On peut difficilement exagérer l’impact destructeur de la crise des opioïdes qui sévit actuellement au Canada. Plus de 40 000 décès liés aux opioïdes ont été recensés depuis 2016 au pays, affligeant des familles canadiennes aux profils variés. Les hospitalisations et les appels aux services paramédicaux liés aux opioïdes ont par ailleurs explosé.
Il est urgent de développer de nouvelles approches pour les médecins et la patientèle afin d’endiguer la vague de problèmes liés à l’usage des opioïdes dans notre société. Un groupe de spécialistes se penche aujourd’hui sur une trousse d’outils récemment développée en collaboration avec des patientes et patients. Conçue pour être une plateforme de ressources relatives aux opioïdes, elle contribue à optimiser les résultats thérapeutiques, mais marque aussi un changement de paradigme quant à la manière dont les projets de ce type devraient être entrepris.

« L’objectif n’était pas simplement de donner de l’information sur les opioïdes, c’était aussi d’opérer un changement de mentalité. »
La Dre K. Jean Chen
Un document de travail publié dans la revue spécialisée Patient Education and Counseling et un rapport de recherche paru dans la revue médicale Academic Medicine examinent de près la trousse d’outils du partenariat médecin-patient, une série de modules bilingues disponibles en ligne qui vise à informer les personnes concernées sur la consommation d’opioïdes et la douleur chronique. La trousse a été conçue par l’Association des facultés de médecine du Canada (AFMC)avec l’appui financier de Santé Canada.
Une co-création unique
D’après l’auteure principale du document, la Dre K. Jean Chen, de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, cette trousse ambitieuse se distingue par le fait qu’elle est le fruit d’une collaboration véritable entre des spécialistes de la santé et une patientèle ayant un vécu pertinent. La Dre Chen faisait partie du noyau de l’équipe qui a conçu la trousse.
« L’objectif n’était pas simplement de donner de l’information sur les opioïdes, c’était aussi d’opérer un changement de mentalité. Le projet a montré qu’on peut – et qu’on doit – apprendre avec et non seulement sur les patientes et patients », explique la Dre Chen, qui est codirectrice du programme d’études médicales de premier cycle et professeure adjointe.
De fait, une personne membre du comité de lecture a décrit le projet comme « un modèle de co-création unique » impliquant les prestataires de soins et la patientèle et ajouté que la méthode employée par l’équipe s’appuyait sur « une collaboration novatrice », la plupart des trousses existantes étant conçues pour les pharmaciennes et les pharmaciens.
La Dre Chen croit qu’il est essentiel d’impliquer les patientes et les patients, en tant que « spécialistes en la matière », dans la co-création de ressources sur la douleur chronique et la consommation et la gestion des opioïdes. Pourquoi? Parce que cela permet d’approfondir les apprentissages, d’améliorer la communication et de renforcer la confiance et le respect entre les médecins et la patientèle.
« Les patientes et patients apportent des expériences concrètes qu’aucun manuel ni aucun cours magistral ne peut refléter parfaitement, explique la Dre Chen. La co-création permet d’ancrer la formation dans ce qui est réellement important pour les personnes qui vivent avec la douleur chronique et celles qui sont affectées par l’usage d’opioïdes. On s’assure ainsi que les contenus, en plus d’être pertinents sur le plan clinique, prônent la compassion et sont axés sur l’être humain. »
Révéler les vérités et les mythes
La patientèle qui a participé au projet a notamment contribué à développer une compréhension nuancée des effets importants que la stigmatisation et la honte continuent d’avoir sur les personnes qui sollicitent des soins pour la douleur ou la consommation de substances.
« Ça montre qu’il faut faire preuve d’empathie et veiller à instaurer la confiance dans toutes les interactions cliniques », soutient la professeure.
La Dre Chen ajoute qu’un autre élément intéressant de la trousse est la section où l’on remet en cause les idées fausses répandues sur l’usage des opioïdes et la douleur chronique. La patientèle a notamment aidé à recenser les mythes les plus préjudiciables et les plus persistants, comme celui qui veut que les personnes dépendantes aux opioïdes manquent simplement de volonté.
« Grâce aux patientes et aux patients, on a pu déboulonner des mythes d’une manière qui n’est pas seulement juste sur le plan clinique, mais qui est aussi empathique et contribue à réduire la stigmatisation », explique la professeure.
En quoi ce type d’approche globale peut-elle permettre d’améliorer les soins liés à l’usage et à la gestion des opioïdes prodigués par les spécialistes de la santé pendant et après les rendez-vous médicaux?
« En écoutant les témoignages des personnes directement touchées pendant la formation, les professionnelles et professionnels comprennent mieux la difficulté de composer simultanément avec la douleur, la stigmatisation et le système de santé, précise la Dre Chen. Ce point de vue les aide à poser de meilleures questions, à écouter plus attentivement et à éviter les jugements rapides, ce qui, on l’espère, contribuera à terme à développer une offre de soins plus respectueuse, plus sécuritaire et plus efficace. »
D’après la professeure, l’équipe de recherche se penchera maintenant sur les moyens d’intégrer durablement cette approche globale tout au long de la formation en médecine. Il s’agit notamment d’appuyer le perfectionnement du corps professoral pour renforcer les principes relatifs aux soins partout au Canada.