Dans cette région d’Afrique de l’Est, plus de 84 % de la population est analphabète et l’accès aux institutions publiques — santé, éducation, justice — demeure très limité. Dans ce contexte, la puberté est souvent interprétée comme un signal de maturité sociale et reproductive : dès les premières menstruations, une jeune fille peut être promise à un homme — souvent plus âgé, parfois déjà marié, et généralement doté d’un statut économique supérieur.
Le chapitre du professeur Madut (École d’études sociologiques et anthropologiques) aborde cette réalité avec lucidité, mais aussi avec nuance. Il montre que ces pratiques sont le produit d’un système social complexe, où les traditions religieuses, les rôles familiaux, la pauvreté, les conflits armés et l’absence de politiques publiques efficaces s’entrecroisent. Le mariage devient alors un mécanisme de sécurité — pour la famille, pour la communauté, mais rarement pour la jeune fille elle-même.
L’un des apports majeurs de cette recherche est l’analyse fine de la construction sociale des rôles de genre dans un contexte fortement patriarcal. Dans de nombreuses communautés, les garçons sont éduqués pour devenir des chefs de famille, des protecteurs, des figures d’autorité. Les filles, elles, sont préparées à devenir des épouses et des mères, souvent au prix de leur éducation et de leur autonomie. Le professeur Madut insiste sur le rôle central joué par les chefs religieux, les anciens des clans et les institutions spirituelles, qui valident encore aujourd’hui ces modèles de comportement comme étant normaux, souhaitables, et porteurs de stabilité.
En s’appuyant sur des cadres théoriques en sociologie critique et en anthropologie politique, l’auteur met en évidence comment les croyances spirituelles, les structures familiales et les traditions coutumières créent un terrain favorable à la naturalisation de la domination masculine. Le mariage des enfants, dans ce système, est vu non pas comme une violence, mais comme une transition normale et socialement valorisée.
Loin de se limiter à une analyse théorique, le chapitre donne aussi la parole aux membres des communautés. Il met en lumière les perceptions croisées des hommes et des femmes, et les divergences qui existent quant à l’âge, au rôle, et à la place des filles dans la société. Certaines jeunes femmes expriment leur frustration face aux barrières qui freinent leur accès à l’école ou à un emploi. D’autres trouvent dans la religion ou dans la solidarité féminine des moyens de résister discrètement à ces normes oppressives.
Le professeur Madut observe que dans certaines localités, les mentalités commencent à évoluer, souvent sous l’effet combiné des ONG locales, des campagnes de sensibilisation, de l’exposition aux médias ou encore des échanges avec d’autres pays africains. Ces changements demeurent fragiles, mais ils laissent entrevoir la possibilité d’un avenir différent pour les filles sud-soudanaises.
Ce chapitre représente une contribution précieuse à la compréhension des dynamiques de genre en contexte post-conflit, dans un pays où les institutions sont encore en construction. Il rappelle que les lois seules ne suffisent pas à changer les pratiques : le Soudan du Sud a bien fixé à 18 ans l’âge légal du mariage, mais l’absence d’enregistrement des naissances, l’analphabétisme généralisé et le poids des traditions rendent cette législation difficile à appliquer.
Pour le professeur Madut, il est essentiel de bâtir des politiques publiques sensibles aux réalités culturelles et spirituelles, capables de protéger les droits des filles tout en dialoguant avec les communautés. Cela suppose une action concertée entre l’État, les leaders religieux, les éducateurs, les familles… et surtout, les jeunes filles elles-mêmes.
Ce chapitre de recherche ouvre une voie nouvelle pour comprendre — et transformer — les pratiques sociales qui affectent les filles dans de nombreuses régions du monde.
Lisez l’analyse complète du professeur Kon K. Madut. (en anglais seulement)