Une nouvelle étude révèle des niveaux inquiétants de désespoir chez les jeunes transgenres et de genre non conforme au Canada

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Le Dr Ian Colman, professeur à l’École d’épidémiologie et de santé publique de la Faculté de médecine, nous fait part de ses réflexions sur une nouvelle étude indiquant que les adolescents transgenres et de genre non conforme sont plus de cinq fois plus susceptibles d’être suicidaires.

Par David McFadden
Rédacteur scientifique

Les signaux d’alarme sont on ne peut plus clairs : nous sommes au milieu d’une crise de la santé mentale chez les jeunes. De nouvelles recherches indiquent que les adolescents transgenres et de genre non conforme sont particulièrement en danger et sont exposés à un risque alarmant de pensées et de tentatives de suicide.

Une nouvelle etude ambitieuse examinant les données de l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2019 illustre l’ampleur stupéfiante du problème dans notre pays. L’équipe de recherche, dirigée par des chercheurs de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, a constaté que les adolescents transgenres et de genre non conforme sont plus de cinq fois plus susceptibles d’être suicidaires que leurs pairs dont l’identité de genre correspond au sexe qui leur a été assigné à la naissance.

Dans la conversation ci-dessous, le chef de l’équipe de recherche, le Dr Ian Colman, professeur à l’École d’épidémiologie et de santé publique de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, nous fait part de ses réflexions sur les résultats et l’ampleur de ce fléau qu’il est urgent de contenir.

Cet article est particulièrement d’actualité puisque la mise en lumière de l’importance cruciale de la santé mentale, en particulier chez les jeunes LGBTQ+ vulnérables, est une priorité pour de nombreuses personnes en juin, mois de la Fierté. Que suggère l’étude sur les pressions subies par les adolescents transgenres et de genre non conforme au Canada?

Le passage de l’adolescence au stade de jeune adulte est une période stressante pour tous les jeunes, mais elle est particulièrement difficile pour ceux et celles qui ne se conforment pas aux attentes sociétales dominantes en matière de genre et de sexualité. Ces jeunes sont souvent marginalisés par leurs pairs et leurs communautés, ce qui a souvent des effets négatifs sur leur santé mentale.

Notre nouvelle étude montre à quel point ces effets peuvent être dramatiques. La découverte que les jeunes transgenres et de genre non conforme sont plus de cinq fois plus susceptibles d’être suicidaires montre à quel point cette période peut être pénible pour les minorités de genre. Le mois de la Fierté est bien sûr un moment de célébration, mais c’est aussi un moment de sensibilisation à la santé mentale des populations LGBTQ+, en particulier des jeunes. J’espère que des recherches comme celle-ci pourront soutenir ces initiatives.

Les résultats suggérant que plus de la moitié des jeunes transgenres ont déclaré avoir sérieusement envisagé le suicide au cours des 12 mois précédant l’enquête sont pour le moins alarmants. Ces résultats devraient-ils constituer un signal d’alarme pour ceux qui tentent de lutter contre la « suicidalité » chez les jeunes du Canada?

Ces résultats devraient être un signal d’alarme pour tous les Canadiens. Pour être juste, je crois que les défenseurs de la prévention du suicide au Canada sont bien conscients que la suicidalité chez les adolescents transgenres et de genre non conforme est un problème important. Néanmoins, il est choquant de constater que plus de la moitié d’entre eux ont sérieusement envisagé le suicide au cours de la dernière année. Nous espérons que cette recherche pourra fournir davantage de preuves à ceux qui poussent les décideurs à accorder une plus grande priorité à la prévention du suicide.

Vous et vos collaborateurs avez examiné une vaste étude réalisée en 2019 auprès des jeunes Canadiens, dont l’échantillon comprenait 6 800 adolescents. Pouvez-vous nous parler un peu de la façon dont ce grand échantillon de population a servi de catalyseur à la recherche?

Plusieurs études antérieures ont mis en évidence des taux élevés de problèmes de santé mentale et de suicidalité chez les minorités sexuelles et de genre. Cependant, la majorité de ces études se sont concentrées sur des populations de jeunes autosélectionnées. Par exemple, de nombreuses études ont recruté des participants par le biais de groupes de soutien LGBTQ+ locaux. Bien que ce type de recherche puisse nous apprendre beaucoup de choses, l’une de ses principales limites est qu’il n’est pas évident de savoir dans quelle mesure les participants à l’étude sont représentatifs de l’ensemble des jeunes des minorités sexuelles et de genre. En utilisant les données d’une étude basée sur la population, nous pouvons être beaucoup plus sûrs que nos résultats représentent tous les groupes minoritaires. Cela fournit des preuves beaucoup plus solides.

L’enquête de Statistique Canada comportait des questions sur le sexe des participants à la naissance, leur identité de genre et leur attirance sexuelle. En quoi les nuances des questions de l’enquête ont-elles influencé l’étude? De plus, une forte proportion d’adolescents de l’échantillon, soit près de 15 %, exprime une attirance à l’égard de plus d’un sexe. Cette proportion était-elle surprenante?

L’une des différences de cette étude réside dans les nuances apportées aux questions sur l’attirance sexuelle. La plupart des études antérieures sur l’attirance sexuelle demandent simplement aux répondants d’auto-déclarer leur orientation sexuelle. De telles études ont rapporté qu’environ 5 % de la population s’identifie comme bisexuelle. Cependant, dans le questionnaire de Statistique Canada utilisé pour notre étude, les jeunes étaient plutôt interrogés sur leur degré d’attirance. Bien que la majorité d’entre eux aient répondu qu’ils étaient « attirés SEULEMENT » par le sexe opposé, il y avait d’autres options de réponse comme « Je suis attiré SURTOUT » par le sexe opposé.

En examinant ces réponses, nous avons constaté que près de 15 % de la population fait état d’un certain niveau d’attirance à l’égard de plus d’un sexe, ce qui est presque trois fois plus élevé que ce qui avait été rapporté précédemment. Cela a des implications importantes étant donné que ces jeunes étaient 2,5 fois plus susceptibles d’être suicidaires que les jeunes hétérosexuels cisgenres.

Selon votre équipe de recherche, les résultats de l’étude révèlent la nécessité d’adopter des « approches de prévention inclusives » pour lutter contre la suicidalité au sein de la population diversifiée des jeunes du Canada. Quelle pourrait être l’approche la plus importante? Est-il possible que le fait d’offrir rapidement une aide à l’identification du genre puisse améliorer les problèmes de santé mentale graves comme la suicidalité?

Nous devons nous assurer que les efforts de prévention puissent attirer les jeunes transgenres et les jeunes des minorités de genre et leur être accessibles, et nous pensons qu’une façon d’y parvenir serait d’avoir une représentation de ces groupes à tous les niveaux. L’un des aspects de ces efforts devrait être de s’assurer qu’il existe des lieux sûrs qui offrent un soutien aux jeunes lorsqu’ils explorent leur genre et leur sexualité.

Pouvez-vous nous parler de la façon dont le « stress des minorités » est vraisemblablement vécu par de nombreux adolescents transgenres et de genre non conforme au Canada?

La notion de stress des minorités fait référence aux pressions ressenties par les groupes marginalisés et stigmatisés et peut s’avérer nuisible à la santé mentale. Les minorités de genre, en particulier à l’adolescence lorsque la pression des pairs est élevée, sont fréquemment victimes de certains comportements de leurs pairs qui cherchent à les rabaisser. Les jeunes transgenres sont, par exemple, souvent victimes d’intimidation et de cyberintimidation de la part de leurs pairs. Dans notre étude, nous avons montré que de tels comportements expliquent en partie le lien entre le fait de faire partie d’une minorité de genre et une suicidalité accrue. Nous soutenons fermement les initiatives de lutte contre l’intimidation.

L’équipe de recherche de l’étude comprenait une femme transgenre. Comment le fait de pouvoir compter parmi l’équipe une personne ayant une expérience vécue en tant que personne transgenre a-t-il influencé ce travail de collaboration?

Honnêtement, je ne suis pas sûr que nous aurions pu réaliser ce projet sans notre collaboratrice ayant une expérience vécue, Fae Johnstone. Nous n’aurions certainement pas pu faire un aussi bon travail! La contribution de Fae a été essentielle tout au long du processus, depuis les premières étapes du projet jusqu’à la diffusion des résultats auprès d’un public universitaire et d’un public plus général, y compris les décideurs politiques. Fae nous a aidés à déterminer quelles étaient les lacunes importantes auxquelles nous pouvions nous attaquer par de nouvelles recherches, puis comment utiliser au mieux les données dont nous disposions pour nous assurer que nous étions respectueux des populations des minorités sexuelles et de genre. Elle nous a également beaucoup aidés à interpréter les résultats et à orienter nos discussions sur les implications dans les bons domaines.

Sans sa participation, nous aurions sans doute pris des décisions qui auraient eu du sens pour les chercheurs, mais qui n’en auraient pas eu pour les personnes au centre de cette recherche. Nous espérons que notre recherche mettra en lumière un problème crucial de santé publique, et Fae a veillé à ce que le projecteur soit braqué au bon endroit.

 

Dr Ian Colman
Fae Johnstone