mural
L’art public a le pouvoir de réunir les gens, de transformer les espaces en lieux. La murale de Fathima Mohiuddin sur la façade du pavillon Simard encourage la grande famille de l’Université d’Ottawa à réfléchir à la quête de sens universelle que mènent les êtres hu-mains. Cette œuvre explore les thèmes de la communauté, de la curiosité et de l’identité. Avec ses détails saisissants et son symbolisme onirique, elle nous invite à nous arrêter, à lever les yeux et à nous imprégner de l’art tout en faisant place à nos propres histoires et ré-flexions.

Itinérante transculturelle sans identité fixe, Fathima a trouvé sa voix dans l’art. Dans cette entrevue, elle parle de la genèse de son œuvre, des thèmes et des idées qui l’ont influencée, et de sa vision globale de l’art public, de la créativité et de la façon dont les artistes trouvent leur voix.

Parlez-nous de vous.

Je suis une authentique itinérante transculturelle : je suis née de parents indiens expatriés au Moyen-Orient, j’ai immigré au Canada et j’ai beaucoup voyagé. N’ayant pas d’identité fixe, j’ai trouvé ma voix dans l’art.

Je crois profondément au pouvoir qu’a l’art de faire avancer le monde. J’ai un baccalauréat en arts visuels et culture, et une maîtrise en sociologie. Ma thèse portait sur l’art dans l’espace public.

Je m’intéresse beaucoup au marquage dans les cultures anciennes, notre propension innée à dépeindre, à représenter, à exprimer et plus généralement à expliquer le monde qui nous entoure en laissant libre cours à notre créativité.

J’ai passé la majeure partie de ma carrière dans le milieu de l’art urbain, dont 10 ans à la tête de ma propre agence de commissariat à Dubaï.

J’essaie de mener une carrière équilibrée; je crée des œuvres pour mon propre bien-être, pour une clientèle d’entreprises, pour des projets communautaires, de sensibilisation ou pédagogiques, et j’en passe. J’ai aussi brièvement étudié la thérapie par l’art.

Mon style visuel s’inscrit dans une démarche de courant de conscience mêlant tout ce qui m’a influencée au cours de ma vie : les tissus et l’artisanat indiens, la bande dessinée, le graffiti, l’architecture et la calligraphie arabes, le henné, l’art folklorique indien, la mythologie et l’expressionnisme abstrait qui m’intéressait beaucoup à l’adolescence, entre autres.

J’ai eu la chance de voyager et de peindre des murales ces 10 dernières années, et je tiens beaucoup à représenter les communautés auxquelles j’appartiens.

Quant à mes sujets de prédilection, j’ai toujours eu un penchant pour la vérité et la poésie. J’aime raconter des histoires honnêtes et personnelles, mais qui ont une résonance universelle.

Ma dernière œuvre, intitulée The Humans, explore d’autres façons de représenter les gens, hors des ornières socialement prescrites (et qui créent tant de divisions). Des aspects de l’expérience humaine et existentielle, comme l’espoir et la résilience, la peur et l’émerveillement. Une célébration de la différence comme elle devrait être, sans perdre de vue ces qualités humaines.

Comment abordez-vous un nouveau projet de murale? À quoi ressemble votre processus créatif?

Tout dépend de la nature du projet, l’étendue de l’engagement communautaire, l’endroit, etc. Pour une œuvre publique, le choix du lieu est crucial, car je veux créer des points de connexion avec les gens qui le fréquentent. Ce n’est pas une œuvre qu’on voit une seule fois; elle devient un repère, un lieu emblématique qui doit parler aux personnes qui y vivent. On m’a laissé une grande liberté de création et d’interprétation pour ce projet, et j’en suis reconnaissante. Je pense qu’il est très important de laisser cette liberté aux artistes, car ce ne sont pas des panneaux publicitaires qu’on peint, mais des œuvres qui racontent des choses et qui font vibrer les gens. J’ai visité l’Université en novembre 2023 pour trouver le meilleur endroit, et j’ai choisi ce mur. Quand je visite un lieu, je le regarde sous différents angles. J’évalue son accessibilité, la position du mur par rapport à son environnement, les points d’interaction, les défis logistiques et bien d’autres considérations.

Nous avons fait un brassage d’idées thématique au début de l’année pour choisir un message pertinent.

Ensuite, j’assouplis un peu le processus. Avec toutes les informations en tête, je fais des croquis de manière très naturelle et je vois ce qu’il en ressort. Et les histoires se développent au fur et à mesure.

Je m’efforce de faire des choix bien réfléchis pour mes concepts, c’est-à-dire que les couleurs, les formes, les images ont toutes une signification ou un symbolisme intrinsèque.

Parfois, je trouve du premier coup, et d’autres fois, il me faut des semaines et plusieurs versions.

Pouvez-vous expliquer les thèmes ou les messages principaux que véhicule votre œuvre?

Plusieurs thèmes ont émergé de notre premier brassage d’idées : l’indépendance, l’espoir et les rêves, la conscience de soi, la transformation, l’individualité, etc. À partir de ces idées, j’ai tissé une trame sur la quête de sens. J’ai puisé dans ma propre expérience de l’université et ce que ce chapitre de ma vie m’a apporté. Et cette quête universelle de sens fait généralement partie de cette expérience. Elle a une dimension existentielle. Mais l’œuvre raconte plusieurs petites histoires. Ces personnages admiratifs et rêveurs qui ont la tête dans les nuages représentent la curiosité, la fascination et l’émerveillement. Les ailes expriment la liberté de pensée, la croissance et l’expression. Le fait d’avoir le monde et l’avenir dans nos mains (littéralement, avec nos téléphones!), et le pouvoir et la responsabilité que cela nous confère. Des couches d’identité, la communauté, l’importance d’honorer la nature, l’eau, la terre, la croissance, le feu qui symbolise la puissance. Un tunnel qui nous mène vers une nouvelle vision des choses. Une personne multidimensionnelle. Les bases de notre place dans le monde (l’orignal, l’oie). Toutes ces petites histoires sont nées de mes croquis.

Fathima Mohiuddin

« Ce projet m’enthousiasme beaucoup parce que le but est d’utiliser l’art public comme un véritable outil de création d’un lieu, et non pas seulement à des fins décoratives ou promotionnelles. »

Fathima Mohiuddin

D’après vous, quel est le rôle de l’art public dans l’identité et la cohésion sociales?

Ce projet m’enthousiasme beaucoup parce que le but est d’utiliser l’art public comme un véritable outil de création d’un lieu, et non pas seulement à des fins décoratives ou promotionnelles. Nicola Russo et moi en avons parlé maintes fois, et je sais que c’était sa vision à l’origine du projet. L’art public transforme un espace en un lieu. Il suscite un moment d’interaction, et quand on voit l’œuvre pour la première fois, cette interaction est inattendue et magique. Car s’il atteint son but, l’art stimule et suscite la curiosité et l’émerveillement. Je crois qu’il peut nous procurer un sentiment de sécurité, parce que l’on construit une relation avec l’œuvre au jour le jour. Elle nous parle. Et l’art change aussi la dynamique du pouvoir. On n’a pas le sentiment que l’espace public nous appartient. La plupart du temps, on n’a aucune influence sur son apparence ou le message qu’il véhicule. Selon moi, l’intégration dans l’espace public de cet élément humain qu’est l’art peut changer la donne. En partie pour la dimension humaine, la personne qui a créé l’œuvre (surtout dans le cas d’une murale peinte à la main), et en partie pour ce qu’elle raconte et la réaction qu’elle provoque. C’est une ancre, en quelque sorte.

Comment les artistes qui débutent trouvent-ils une voix et un style qui leur sont propres?

Je pense qu’il faut d’abord comprendre le pourquoi. Pourquoi on fait de l’art, ce que ça signifie pour nous, ce que ça nous apporte. Et c’est pour ces raisons qu’on doit créer. En ce qui me concerne, mon

style a commencé à prendre forme à l’adolescence, quand je me suis servie de l’art pour apaiser mon anxiété, ma colère, mes problèmes de santé mentale et autres. J’ai aussi beaucoup fait de travail communautaire, et ça m’a rappelé le pouvoir mobilisateur de l’art, sa capacité de tisser des liens, de favoriser l’épanouissement personnel, de renforcer l’humanité – toutes ces choses qui font du bien. Une raison d’être.

J’ai toujours dit aux étudiantes et étudiants : « C’est comme un arbre qui tombe dans la forêt. » Si jamais personne ne devait voir l’œuvre, dire qu’elle est belle, l’acheter ou confirmer sa valeur, voudriez-vous quand même la créer? C’est ainsi qu’il faut faire de l’art : d’abord pour vous, en réponse à une pulsion naturelle. À ce moment-là, vous puisez dans votre for intérieur – votre personnalité – et c’est une force puissante et unique dans le monde professionnel et le marché de l’art.

J’ai un rituel tous les dimanches : je m’amuse à créer. Je ne poursuis aucun but; en fait, à la fin de la journée, je jette généralement ce que j’ai fait. Je joue avec des matières que je n’utilise pas d’habitude. Je mets le désordre. Mais ça m’aide à rester en contact avec mon instinct. C’est un exercice, une façon d’étirer mon outil de création.

Puis, le lundi matin, je reprends mon travail professionnel.

Quels sentiments aimeriez-vous susciter chez les gens qui regardent votre murale? Quelles réactions souhaitez-vous provoquer?

Ce que je préfère, c’est quand les gens disent sans hésitation et avec certitude ce qu’ils voient dans mes œuvres, en particulier les enfants. Par exemple, une personne m’a dit à propos de la murale que j’ai peinte avant celle-ci : « J’adore le huard! Il me fait penser à xyz, dans mon enfance. » Or, je n’ai pas représenté de huard dans cette œuvre (du moins, pas que je sache). Mais qui suis-je pour lui dicter ce qu’il faut voir? J’adore que les gens développent un lien personnel avec l’œuvre et créent leur propre récit à partir de ce qu’ils en dégagent.

Cette murale est intéressante parce qu’elle nous oblige à lever les yeux. Il y a ce personnage en haut à droite qui regarde béatement vers le haut, l’air émerveillé, rêveur ou curieux, et qui fera écho, je l’espère, aux personnes qui regardent l’œuvre. Pour le reste, c’est au public de chercher à comprendre ce que j’ai voulu exprimer, de dire « Ah, je vois! » et de forger sa propre interprétation.

Et j’espère que le lieu deviendra un emblème. Je sais en tout cas que c’était le désir de l’Université lorsqu’elle a commandé l’œuvre. J’aimerais qu’on dise : « Viens, allons nous asseoir sur un banc près de la murale. » Elle a une sorte de qualité monumentale.

J’aime l’idée qu’une œuvre puisse vivre dans un espace, se faire des amis, entendre des histoires et avoir sa propre existence pendant des années. Car une fois qu’elle est terminée, elle appartient à la collectivité.