Les preuves ne viennent pas de nulle part - Réflexions sur le dernier panel de l'ISSP

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Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique

Par Stewart Fast

Senior Research Associate, Research Director, Institute for Science Society and Policy

Tabaret lawn
La série de tables rondes de l’ISSP sur l’engagement du nouveau gouvernement fédéral à prendre des décisions fondées sur des données probantes a souligné que les conseils scientifiques constituent une base essentielle pour la prise de bonnes décisions.

On reconnaît bien sûr que les conseils scientifiques ne peuvent pas déterminer la politique. D’autres facteurs et compromis interviennent dans la prise de décision. La politique publique exige indubitablement de la politique. Pourtant, je m’intéresse à un aspect différent abordé par les conférenciers du dernier panel: qu’est ce qui est nécessaire pour s’assurer que les preuves scientifiques restent crédibles?

Pour poser ce genre de question, il faut d’abord penser que les preuves scientifiques peuvent être moins crédibles. Pour quelqu'un comme moi qui d’abord a suivi une formation en biologie, ce n’est pas très évident de façon immédiate. Ma formation a encouragé la confiance et la célébration de la méthode scientifique en tant que moyen de générer des connaissances crédibles, reproductibles et vérifiables qui sont ensuite transmises aux bureaucrates pour les mettre en œuvre. Je pense que ce point de vue est tenu par de nombreux scientifiques. Mon moment de réalisation est venu après avoir lu les travaux de l’écologiste Piers Blaikie dans le cadre de mes études supérieures. Il a été très persuasif dans ses écrits sur la dépendance des scientifiques sur les variables de la pente et du gradient du Universal Soil Loss Equation, qui a conduit à un mauvais diagnostic des mesures appropriées pour atténuer l’érosion dans le contexte africain où les pluies sont un facteur important. Finalement, les scientifiques ont eu raison, mais le point le plus important est qu’il y a eu des biais culturels et institutionnels non reconnus qui limitaient la capacité de reconnaître les preuves et de générer des connaissances scientifiques précises et crédibles.

En d’autres termes, les preuves ne viennent pas de nulle part. Elles sont produites dans un contexte spécifique avec des avantages qui sont rattachés aux types de questions demandées, aux éléments observés, aux modèles explicatifs utilisés, etc. Vingt ans après le début des «science wars», il y a une plus grande appréciation académique critique pour les contingences sociales et politiques de la création de connaissances scientifiques, mais jusqu’à où s’étend-elle au-delà de l’académie? Et qu’est ce que cela signifie pour les conseils scientifiques et la prise de décision basée sur la preuve?

Chacun des conférenciers a entrepris des mesures pour s’assurer que les conseils scientifiques sont crédibles. J’aimerais souligner deux séries de commentaires en particulier.

La professeure Heather Douglas, professionnelle en résidence de l’ISSP et titulaire de la Chaire en sciences et société de l’Université de Waterloo, a souligné deux formes de responsabilité publique en matière de conseils scientifiques. La première et la plus évidente est la responsabilité à l’égard de diverses valeurs sociales, qui peut être facilité par des éléments comme la représentation diversifiée de l’expertise dans les structures formelles des conseils scientifiques (p. ex. les comités). La deuxième est la responsabilité liée à la preuve elle-même. Toutes les preuves pertinentes ont-elles été prises en considération? Quelles preuves changeraient les esprits des experts? Dans les rapports formels, cela inclut l’identification et la reconnaissance des explications alternatives et l’explication des raisons pour lesquelles elles ont été rejetées. Bien que cela pourrait sembler difficile, je pense qu’il existe des exemples de rapports publics qui ont certaines de ces qualités. Par exemple, le rapportpublique de Santé Canada  sur les résultats préliminaires d’une étude sur les effets potentiels du bruit des éoliennes sur la santé.

Le Dr. Nigel Cameron, titulaire de la Chaire de Recherche Fulbright en science et société et président fondateur du Center for Policy on Emerging Technologies, a déclaré que les scientifiques ne devraient pas agir comme défenseurs s’ils souhaitent influencer les politiques. Il pense que les climatologues étaient parfois coupables de ceci, et plus tard au cours de la période de discussion, a donné un autre exemple d’affirmations exagérées pour les avantages de la recherche sur les cellules souches par les chercheurs en sciences de la santé, ce qui affecte la crédibilité de la science. Ce sont des critiques justes, mais je me demande si ce type de comportement est un sous-produit des modèles de financement. Alors que le financement de la science canadienne met de plus en plus l’accent sur les besoins de l’industrie (comme le plan stratégique 2020 du CRNSG et la transformation du mandat du Conseil national de recherche), il me semble probable qu’il y aura plus de publicité et de propositions de recherche et nouveaux domaines de recherche.

Ces deux critères de la responsabilité publique et de s’abstenir de faire du plaidoyer public sont intéressants. Ils suggèrent que les scientifiques, d’une part, doivent s’engager davantage avec les critiques publiques de leurs méthodes et de leurs résultats, et d’autre part, doivent veiller à ne pas préconiser l’adoption de leur recherche. C'est un coin serré à occuper.