a pris contact avec François Haman, un collègue biologiste de l’École des sciences de l’activité physique de l’Université. « Je voulais voir ce que mangeaient ces gens et quels étaient les effets de leur alimentation sur leur santé », explique le professeur Robidoux.

Avec des chercheurs des facultés des Sciences et des Sciences de la santé, ils ont étudié la proportion de produits de la terre traditionnels que consommaient les habitants des Premières Nations de Wapekeka et de Kasabonika Lake, dans le Nord-Ouest de l’Ontario. Ils souhaitaient ainsi découvrir s’il y avait un lien entre leur alimentation et les taux de gras saturé et insaturé dans le sang, et les risques de maladie chronique.

Premier constat : personne ne mangeait suffisamment de produits de la terre pour qu’il y ait quelque incidence sur la santé. « Leurs principales sources d’alimentation sont les magasins Northern et les dépanneurs locaux, où le choix est très limité et les prix, exorbitants, constate le professeur Haman. Il n’est pas surprenant que les taux de surpoids, d’obésité et de diabète soient parmi les plus élevés au monde. »

Les professeurs Robidoux et Haman, qui ont formé par la suite le Groupe de recherche en santé indigène, un réseau multidisciplinaire de chercheurs (voir encadré), ont décidé de travailler avec cinq communautés métisses et des Premières Nations du Nord, dont Wapekeka, pour trouver des façons de faciliter l’accès aux aliments et d’en augmenter la qualité. Ils ont toutefois reconnu très tôt qu’il n’était pas pratique de chercher uniquement à augmenter l’alimentation traditionnelle. « Les gens se font une image romantique de la vie dans le Nord, mais c’est une vie extrêmement difficile. Il n’est pas rare de faire une sortie de chasse de 12 heures et de rentrer les mains vides. Sans compter que le coût du carburant, des vêtements et de l’équipement d’hiver est astronomique. »

Les chercheurs ont donc conçu un projet à trois volets. Selon les besoins et les intérêts de chacune des cinq communautés, ils les aident à cultiver leur propre nourriture, à importer des aliments à prix abordable, à chasser et à pêcher. 

Wapekeka est une communauté oji-crie d’à peine 300 âmes, accessible seulement par avion et située à environ 600 kilomètres au nord de Thunder Bay. Ses habitants voulaient produire leurs propres aliments dans des jardins communautaires. « C’était nouveau pour eux; ils ont eu besoin de ressources et d’information, explique le professeur Robidoux. Nous leur avons également trouvé des fonds grâce à une subvention du Partenariat canadien contre le cancer pour l’achat d’outils comme des motoculteurs, et nous les avons même aidés à faire les rangs du jardin. »

Comme les étés sont courts à Wapekeka, les habitants ont installé leurs semis dans une maison en rondins et des tipis, et les ont transplantés à l’extérieur dès que le temps s’est réchauffé. La saison dernière, ils ont récolté de la courge, du maïs, des pois et des fraises.

Le projet prévoit également de l’argent pour acheter des filets de pêche, des vêtements d’hiver et de l’essence pour les motoneiges afin d’inciter les gens à chasser et à pêcher. Dans la Première Nation Carcross au Yukon et à Telegraph Creek, en Colombie-Britannique, on construit des serres pour cultiver des légumes.

L’une des grandes difficultés de ce type de recherche est le coût des déplacements. « Il est vraiment important d’être présent pour ne pas perdre la confiance de la communauté, mais ça coûte très cher, déplore Michael Robidoux. Nous essayons d’y aller deux fois par année aux périodes les plus occupées. »

Des « champions » locaux dans chacune des communautés les aident à garder le contact, tout comme la populaire page Facebook du projet. Dans les publications les plus récentes, on voit des photos d’enfants de Wapekeka qui récoltent les produits de leur jardin et des liens vers des articles sur la mise en conserve.

La prochaine étape pour MM. Robidoux et Haman consistera à évaluer les résultats. « Nous voulons mesurer la production alimentaire et savoir quelle proportion de cette nourriture est vraiment consommée, dit François Haman. Ensuite, nous étudierons les effets sur les biomarqueurs et les taux de maladies chroniques. »

« Nous essayons d’accroître l’autonomie alimentaire de ces communautés, ajoute Michael Robidoux. Nous voulons savoir si les gens vont mieux manger après tout cela. » Outre les avantages pour la santé escomptés, les chercheurs espèrent que cette autosuffisance accrue renforcera également le sentiment de souveraineté culturelle et la fierté de la communauté.

Une décennie de recherche en santé autochtone

Michael Robidoux et François Haman ont fondé le Groupe de recherche en santé indigène de l’Université en 2006 pour étudier l’augmentation du taux d’obésité et de maladies liées à l’obésité chez les populations métisses, inuites et des Premières Nations. L’équipe de recherche multidisciplinaire compte des étudiants et des professeurs en ethnologie, sciences de l’activité physique, physiologie, biologie, toxicologie et sciences de l’alimentation. Tous collaborent avec des partenaires des communautés à l’élaboration de stratégies visant à améliorer l’accès à des aliments nutritifs et à augmenter l’activité physique.