À partir de données, la première met en lumière la discrimination systémique dans l’industrie de la musique, tandis que la seconde aide les organismes communautaires à évaluer leurs services dans le but de les améliorer.
Leurs travaux leur ont valu cette année un Prix d’excellence en mobilisation des connaissances. Décerné par le Cabinet de la vice-rectrice à la recherche et à l’innovation, ce prix récompense la recherche qui a des retombées durables sur la société.
Jada Watson : Une analyse des palmarès de la musique country
Catégorie : Chercheuses et chercheurs en début de carrière
Jada Watson, professeure agrégée à l’École des sciences de l’information, est une pionnière dans le domaine des sciences humaines numériques qui mène une carrière sans fausses notes. Elle s’intéresse depuis longtemps à l’industrie de la musique country, en particulier à l’influence du genre, de la race et de la sexualité sur les chances de percer dans ce marché. À partir d’une analyse de décennies de données issues des palmarès, de la programmation des stations de radio et des plateformes de musique en ligne, la professeure Watson a constaté que les systèmes utilisés pour mesurer le succès, comme les palmarès et les algorithmes, sont loin d’être neutres.
Bien que les plateformes de musique en ligne et les stations de radio affirment répondre simplement à la « demande de leurs auditoires », les résultats de son étude révèlent tout autre chose. Elle a découvert, par exemple, que les chansons des artistes féminines étaient diffusées tard le soir ou tôt le matin, soit en dehors des heures de grande écoute.
Dans une étude réalisée avec Jan Diehm, journaliste pour The Pudding, elle a démontré que la diffusion successive de chansons d’artistes féminines ne représentait que 0,5 % du temps d’antenne. Ainsi, même lorsqu’elles passent sur les ondes, les femmes jouissent rarement d’une vitrine suffisante pour donner une impulsion à leur carrière, contrairement aux hommes. Ce désavantage crée une boucle de rétroaction : une artiste dont les œuvres sont peu entendues a moins de chances d’accéder aux palmarès, donc de promouvoir ses disques, de recevoir des prix et de gagner en popularité.
« Comme beaucoup de personnes qui ont grandi dans les années 1990, mon univers musical a été façonné par la radio, témoigne la chercheuse. J’ai eu la chance d’entendre plus de voix féminines à cette époque, et leurs histoires forment la trame sonore de ma jeunesse. Mais depuis une vingtaine d’années, leur présence sur les chaînes de radio country est passée d’environ 30 % à moins de 10 %. Ce n’est pas seulement un changement de programmation – c’est une perte culturelle. »

« Je fais ce travail pour deux raisons : pour les artistes qui se battent pour être entendues, et pour les jeunes auditoires (comme ma fille de 11 ans) qui écoutent la radio aujourd’hui. »
Jada Watson
— Professeure agrégée à l’École des sciences de l’information, Faculté des arts
La chercheuse ne se contente pas d’étudier l’industrie de la musique : elle lui donne le la. Sur sa plateforme publique, SongData, elle produit à partir de jeux de données complexes des rapports, des diagrammes et des articles de blogue qui résonnent auprès des artistes, des journalistes et des responsables de politiques. Ses travaux révèlent que les soi-disant « normes » de l’industrie, comme les quotas de programmation à la radio et les biais algorithmiques, défavorisent de manière disproportionnée les femmes, les personnes racisées et les membres de la communauté 2ELGBTQIA+.
Bien qu’elle porte sur le country, sa recherche trouve un écho dans d’autres genres musicaux. Son approche intersectionnelle axée sur les données est maintenant appliquée à d’autres styles et plateformes dans le cadre de collaborations avec des organismes comme Women in Music Canada et le Centre national des Arts. Partageons les ondes, l’un des projets issus de ces collaborations, offre un portrait de la représentativité à l’antenne des radios commerciales canadiennes et stimule la réflexion sur l’équité dans l’industrie de la musique.
Les résultats des travaux de la professeure Watson ont été cités dans des mémoires juridiques présentés à la Commission fédérale des communications (CFC) des États-Unis, ainsi que dans le rapport sur l’inclusion et la diversité de la Grammy Recording Academy. Ils ont également été décrits dans des publications à grand tirage comme le New York Times et la revue Rolling Stone, et utilisés par des groupes tels que Women in Music Canada et l’initiative EqualPlay de CMT.
La mobilisation des connaissances qui découle de ses travaux comporte plusieurs facettes :
- En 2024, sa recherche a influencé la décision de la CFC de maintenir les limites de propriété des radios commerciales pour préserver la diversité sur les ondes.
- Elle a cocréé avec la chanteuse-compositrice Tami Neilson une conférence doublée d’un concert intitulée The F Word: Songs of Feminism in Country Music, mêlant érudition et musique pour toucher un plus large auditoire.
- Elle siège actuellement au comité consultatif musical des JUNO pour l’album country de l’année et est membre du jury de l’Adisq.
- Elle a enseigné les méthodes de recherche intersectionnelle et axée sur les données à plus de 150 étudiantes et étudiants, dont bon nombre travaillent aujourd’hui dans les secteurs de la musique, des médias et de la recherche.
La professeure Watson a prouvé que les données peuvent servir à façonner un monde plus juste. Par le caractère accessible et exploitable de sa recherche, elle apporte aux artistes, aux journalistes et aux responsables de politiques les connaissances nécessaires pour s’attaquer aux iniquités dans l’industrie de la musique.
En somme, elle réécrit la partition de l’industrie – et sa nouvelle chanson parle d’équité, de transparence et de responsabilité. Elle nous rappelle que même sur les airs traditionnels, on peut toujours ajouter des couplets.
Isabelle Bourgeois : L’évaluation au service de l’amélioration
Catégorie : Chercheuses et chercheurs en milieu de carrière ou chevronnés
Les organismes communautaires dans le secteur de la santé et des services sociaux jouent un rôle essentiel dans l’amélioration des conditions de vie des groupes vulnérables et la défense collective de leurs droits. Or, on leur demande de « faire plus avec moins » dans un contexte complexe marqué par des crises économiques, sanitaires, politiques et sociales. Ils doivent démontrer l’efficacité de leurs programmes, justifier l’utilisation des fonds reçus et conserver la confiance de leurs communautés et du public – mais souvent, ils n’ont pas les outils, le temps ou le savoir-faire requis.
C’est là qu’Isabelle Bourgeois entre en jeu.
Professeure titulaire à la Faculté d’éducation, elle codirige le LaboÉval, une initiative de recherche-intervention qu’elle a mise sur pied avec David Buetti, un ancien étudiant au doctorat qui est aujourd’hui professeur adjoint à l’Université de Montréal. Le LaboÉval aide les organismes sans but lucratif à évaluer leurs programmes à l’aide de méthodes rigoureuses et fondées sur des données.
Ses travaux comblent un manque de longue date : bien que le domaine de l’évaluation de programmes existe depuis plus de cinquante ans, les organismes communautaires peinent encore à planifier, à mener et à utiliser les évaluations pour améliorer leurs initiatives, comprendre les besoins de leurs communautés et démontrer leurs impacts.

« En réalisant leurs propres évaluations, les organismes communautaires s’approprient un outil transformateur et améliorent leur capacité d’apporter des changements significatifs. »
Isabelle Bourgeois
— Professeure titulaire à la Faculté d’éducation
L’équipe du LaboÉval offre un programme de formation sur mesure qui couvre tous les éléments nécessaires, depuis les modèles logiques et la collecte de données jusqu’à l’interprétation des résultats pour la prise de décisions.
Des ateliers pratiques et un accompagnement personnalisé aident les personnes participantes à appliquer ce qu’elles ont appris directement à leur milieu de travail. Grâce à cette approche, les groupes communautaires acquièrent non seulement des compétences, mais aussi des capacités d’évaluation ancrées dans leur propre réalité.
Deux organismes communautaires témoignent de l’efficacité du programme du LaboÉval :
- Naissance-Renaissance Outaouais, qui vient en aide à des familles durant la grossesse et après l’accouchement, a suivi la formation afin d’évaluer ses services. L’organisme a abandonné les sondages imprimés au profit de sondages en ligne et observé une hausse du taux de participation, et il a utilisé les résultats pour prendre de meilleures décisions – par exemple, reporter l’expansion d’un service dont la clientèle n’avait pas besoin.
- La Passerelle, qui offre du soutien aux familles de personnes atteintes d’un grave problème de santé mentale, a utilisé le processus pour améliorer ses groupes d’entraide par les pairs. Après avoir réalisé que les jeunes n’y participaient pas, l’organisme a modifié ses stratégies de communication et les règles des groupes pour les rendre plus accueillants.
Les deux organismes ont acquis des outils et gagné en confiance pour améliorer leurs services et mieux répondre aux besoins des communautés qu’ils servent.
Depuis son lancement, LaboÉval a soutenu 16 organismes œuvrant dans divers domaines, comme la santé mentale, la défense des personnes 2ELGBTQIA+, les services aux familles et l’aide aux personnes immigrantes. Grâce aux travaux de la professeure Bourgeois, l’évaluation n’est plus un fardeau bureaucratique, mais un outil de transformation qui aide les organismes à faire le point sur leurs services et à les améliorer.
En plus de recevoir ce prix d’excellence, la professeure Bourgeois a récemment été nommée première titulaire de la Bourse professorale Forum pour le dialogue Alex-Trebek sur les politiques publiques. Cette nouvelle bourse est le fruit d’une collaboration entre le Bureau de la recherche et de liaison en matière de politiques publiques et le Forum pour le dialogue Alex-Trebek. Elle appuie la recherche qui influence la politique publique. La professeure Bourgeois profitera de cette bourse pour promouvoir l’élaboration de politiques fondée sur des données probantes afin de remédier aux problèmes sociétaux complexes, en étroite collaboration avec des partenaires gouvernementaux et communautaires.