Veuillez noter que les discours sont publiés dans la langue dans laquelle ils ont été présentés.
Seule la version prononcée fait foi.
Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la plus cordiale bienvenue à l’Université d’Ottawa et à cette conférence qui promet d’être stimulante et pertinente.
Nous rendons hommage au peuple algonquin, gardien traditionnel de cette terre. Nous reconnaissons le lien sacré de longue date l’unissant à ce territoire qui demeure non cédé.
Nous rendons également hommage à tous les peuples autochtones qui habitent Ottawa, qu’ils soient de la région ou d’ailleurs au Canada.
Nous reconnaissons les gardiens des savoirs traditionnels, jeunes et âgés.
Nous honorons aussi leurs courageux dirigeants d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
Permettez-moi ensuite de remercier vivement les organisateurs de cette conférence et, plus particulièrement, la professeure Linda Cardinal, titulaire de la Chaire de recherche sur la Francophonie et les politiques publiques ici à l’Université d’Ottawa ainsi que son équipe qui ont travaillé fort pour nous réunir aujourd’hui. Merci, évidemment, à toutes celles et ceux qui se sont déplacés, parfois de très loin, pour assister à cette conférence.
La tempête politique soulevée par les décisions récentes du gouvernement Ford affectant la communauté franco-ontarienne a été considérable et elle n’est sans doute pas terminée. Je me réjouis que, dans ce contexte, il ait été décidé d’organiser la présente conférence. Il est en effet opportun que l’université puisse jouer un de ses rôles les plus fondamentaux, à savoir d’offrir un espace de dialogue réunissant universitaires, étudiants et membres de la société civile autour de problématiques dont l’importance et l’urgence ont été démontrées.
Le titre-même de cette conférence soulève plusieurs questions d’importance. Comment doit-on ou comment peut-on définir la Francophonie canadienne? Quel doit être le lien, quels doivent être les liens entre celle-ci et le Québec? En quoi et comment les récentes actions du gouvernement ontarien ont-elles affecté notre compréhension de ce que doivent être ces relations? L’identité canadienne française serait-elle en train de renaître après plusieurs années de stagnation?
Voilà seulement quelques-unes des questions que vous aborderez sans doute aujourd’hui. Je me réjouis particulièrement que vous le fassiez ici, à l’université d’Ottawa – car plusieurs de ces questions, nous les posons quotidiennement. Elles ont fait partie de notre ADN bien longtemps avant que monsieur Ford ne devienne premier ministre, bien avant même qu’il soit né! Si nous baignons dans ces questions et dans leur complexité intrinsèque, nous travaillons surtout à mieux comprendre notre rôle au sein d’un univers multi-dimensionnel et multi-linguistique.
L’Université d’Ottawa
Fermement ancrée dans la région Ottawa-Gatineau, notre université reflète la diversité de la capitale du Canada et de sa région. Cette réalité fait profondément partie de notre réalité. Nous formons aussi l’établissement le plus important qui offre des cours en français en Ontario et nous sommes forts d’une longue tradition d’offre de cours professionnels soutenant les communautés franco-ontariennes et ce, depuis plus de 150 ans! Notre charte nous mandate de soutenir et développer la culture et la communauté franco-ontarienne, nous conférant une responsabilité que nous prenons à cœur au quotidien. C’est ce que nous sommes et ce que nous aspirons à continuer à être.
Nous avons formé l’essentiel des avocats pratiquant en Français à l’extérieur du Québec. J’aime rappeler que sans l’université d’Ottawa qui a formé des générations de médecins et de personnels de la santé en français, il n’y aurait pas d’hôpital Montfort aujourd’hui, ce haut lieu symbolique de la lutte des franco-ontariens. Nos diplômés assurent une partie congrue des services qui se rendent en Français un peu partout au Canada, de la Nouvelle Écosse à la Colombie Britannique, du sud de l’Ontario au Nunavut. Cela fait aussi partie de notre identité.
Nous accueillons à chaque année des centaines sinon des milliers d‘étudiants francophones en provenance de partout au Canada et d’ailleurs du monde francophone, D’Afrique de l’Ouest, du Maghreb, de l’Europe ou des Caraïbes pour ne mentionner que ces régions. Ces étudiants transforment notre campus et font aussi partie de notre identité en mouvance, à l’image de la francophonie elle-même. La réalité francophone de notre campus est loin d’être la même qu’il y a 50 ans, 20 ans ou même 5 années. 13 000 de nos étudiants fréquentent plus de 350 programmes de formation entièrement en Français et, bon an mal an, nous attribuons de bourses à plus de 6000 de ces étudiants afin de soutenir leurs études en Français. Plus de 90% de nos personnels sont bilingues et offrent leurs services en Français. Ça n’est pas rien!
Un rapport sur la place du Français à l’Université d’Ottawa
Est-ce que tout est parfait dans un monde idéal à l’université d’Ottawa? Certes non. Il y a place à amélioration du caractère francophone de ce que nous sommes et de ce que nous aspirons à être.
En juillet dernier, j’ai demandé à la professeure Linda Cardinal de préparer un plan d’action pour la francophonie à l’Université d’Ottawa pour le mois de décembre 2018, ce qui représentait un court délai, mais à mes yeux il fallait agir rapidement. Je souhaitais que le rapport propose des principes directeurs qui définissent ce qu’est pour nous la francophonie. Le plan d’action poursuit trois objectifs, à savoir la mise en place d’une gouvernance plus efficace de la francophonie, l’accroissement du rayonnement de la francophonie sur le campus, et la mise sur pied de moyens de mieux communiquer notre mission francophone. Le plan d’action comprend par ailleurs un ensemble de mesures structurantes et particulières qui serviront à atteindre ces trois objectifs, mais également à donner plus de chair à nos principes directeurs.
Je tiens à préciser que les actions proposées touchent toutes les dimensions des secteurs de la vie universitaire; elles proposent des investissements ciblés et de nouvelles approches pour travailler ensemble, car rappelons-le, la francophonie est une responsabilité collective. En ce qui a trait au rayonnement de la francophonie sur le campus, le plan d’action propose entre autres de revaloriser les savoirs francophones dans le domaine de la recherche, en investissant dans un nouveau programme de chaires de recherche sur la francophonie et en mettant en valeur les travaux de nos chercheurs qui ont l’expertise et la persévérance de créer des connaissances scientifiques en langue française.
Par ailleurs, maintenant que la Loi sur les services en français de l’Ontario s’applique à la plupart de nos programmes de premier cycle, nos efforts devront aussi se tourner vers le recrutement d’étudiants francophones aux études supérieures, de même que le renouvellement de l’offre de programmes en français à la maîtrise et au doctorat. Enfin, du côté de l’expérience étudiante, nous répondrons aux attentes de celles et ceux qui souhaitent que la vie en français sur le campus soit appuyées d’activités sociales et culturelles qui soient riches et diversifiées, à l’image des francophones et des francophiles qui viennent de partout au sein de la francophonie pour vivre une expérience unique en français au sein de notre université et découvrir la langue française. Ce rapport est ambitieux et il a été très bien reçu par le Sénat et de Bureau des gouverneurs de l’université d’Ottawa. Aujourd’hui nous le rendons public – en français et en anglais!
Les débats récents concernant l’UOF
Bien des choses se sont dites et se sont écrites au sujet de l’Université de l’Ontario Français et de l’enseignement post-secondaire en Français en Ontario.
Tout d’abord et je le répète une fois de plus, il y a de la place pour une université francophone en Ontario, pour une université ‘par et pour’, ainsi que le veut l’expression consacrée. Nous avons pris cette position depuis le début et c’est encore la nôtre. La langue compte et les droits linguistiques aussi. Ils sont fondamentaux.
Un rappel ensuite. La réalité derrière le dossier de l’UOF est qu’il existe plus d’une vingtaine d’établissements d’enseignement postsecondaires en français partout au Canada. On en retrouve dans toutes les provinces à l’exception de Terre-Neuve et Labrador. Ces établissements luttent pour leur survie depuis toujours afin de servir des communautés francophones souvent discrètes et isolées. La contribution du gouvernement fédéral à leur survie est indispensable et il faut souligner les mesures prises récemment par la ministre Joly pour les soutenir. Ces établissements méritent notre soutien et je serai heureux qu’elles fassent l’objet de vos attentions aujourd’hui.
Leur rôle est essentiel. Les francophones doivent pouvoir continuer leurs études postsecondaires en français chez eux, sans avoir à s’expatrier au Québec ou à l’étranger. Nous insistons qu’il est parfaitement légitime de vouloir avoir une université unilingue francophone en milieu ontarien, tout comme les universités McGill et Concordia sont des universités anglophones en milieu francophone au Québec.
Il y a des avantages à avoir des universités unilingues. On ne peut en douter. Mais dans la multiplicité et la richesse de l’offre universitaire il y a aussi de la place pour les universités bilingues. Plusieurs déclarations ces derniers mois ont été à l’effet que l’UOF se justifie parce que les universités bilingues « ne livrent pas la marchandise », aussi parce qu’elles offrent des cours en anglais. Permettez-moi d’inscrire ma forte dissidence là-dessus. Si la seule raison de l’existence de l’UOF se réduit à prendre le contrepied des universités bilingues ontariennes, c’est que la démonstration intellectuelle du besoin d’avoir une université francophone n’a pas été faite ou est restée superficielle.
L’université d’Ottawa a fait le choix du bilinguisme. Il y a longtemps. C’est un choix qui a évolué, mais c’est un choix qui aujourd’hui est plus important que jamais. Je dis qu’on est bilingue, mais soyons clair: être bilingue c’est être francophone. C’est faire le choix de la francophonie, faire le pari de la francophonie Canadienne. La tenue de cette conférence ici, aujourd’hui, en témoigne si besoin était.
Tout établissement universitaire francophone ou bilingue au Canada doit faire le pari du XXIième siècle, celui du renouvellement de son espace francophone, celui de son ouverture sur la richesse et la diversité francophone de tous les pays et de tous les continents. Il ne s’agit pas de sombrer dans la nostalgie ou un repli identitaire aux lendemains incertains mais bien de foncer dans le dynamisme de communautés francophones qui ont le besoin et l’aspiration d’appartenir à la planète globale de ce siècle.
Un des défis est d’aller au-delà des expressions d’outrage des derniers mois et de s’organiser pour que le contexte politique ambiant serve à insuffler un nouveau souffle à la francophonie et à la francophonie universitaire au Canada. Il faut se réjouir que le Québec semble à nouveau présent dans cette dynamique. Ainsi qu’en témoigne la présence de la ministre Lebel ce midi. Nous devrons les uns et les autres assumer les responsabilités qui nous reviennent, notamment quant au soutien à donner aux établissements en milieu francophone minoritaires au Canada. N’est-il pas paradoxal que plusieurs des universités canadiennes francophones ou bilingues aient davantage de relations avec des établissements francophones à l’étranger qu’au sein même du Canada?
Ça fait des années qu’on résiste en Ontario français et qu’on investit dans la francophonie ontarienne, canadienne et maintenant, globale. Nous en parlons nous discutons mais nous savons aussi être présents dans l’action. Et il en faut davantage… certainement pas de la part de ceux qui cherchent à marginaliser ou contrôler l’agenda, mais bien dans un esprit de partenariat fondé sur le respect mutuel et une vision partagée. C’est à ce prix que l’entièreté de la communauté francophone au Canada en sortira gagnante.