De la déclaration à l'inspiration : un discours perspicace du Haut-Commissaire des Nations Unies à l'occasion du 75e anniversaire de la DUDH au Canada

Faculté de droit – Section de common law
CREDP
Droits de la personne

Par Common Law

Communication, Faculté de droit

 A man stands at a podium on a stage. many people sit facing him.
L'histoire suivante a été écrite par Alexandra Cunningham (4e année FSS Conflict Studies and Human Rights), Paige Holland (1L) et Kate De Klerk (1L), dans le cadre de la série CLASSE À PART. Cette série présente des opportunités d'apprentissage par l'expérience et des textes d’opinion écrits par nos étudiant(e)s.

Près de 75 ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne (CREDP) et le professeur John Packer, titulaire de la bourse professorale Neuberger-Jesin pour l’étude de la résolution de conflits internationaux, étaient enchantés d’accueillir le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, M. Volker Türk, pour sa seule et unique allocution au Canada depuis son entrée en fonction il y a près d’un an. L’événement d’une heure s’est déroulé le 16 octobre au pavillon Tabaret de l’Université d’Ottawa, devant une salle comble réunissant des membres de la population étudiante, du personnel et de la société civile ainsi que des responsables d’organisations gouvernementales et intergouvernementales qui étaient tout ouïe.

L'événement a débuté par une affirmation autochtone de la part de la Provost et vice-rectrice aux affaires académiques de l'Université d'Ottawa, Mme Jill Scott, qui a souligné certains des objectifs de l'Université d'Ottawa en matière de droits de la personne, allant des droits linguistiques à la décolonisation et à l'autochtonisation sur le campus, en passant par le respect des engagements en matière de liberté académique.

Le Haut-Commissaire a commencé par une reconnaissance de son propre territoire autochtone avant de reconnaître les nombreux défis en matière de droits de la personne auxquels le monde est confronté et le sentiment de panique que cela inspire, en particulier pour les jeunes présents dans la salle qui hériteront de cette réalité. Il a mentionné plusieurs questions d'actualité, telles que le changement climatique, le racisme, le sexisme, la haine numérique et la technologie, ainsi que la guerre en Ukraine. Il a abordé directement le conflit en cours entre Israël et la Palestine et la crise humanitaire à Gaza, déclarant que si Israël a des préoccupations légitimes en matière de sécurité, la réponse doit respecter le droit international (comme la norme de proportionnalité).

a man stands at a podium, it appears that he is speaking because his mouth is open and his hand is elevated

Conscient de son public, le Haut-Commissaire s’est principalement adressé aux membres de la communauté étudiante en leur rappelant qu’il y a 75 ans, lorsque l’ONU et la Déclaration ont été créées à la suite des ravages de la Seconde Guerre mondiale, le monde traversait une période d’incertitude et de crise semblable à celle que nous connaissons actuellement. Il a évoqué tout le bon qui est ressorti de ces nouvelles normes, et même si l’on peut avancer qu’il accorde un peu trop de crédit à cette déclaration non contraignante en établissant un lien de cause à effet entre celle-ci et les divers mouvements sociaux qui ont vu le jour depuis son adoption, l’analogie a certainement eu pour effet de nous rappeler le pouvoir des idées.

Fait à la fois intéressant et admirable, le Haut-Commissaire n’a pas hésité à aborder certains enjeux en matière de droits de la personne auxquels notre pays est actuellement confronté. S’il a félicité le Canada pour son engagement à faire respecter ces droits, il a également souligné la nécessité d’intensifier les efforts de réconciliation avec les nations autochtones et évoqué la crise du logement qui touche le pays ainsi que le rôle du Canada dans la protection de la région arctique contre les changements climatiques.

two images side by side. The first is a close view of a man standing at a podium. The next shows a large room, with many people seated on chairs, facing a man at a podium in the distance

M. Türk s’est montré particulièrement inquiet du sort des victimes et des survivantes et survivants, notamment des atrocités commises dans le monde entier, faisant observer que le nombre de conflits violents n’a jamais été aussi élevé depuis 1945 : un quart de l’humanité habite aujourd’hui dans une zone de conflit ou de guerre. Bien que la majorité de la population occidentale vive dans l’abondance et la richesse, on peut néanmoins sentir planer la menace de troubles, voire d’une guerre mondiale. En effet, le 21e siècle est marqué par un sentiment de panique généralisée, causée par la progression des changements climatiques, la multitude de conflits armés qui font rage à l’étranger et l’écart croissant en matière d’égalité et de richesse dans le monde.

M. Türk a exposé une approche visant à dépolitiser les conflits pour mettre plutôt en avant la souffrance humaine et les ravages qu’ils produisent ainsi que la perte de bien-être, de sécurité et de paix qui s’ensuivent. Son commentaire le plus émouvant mérite que nous nous en souvenions dans nos vies professionnelle et personnelle : « Les gens qui ont le plus sont ceux qui en supportent le moins. » On peut en déduire que l’inverse est tout aussi vrai : ceux qui ont le moins sont ceux qui portent les plus lourds fardeaux. Abstraction faite de la guerre russo-ukrainienne, les deux régions du monde les plus touchées par des conflits armés sont l’Afrique et le Moyen-Orient. C’est également dans ces régions qu’on trouve les populations les plus pauvres du monde. Pour obtenir une perspective complète de ces conflits, il nous faut les personnaliser – penser à ceux et celles qui y succombent et y survivent – et prendre conscience qu’aux violences subies s’ajoute la pauvreté. À cet égard, M. Türk s’est réjoui pour les personnes qui ont échappé aux systèmes coloniaux et a expliqué que l’ONU peut les aider à réacquérir leurs droits. Il a fait valoir que tout le monde devrait avoir son mot à dire dans la prise de décisions politiques. Bref, que tout le monde devrait avoir le droit à l’autodétermination. Ce droit, qui est enchâssé dans la Charte des Nations Unies et les deux pactes relatifs aux droits de la personne datant de 1966, prévaut partout – y compris au Canada – et dans tous les contextes de colonialisme traditionnels et contemporains.

A wide view of a room where many people are seated, facing a man at a podium in the distance. There is a woman standing in the audience with a microphone. She and the speaker are facing each other.

Évoquant ses récents échanges avec des porte-parole autochtones en Équateur, le Haut-Commissaire a parlé de l’importance des initiatives harmonisées et d’une véritable concertation entre les États et les leaders autochtones. Il a également réitéré cette importance en relatant ses échanges au Chili sur des questions de compétence tranchées par les tribunaux constitutionnels.

L'harmonisation des perspectives autochtones lors de l'examen de ces questions est un sujet important pour les étudiant.e.s en droit. Les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) s'adressent spécifiquement aux étudiant.e.s en droit et aux avocat.e.s, implorant les professionnels du droit de suivre une formation sur les compétences culturelles et soulignant l'intersection entre les peuples autochtones et le droit. M. Türk a rappelé que le principal message des dirigeant.e.s autochtones en Équateur était "rien pour nous ni rien sur nous, sans nous".  Il s'agit là d'une perspective essentielle à prendre en compte lorsqu'on envisage d'harmoniser les ordres juridiques autochtones et le droit commun canadienne.

L’allocution de M. Türk était en phase avec les modules d’appel à l’action de première année, qui se veulent une réponse directe aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation no 27 et 28. Dans le cadre de ces modules préparés par des leaders autochtones, qui véhiculent le principe « rien sur nous sans nous »[1], les étudiantes et étudiants de première année s’instruisent directement auprès de leaders et d’Aînées et Aînés autochtones. Cette formule permet d’harmoniser les enseignements et les coutumes autochtones, d’une part, et le Programme de common law en anglais, d’autre part. Le fait d’accorder de l’espace aux enseignements, perspectives et valeurs autochtones constitue une étape concrète dans la formation de juristes capables de prendre en considération les différences culturelles. Ces compétences et cette volonté d’apprendre, nous avons collectivement la responsabilité de les mettre au service de la profession juridique.

two  men stand at a podium. One is extending his hand to the other, offering a gift

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) a été adoptée en 2007. En 2021, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones recevait la sanction royale et entrait en vigueur au Canada. En vertu de l’article 27 de la Déclaration, le Canada est tenu de mettre en place et d’appliquer « un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources […] ». Il est également dit que les « peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus ».

Par conséquent, le Canada (et les juristes du pays) ne peuvent imposer unilatéralement de décisions dans des affaires touchant les peuples autochtones, leurs terres ou leur histoire sans tenir compte de l’intersection particulière entre les réalités autochtones et la common law. En réponse aux appels à l’action, les tribunaux devraient chercher à adopter une approche harmonisée pour traiter ces affaires. Comme M. Türk l’a rappelé, de nombreux pays ont beaucoup à apprendre sur l’importance de l’harmonisation avec les peuples autochtones, notamment en ce qui concerne les questions juridiques et de compétence.  

À la suite de son discours, la professeure Penelope Simons, titulaire de la Chaire Gordon F. Henderson sur les droits de la personne, a posé un certain nombre de questions à M. Türk, notamment au sujet de certains problèmes sociaux et économiques complexes et urgents.  Dans sa réponse, M. Türk a suggéré aux Canadiens de considérer ces questions de manière plus complète et plus spécifique en termes de droits de la personne.  À titre d'exemple, il a attiré l'attention sur l'idée de la "financiarisation" du logement (comme l'a expliqué l'ancien rapporteur spécial des Nations unies, Leilani Farha, du Canada) ; au lieu de cela, il a suggéré qu'un droit de la personne au logement pleinement conçu permettrait d'améliorer les politiques publiques, le droit et la pratique.

Le Haut-Commissaire a conclu son allocution en souhaitant sincèrement que cette année marque un tournant dans la situation mondiale, comme ce fut le cas il y a 75 ans, et que la souffrance ambiante puisse à nouveau coaliser le monde afin de créer un véritable changement. Après cette soirée riche en réflexion, le public n’a pu qu’acquiescer à ce message inspirant.

Le discours complet de Volker Türk, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, du 16 octobre est disponible sur le site des Nations Unies.

[1] Le slogan "rien sur nous, sans nous" a une origine incertaine, mais a été popularisé dans les années 1990 par les organisations de défense des droits des personnes handicapées (voir, par exemple, J.I. Charlton, "Nothing About Us Without Us : Disability Oppression and Empowerment", University of California Press, 1998), et est depuis longtemps utilisé comme devise par divers groupes de défense des minorités.