Pour des millions de personnes neurodivergentes, c’est-à-dire qui s’identifient comme autistes, ayant un TDAH, en situation d’handicap intellectuel, ou d’autres handicaps cognitifs, c’est pourtant une réalité. La complexité du langage employé, la mise en page chargée et la rigidité des devis de recherche les excluent d’études qui pourraient influencer directement leur avenir.
Si l’accessibilité physique et sensorielle a fait l’objet d’une attention particulière, l’accessibilité cognitive – en particulier dans la recherche – a souvent été négligée.
L’accessibilité n’est pas un mot à la mode : c’est une nécessité.
Et c’est là qu’intervient Open Collaboration pour l’accessibilité cognitive. Cette initiative, menée en collaboration avec l’Université d’Ottawa, sert à rassembler en un seul endroit les ressources, l’expertise et les conseils sur l’accessibilité cognitive. Open change la manière d’inclure les personnes neurodivergentes aux travaux de recherche.
L’importance de l’accessibilité
Au Canada seulement, entre 2,4 et 5 millions de personnes disent être en situation de handicap cognitif. Il y a en a des millions d’autres dans le monde. Pourtant, ces gens sont souvent confrontés à des obstacles invisibles qui les empêchent de participer pleinement à la société, y compris à la recherche universitaire et médicale ayant des répercussions directes sur leur vie.
Munazza Tahir, directrice adjointe de Open et conseillère en recherche à l’Université d’Ottawa, insiste sur l’importance d’intégrer les personnes neurodivergentes aux processus de recherche dès le départ.
« Il faut faire participer les personnes ayant un vécu particulier dès le stade de planification, explique-t-elle. Elles aident à circonscrire les questions, l’approche les résultats, et leur formulation. »
Recadrer le processus de recherche
Un élément clé de la recherche inclusive consiste à repenser la manière de poser les questions. Comme l’a fait valoir Mike Oliver, un influent défenseur des droits des personnes en situation de handicap et pionnier du modèle social du handicap, la recherche inclusive évite de faire peser le fardeau sur l’individu et renverse plutôt le scénario. Par exemple, au lieu de demander « Pourquoi êtes-vous incapable d’ouvrir cette boîte de haricots? », on posera la question « Cette boîte de haricots est-elle conçue de manière à ce que certaines personnes ne puissent pas l’ouvrir? ».
Ce simple changement met en lumière une vérité essentielle : souvent, les obstacles sont attribuables non pas aux individus, mais aux systèmes et aux modèles de conception non adaptés à la diversité des besoins. Pour être valide et éthique, la recherche doit tenir compte de ces dynamiques.
Munazza Tahir donne l’exemple des formulaires de consentement, souvent remplis de jargon et rédigés dans un langage complexe. Ils peuvent écarter les personnes neurodivergentes de la recherche avant même qu’elle ne commence.
« Il incombe à l’équipe de recherche de présenter l’information de manière accessible, souligne-t-elle. Si la recherche sur le cerveau touche directement les personnes en situation de handicap cognitif, elle doit leur être accessible. »

« Il incombe à l’équipe de recherche de présenter l’information de manière accessible. »
Munazza Tahir
— Directrice adjointe de Open et conseillère en recherche à l’Université d’Ottawa
Collaboration et répercussions concrètes
Le travail d’Open consiste à collaborer avec des organisations, comme l’École des sciences de la nutrition de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa ainsi que l’Université Lakehead, afin d’améliorer les applications pratiques de la recherche inclusive.
Lorsque l’École des sciences de la nutrition a voulu rendre l’une de ses études sur la nutrition plus inclusive, elle s’est tournée vers Open. Un comité consultatif, composé de personnes en situation de handicap cognitif, a alors été créé pour donner son avis sur différents sujets – des habitudes d’achat à la préparation de recettes. Ses points de vue ont orienté la conception de l’étude en lui apportant des éléments qui seraient autrement passés inaperçus.
Du côté de l’Université Lakehead, le défi était d’améliorer l’accessibilité des ressources au sujet des soins palliatifs. L’équipe de Open a testé l’accessibilité auprès de personnes neurodivergentes.
« On nous a dit que plusieurs informations n’étaient pas accessibles, explique Munazza Tahir. Les documents étaient complexes, les couleurs, étranges et la mise en page, surchargée. » Grâce aux commentaires d’Open, le matériel a été refait pour que les personnes concernées puissent le consulter plus facilement.
Échanger les connaissances, façonner le changement
Open souhaite agir au-delà des projets individuels. L’initiative met l’accent sur la mobilisation des connaissances en s’assurant que la recherche inclusive ne dort pas sur les tablettes, mais rejoint les communautés qu’elle est censée servir.
« Les résultats de la recherche doivent être transmis aux personnes en situation de handicap cognitif et aux différents groupes de façon générale, car ils les concernent », ajoute Munazza Tahir.
À cette fin, Open produit du matériel infographique, des vidéos, des documents accessibles, et même des textes « facile à lire et à comprendre », en suivant des directives linguistiques expressément adaptées aux populations neurodivergentes. Son approche est détaillée, répond à des règles précises et s’inspire de l’expérience vécue de personnes souvent laissées pour compte dans les modèles de recherche conventionnels.
Former la relève en recherche
Si l’on veut changer la culture de la recherche, tout commence par l’éducation. Open offre de la formation et des ateliers adaptés aux différentes étapes du cycle de recherche. De la conception des études à la diffusion des résultats, la formation aide les chercheuses et chercheurs à passer de la conscientisation à l’action.
« La prochaine étape sera la formation et la mise en œuvre à grande échelle », précise Munazza Tahir. Le but est d’obtenir du financement pour proposer une certification aux chercheuses et chercheurs et étendre la portée du modèle. « Nous avons besoin de voix qui mèneront la charge et défendront l’importance d’inclure les personnes neurodivergentes. »
Munazza Tahir souligne la différence entre simplement consulter cette population et l’inclure concrètement dans le processus. L’inclusion exige de partager le pouvoir et la prise de décisions, des éléments essentiels pour que la recherche soit équitable et valide sur le plan scientifique. Par le passé, les voix neurodivergentes étaient exclues de la recherche, particulièrement en médecine et en sciences de la santé. « Les équipes de recherche doivent tenir compte de la neurodivergence pour guider leurs décisions », insiste-t-elle.
Un mouvement qui grandit
L’élan prend de l’ampleur. De plus en plus de chercheuses et chercheurs reconnaissent l’importance des pratiques inclusives et demandent du soutien.
Chaque nouveau partenariat, chaque comité consultatif et chaque projet de recherche remanié montre que l’on comprend de mieux en mieux l’obligation d’inclure la neurodivergence à la recherche. C’est une part essentielle de l’éthique et de l’efficacité scientifique.