Agatha Schwartz, Langues et littératures modernes

Faculté des arts
Professeure Agatha Schwartz
La professeure de langues et littératures modernes Agatha Schwartz dit avoir été sidérée par le film Une femme à Berlin (2008), qui raconte l’histoire vécue d’une Allemande violée par des soldats de l’Armée rouge vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le silence qui pesait sur ces atrocités l’a aussi beaucoup surprise. Après avoir pris connaissance du peu de recherches disponibles sur le sujet, elle a voulu apporter sa propre contribution en immortalisant et en racontant l’histoire des femmes traumatisées par le viol de guerre.

Son projet de recherche collaborative, intitulé “Children of the Enemy”: Narrative constructions of Identity Following Wartime Rape and Transgenerational Trauma in Post-WWII Germany and Post-Conflict Bosnia (Les Enfants de l’ennemi), porte sur les récits de ces femmes et la vie des enfants nés des viols perpétrés vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale en Allemagne et lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995). Financée par une subvention de Développement Savoir du CRSH, l’équipe a réalisé une série d’entrevues avec des survivantes, leurs enfants, et les membres de leur famille, examiné différentes formes de témoignages publiés et étudié des films traitant du traumatisme causé par les viols de guerre.

“Nous sommes en train de créer des ruptures dans un discours historique homogène. ”

Dans son analyse des entrevues, l’équipe s’intéresse à l’image que ces femmes ont d’elles-mêmes, à la façon dont elles décrivent ce qu’elles ont vécu et à ce qu’elles choisissent de dire – ou de taire – à ce sujet. Ces femmes et leurs enfants, maintenant adultes, ont dû faire des choix incroyablement difficiles, explique la professeure Schwartz, et le traumatisme qu’elles ont vécu se lit souvent dans leurs silences, leurs omissions et leur langage corporel.

“Quand on s’intéresse à des sujets aussi délicats, il faut être conscient qu’on n’aura peut-être pas les données qu’on voulait. Ce qui est fascinant dans un tel projet, c’est de se laisser entraîner vers des conclusions inattendues...”

Les résultats préliminaires de ces travaux permettent déjà d’établir certains parallèles entre les différents récits eux-mêmes et entre ces deux contextes historiques pourtant très différents. Le projet est d’autant plus pertinent que ses conclusions pourraient s’appliquer à d’autres contextes contemporains, comme les femmes yézidies violentées par l’État islamique et tous les enfants nés de ces horreurs. Cette recherche remet aussi en question certaines idées reçues quant au viol de guerre en mettant en relief la multiplicité des récits concernant la violence sexuelle en temps de guerre. « Nous sommes en train de créer des ruptures dans un discours historique homogène », explique-t-elle.

Le travail de recherche n’a pas été facile. Seul un petit nombre de femmes et d’enfants ont accepté de raconter leur histoire, sans doute à cause du lourd tabou qui pèse encore (même 70 ans plus tard dans le cas de la Deuxième Guerre mondiale), sur le viol de guerre et les choix difficiles qui s’offrent aux victimes. Quelque 40 000 à 50 000 femmes ont été violées pendant la guerre de Bosnie, mais une dizaine seulement ont accepté d’être interviewées pour le projet de recherche. Certaines, n’ayant jamais confié leur secret à quiconque, en ont parlé pour la première fois à l’équipe de recherche. L’équipe a aussi pu interviewer des enfants nés de viols de guerre en Allemagne et en Bosnie. Même si certains commencent à prendre la parole, allant même, parfois, jusqu’à publier leur histoire, il est encore difficile de convaincre les gens de témoigner publiquement de ce qu’ils ont vécu. C’est là une difficulté inhérente à ce genre de recherches, explique la chercheuse. « Quand on s’intéresse à des sujets aussi délicats, il faut être conscient qu’on n’aura peut-être pas les données qu’on voulait,» dit-elle. Ce qui est fascinant dans un tel projet, c’est de se laisser entraîner vers des conclusions inattendues... .

“Maintenant, nous portons ces histoires en nous et nous sommes responsables de les conserver, de les transmettre.”

De toutes les choses qu’elle a apprises, Agatha retient en particulier la résilience à toute épreuve des personnes qui ont accepté de témoigner. « Les personnes qui nous confient leurs histoires sont extrêmement fortes et courageuses », dit-elle. Elles ont mené une vie de famille prospère tout en faisant comme si de rien n’était, sans jamais parler de leur douleur cachée. L’équipe a toutefois découvert que beaucoup finissent par confier leur secret à un proche, parfois même sur leur lit de mort. « Elles ont besoin de raconter ce qui s’est passé, ce qu’elles ont vécu. Il est très important que leur histoire trouve une oreille compatissante qui en deviendra le réceptacle », dit-elle, avant de souligner l’énorme défi éthique pour elle et ses co-chercheuses : « Maintenant, nous portons ces histoires en nous et nous sommes responsables de les conserver et de les transmettre. »