(In)sécurité linguistique : de quoi parle-t-on?

Gazette
Illustration d'un groupe de personnes en train de parler
Meike Wernicke, une experte en enseignement du français langue seconde (FLS) à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), nous donne un avant-goût de l’exposé sur l’insécurité linguistique qu’elle présente dans le cadre du Mois de la francophonie.
Portrait de la professeure Meike Wernicke de la UBC

« L’insécurité linguistique est une impression, une croyance ou un sentiment à l’effet que la variété de langue qu’on utilise ou la façon dont on parle n’est pas légitime ou valorisée par la société. Les gens évaluent généralement leurs propres pratiques linguistiques en les comparant à une norme perçue comme étant supérieure », explique Meike Wernicke, professeure adjointe au Département d’enseignement de la langue et de l’alphabétisation de l’Université de la Colombie-Britannique. Mme Wernicke dirigera une discussion sur l’insécurité linguistique dans le cadre des célébrations du Mois de la francophonie à l’Université d’Ottawa le 16 mars prochain.

Selon la professeure, l’insécurité linguistique est parfois perpétuée par une croyance selon laquelle certaines variétés de la langue française utilisées au Canada sont moins prestigieuses ou moins légitimes que le français parisien ou encore, celui qu’on peut entendre sur les ondes de Radio-Canada. Elle est renforcée davantage par la surveillance et les corrections constantes de la part de ceux qui se considèrent comme les gardiens de la langue française.

La recherche démontre que le système d’éducation au Canada tend à privilégier une approche eurocentrique du français, ce qui se traduit notamment par une tendance du corps enseignant à favoriser, pour les locuteurs natifs, l’adoption d’une norme idéalisée.

Une forme d’insécurité linguistique se manifeste également dans des contextes bilingues où les deux langues ont chacune un statut particulier dans la société et où l'utilisation de l'une par rapport à l'autre reflète une dynamique de pouvoir. Dans ce cas, le phénomène est souvent attribuable à une vision monolingue de la langue, à savoir qu’il est préférable d’éviter le mélange des codes, c’est-à-dire l’utilisation de deux langues ou plus pour arriver à communiquer. Ce purisme linguistique nous porte notamment à considérer les anglicismes comme un signe de maîtrise insuffisante du français. 

Mais, compte tenu de la prédominance de l’anglais en Amérique du Nord, l’usage unique que chaque francophone fait de sa langue contribue grandement à la création de l’identité francophone canadienne, tant sur le plan linguistique que culturel, soutient la linguiste.

« Il est important de comprendre le lien qui existe entre la langue d’usage et l’identité : le fait de dévaloriser les pratiques langagières d’une personne revient à dévaloriser la personne elle-même, précise-t-elle. « Par conséquent, le fait de déprécier la langue que l’on apprend, que ce soit le français acadien, le chiac, le français du Manitoba ou de la Colombie-Britannique, le michif ou toute autre variété, conduit aussi à la dépréciation des personnes qui nous transmettent ce savoir, les enseignantes et les enseignants. »

Meike Wernicke croit que le principal moyen pour combattre l’insécurité linguistique est d’éduquer les gens pour leur faire comprendre ce qu’est une langue, comment ça fonctionne, ce que ça signifie de maîtriser plusieurs langues, quelles sont les implications politiques de la langue, comment on l’utilise pour discriminer et établir des catégories sociales, etc.

« Plus on comprend les mécanismes d’apprentissage d’une langue ainsi que les processus de mobilisation et d’utilisation des compétences linguistiques, plus on se rend compte que notre idéologie linguistique, nos croyances par rapport à la langue, est une construction qui répond à divers objectifs dans la société ».

Organisée par l’Institut des langues officielles et du bilinguisme (ILOB), la conférence se base sur des données recueillies par la chercheuse auprès d’enseignantes et d’enseignants de FLS et aborde différentes manifestations d’insécurité linguistique, notamment la façon dont les « non-francophones » composent avec les idéologies linguistiques pour légitimer leur identité professionnelle.

En conclusion, la professeure Wernicke nous rappelle que « la langue est non seulement un moyen de communication individuel, mais qu’elle a également une portée politique et sociale. Il s’agit d’un sujet complexe intimement lié à notre identité, à nos expériences linguistiques et culturelles, et à notre place dans la société. Étant donné que la sensibilisation à toutes ces questions passe largement par l’éducation, le rôle du personnel enseignant et de ceux et celles qui les forment est donc crucial. »


Vous souhaitez assister à l'événement, inscrivez-vous à la conférence sur l'insécurité linguistique.

Date : Le mardi 16 mars 2021
Horaire : 13 h - 14 h 
Lieu : Présentation en ligne, sur Zoom
Langue de présentation : Bilingue