Une équipe de recherche de l’Université d’Ottawa ouvre de nouvelles perspectives sur la dynamique du système sérotoninergique du cerveau

Par David McFadden

Rédacteur scientifique, Université d'Ottawa

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Les résultats de l’étude pourraient potentiellement contribuer au développement de cibles thérapeutiques pour les troubles de l’humeur tels que le trouble dépressif majeur.

Nos vies sont remplies de décisions binaires, c’est-à-dire de choix entre deux possibilités. Mais que se passe-t-il réellement dans notre cerveau lorsque nous nous engageons dans un tel processus de prise de décision?

Une étude de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et publiée dans Nature Neuroscience jette un nouvel éclairage sur ces grandes questions, en mettant en lumière un principe général de traitement neuronal dans une région mystérieuse du mésencéphale qui est à l’origine même de notre système central de sérotonine (5-HT), une partie essentielle du système nerveux qui intervient dans une vaste gamme de fonctions cognitives et comportementales.

« Le modèle dominant actuel est que les neurones 5-HT agissent indépendamment les uns des autres. Bien qu’il ait été suggéré précédemment que les neurones 5-HT pourraient plutôt être connectés les uns aux autres, cela n’avait pas été directement démontré. C’est ce que nous avons fait ici. Nous avons également décelé un rôle de traitement intrigant – c’est-à-dire une activité calculatoire – qui est soutenu par ce type particulier de connectivité entre les neurones 5-HT », déclare le Dr Jean-Claude Béïque, professeur titulaire au Département de médecine cellulaire et moléculaire de la Faculté et codirecteur du Centre de neurodynamique et d’intelligence artificielle de l’Institut de recherche sur le cerveau de l’Université d’Ottawa.

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Le Dr Jean-Claude Béïque

Les travaux de l’équipe de recherche internationale ont fait appel à diverses méthodes expérimentales telles que l’électrophysiologie, l’imagerie cellulaire, l’optogénétique et les approches comportementales, ainsi qu’à la modélisation mathématique et aux simulations informatiques.

Forger des avancées

Que signifie donc le fait que les neurones sérotoninergiques regroupés dans le tronc cérébral ne soient pas des acteurs indépendants qui se recroquevillent sur eux-mêmes, mais qu’ils envoient des axones vers le reste du cerveau?

« À mon avis, la principale conclusion de l’article est que le système sérotoninergique des mammifères est beaucoup plus complexe sur le plan anatomique et fonctionnel que ce que nous avions imaginé jusqu’à présent. Il s’agit d’une connaissance qui pourrait potentiellement contribuer au développement de cibles thérapeutiques pour les troubles de l’humeur tels que le trouble dépressif majeur », déclare le Dr Michael Lynn, premier auteur de l’étude et ancien membre du laboratoire du Dr Béïque à la Faculté de médecine.

Le Dr Lynn a obtenu son doctorat en neurosciences à l’Université d’Ottawa en octobre 2023. Il travaille actuellement en tant que chercheur postdoctoral à l’Université d’Oxford, au Département de physiologie, d’anatomie et de génétique.

Selon lui, les résultats obtenus par l’équipe sont importants, car il s’avère qu’il existe des groupes distincts de neurones sérotoninergiques ayant leurs propres schémas d’activité, chacun contrôlant la libération de sérotonine dans une région particulière du cerveau. Cette découverte a des répercussions sur le principe de la « sélection unique » en neurosciences, une idée appliquée dans les modèles informatiques de réseaux neuronaux dans lesquels les neurones se livrent essentiellement à une concurrence pour être activés.

« Les nouveaux principes découverts dans cet article suggèrent que ces ensembles distincts peuvent interagir dans certains scénarios : les ensembles de sérotonine “gagnants” à activité élevée peuvent fortement réduire la libération de sérotonine par les ensembles de sérotonine “perdants” dont les niveaux d’activité sont plus faibles, explique-t-il. Cela passe par un ensemble de règles plus complexes et dynamiques sur la manière et le moment où la sérotonine est libérée dans le cerveau, ce qui contraste avec une vision ancienne d’un signal plus monolithique. »

Décisions, décisions

Les travaux de l’équipe de recherche permettent de mieux comprendre la manière dont notre cerveau – un organe doté d’un réseau extrêmement complexe de neurones avec des multitudes de connexions enchevêtrées – est impliqué dans les prises de décision au jour le jour.

Ils ont déterminé comment l’habenula latérale, une région qui est activée lorsque nous ressentons de la frustration et qui intervient dans la dépression majeure, contrôle en fin de compte l’activité des neurones sérotoninergiques. On pense également que les neurones habenulaires encodent le niveau de menace perçu en lien avec un environnement particulier, ou peut-être même résultant de nos actions.

Le Dr Béïque l’explique ainsi : « Devrais-je sauter du tremplin le plus haut de la piscine? Ou du plus bas? Devrais-je m’engager dans cette ruelle très sombre ou l’éviter?  Quand l’obscurité est-elle trop dense?  D’une manière ou d’une autre, notre cerveau doit calculer les caractéristiques de notre monde – y compris le degré de risque lié à un environnement particulier – et aboutir à un résultat binaire : j’y vais ou je n’y vais pas. »

« Nous pensons avoir découvert un circuit qui participe au calcul même qui guide nos décisions quotidiennes », déclare-t-il.

Prochaines étapes

Quelle est la prochaine étape pour l’équipe de recherche, qui s’appuie sur les progrès réalisés depuis plusieurs années grâce à cet examen méthodique et novateur du système sérotoninergique? Elle souhaite se concentrer sur des études comportementales avec des modèles de souris.

« À ce stade, les manifestations comportementales du calcul que nous avons découvert étaient en quelque sorte artificielles. Nous essayons actuellement de voir si nous pouvons observer des comportements similaires lorsque les souris sont dans des environnements plus naturels », explique le Dr Béïque.

L’équipe de recherche riche en talents qui a rédigé le nouvel article de Nature Neuroscience comprenait le Dr Richard Naud de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, un chercheur en neurosciences computationnelles qui est l’auteur principal d’une récente étude sur la sérotonine publiée dans Nature, et Sean Geddes, directeur de l’innovation et des partenariats à l’Université d’Ottawa.

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