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Recherche et innovation

Par Monique Roy-Sole

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

Darren O’Toole, Larry Chartrand et Sébastien Grammond
De gauche à droite : Darren O’Toole, Larry Chartrand et Sébastien Grammond
Les Métis ont-ils des droits issus de traités? Une étude juridique sans précédent vise à rétablir les faits.

« On a toujours tenu pour acquis que, à la différence des Premières Nations, les Métis n’ont jamais vraiment eu de relations conventionnelles avec le gouvernement. »

– Larry Chartrand

Surnommé « peuple oublié » par certains spécialistes, le peuple métis a toujours été repoussé en marge de la société canadienne et même d’autres groupes autochtones. Les accords conclus entre les Métis et les gouvernements, par exemple, n’ont jamais été reconnus comme des traités.

« On a toujours tenu pour acquis que, à la différence des Premières Nations, les Métis n’ont jamais vraiment eu de relations conventionnelles avec le gouvernement », explique Larry Chartrand, professeur de common law à l’Université d’Ottawa et directeur de recherche du Projet des traités métis. L’initiative vise à remettre en question cette perception populaire et à montrer que les Métis – un peuple d’ascendance mixte autochtone et européenne – ont conclu des traités depuis le 19e siècle. Financé par une subvention de cinq ans du Conseil de recherches en sciences humaines, le projet rallie aussi les professeurs de droit de l’Université Sébastien Grammond (droit civil) et Darren O’Toole (common law), de même que des chercheurs des universités du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta.

L’objectif de cet ambitieux projet : combler de graves lacunes dans nos connaissances sur les Métis du Canada. Par exemple, personne n’a jamais étudié les traités métis en profondeur; ce à quoi le professeur Chartrand et ses collègues souhaitent remédier. Les chercheurs devront pour ce faire entreprendre une étude laborieuse des accords politiques et juridiques entre les Métis et la Couronne, ainsi qu’entre les Métis et les Premières Nations, en remontant au 19e siècle.

En tant qu’avocat et Métis ayant grandi dans le Nord de l’Alberta, le professeur Chartrand est on ne peut plus conscient des injustices qu’ont subies les Métis, notamment sur le plan des revendications territoriales. Son propre grand-père a perdu des terres dans la région de Meadow Lake en Saskatchewan dans les années 1950, après avoir perdu accès à son territoire de piégeage à cause de la construction d’un polygone de tir aérien.

L’histoire nous apprend que les problèmes se sont aggravés à partir du moment où les promesses de don de territoires aux enfants métis prévus dans la Loi de 1870 sur le Manitoba n’ont pas été respectées et ont été remplacées par les « certificats de Métis », certificats donnant droit à des terres ou à de l’argent, souvent repris par des spéculateurs. « Il s’agissait d’une extinction des droits en échange de terres, dit le professeur Chartrand. Les Métis devenaient en quelque sorte émancipés et n’étaient plus Autochtones dès qu’ils acceptaient un certificat de Métis, contrairement aux Premières Nations, dont les relations avec la Couronne étaient régies par traité. »

L’histoire familiale du professeur O’Toole, lui-même descendant des Bois-Brûlé du Manitoba, est d’ailleurs liée à ce méfait. Il possède une copie du certificat de Métis de son arrière-grand-mère; il est toutefois difficile de savoir si elle a perdu ses terres aux mains de spéculateurs ou si elle ne les a tout simplement jamais reçues. C’est ce « lien vivant » à cette génération qui a incité le professeur à se plonger dans l’étude de la Loi sur le Manitoba et d’une affaire opposant la Fédération des Métis du Manitoba à la Couronne. L’affaire a donné lieu en 2013 à une décision de la Cour suprême, qui a déterminé que le gouvernement fédéral n’avait pas respecté ses obligations envers les Métis en vertu de l’article 31 de la Loi sur le Manitoba. Selon le professeur O’Toole, l’article 31 peut en fait être considéré comme un traité.

« Dès qu’il est question de droits issus de traités, il faut se demander qui sont les bénéficiaires du traité, » explique le professeur. Ce qui soulève la question de la définition de « Métis », question épineuse et non résolue à laquelle Sébastien Grammond s’attaque dans le cadre du projet.

« Les tribunaux se penchent en ce moment sur l’identité métisse », explique le professeur Grammond, en ajoutant qu’ils se voient forcés de porter un jugement. Pour faire la lumière sur cette question, il dépouille des transcriptions de débats judiciaires pour voir comment les témoins eux-mêmes s’identifient comme Métis.

Si le Projet des traités métis jettera un regard critique sur l’évolution historique des accords entre les Métis d’une part et le gouvernement fédéral ou les Premières Nations de l’autre, il fera également des projections. « Une grande partie du projet est prospective, tournée vers des modèles potentiels de réconciliation entre les revendications des Métis et le gouvernement », explique Larry Chartrand. À court terme, le professeur et son équipe prévoient engager la communauté métisse dans leurs recherches et produire des résumés de leurs conclusions « que les Métis pourraient trouver pertinents et utiles pour traiter avec le gouvernement ».

C’est une entreprise ambitieuse en territoire juridique inconnu qui pourrait secouer notre vieille compréhension – ou incompréhension – de l’histoire, de l’identité et des droits métis.

Remonter la lignée métisse

Brenda Macdougall connaît trop bien la difficulté de monter une base de données généalogique sur un peuple jadis nomade. Cette titulaire de la Chaire de recherche sur les Métis de l'Université et Nicole St-Onge, directrice de l'Institut d'études canadiennes et autochtones, ont compilé un dépôt en ligne de 35 000 actes de mariage, de baptême et de décès métis remontant à la fin des années 1700.

Créée en partenariat avec Chris Andersen, Michael Evans et Ramon Lawrence des universités de l'Alberta et de la Colombie-Britannique (Okanagan), cette base de données (appelée Digital Archive Database) contient également des registres de la traite des fourrures en Colombie-Britannique et des recensements de la colonie de la Rivière-Rouge. 

Selon la professeure Macdougall, l'une des grandes difficultés aura été d'augmenter la précision du moteur de recherche de la base de données. Pourquoi cette opération était-elle si complexe? Parce que les noms de famille métis n'étaient généralement pas normalisés et qu'ils s'entremêlaient avec le français, l'anglais et des langues autochtones. Des membres de la famille Boisvert, par exemple, peuvent avoir été connus sous le nom de Greenwood.

Destinée au public, la collection offre un accès unique à des registres des sacrements extraits de multiples archives, dont certaines provenant de Michillimakinac de la région des Grands Lacs datant du 18e siècle ou des missions catholiques des Grandes Plaines datant du 19e siècle. Cette collection aidera sans doute les gens à faire leur arbre généalogique, mais « elle pourrait aussi aider les organismes métis à vérifier la citoyenneté de leurs membres », précise Brenda Macdougall.

Brenda Macdougall
Brenda Macdougall