Une étude de l'Université d'Ottawa révèle un recul et une perte généralisés des glaciers de marée dans l'hémisphère Nord

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Glacier Trinité
Glacier Trinity. Photo Luke Copeland

Le glacier Trinity est l’un des glaciers ayant enregistré l’un des plus forts reculs de l’Arctique canadien ces 20 dernières années, en raison de l’écroulement de sa langue (ou plateforme) terminale au rythme de 1 km2 par an. Photo d’un vêlage : un gros iceberg s’est détaché du front glaciaire et part à la dérive (août 2016). 

Les travaux de deux chercheurs de l’Université d’Ottawa, premiers à cartographier les glaciers de marée de l’hémisphère Nord et à avoir mesuré leurs variations sur ces vingt dernières années, nous amènent à mieux comprendre, et peut-être à prédire, l’impact des changements climatiques dans cette partie du globe.

Un constat qui fait froid dans le dos

Leur article « Retreat of Northern Hemisphere marine-terminating glaciers, 2000–2020 », publié dans la revue Geophysical Research Letters, étudie ainsi 1704 glaciers dont le terminus touchait l’océan en 2000, et cartographie la position de leur front glaciaire à intervalles réguliers (2000, 2010 et 2020).

« Depuis l’an 2000, les glaciers de marée de l’hémisphère Nord perdent chaque année une superficie totale de 390 km2. C’est presque sept fois la superficie de Manhattan, avec une vitesse moyenne de fonte de 1 km2 par jour », constate Will Kochtitzky, auteur principal de l’article et doctorant au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa.

Ce seraient les glaciers de l’inlandsis du Groenland les plus touchés, représentant 60 % de la superficie perdue mesurée.

« Sur les 1704 glaciers de marée présents en 2000, 123 d’entre eux en 2020 ne touchent plus l’océan en raison de leur recul.

En tout, il y a eu retrait pour 85 % des glaciers, 12 % de stagnation au sein des limites d’incertitude et seulement 3 % d’avancée », précise le chercheur.

Le fjord Matusevich en Russie
Le fjord Matusevich en Russie. Photo : Will Kochtitzky, Landsat 7 et 8, USGS

Le fjord Matusevich en Russie est l’une des étendues de glace hors Groenland les plus touchées, avec un retrait de 160 km2 enregistré entre 2000 et 2020. Sa plateforme de glace s’est détachée en 2012.

Réchauffement climatique

Si l’activité humaine reste la grande responsable du réchauffement climatique à l’origine du recul de la cryosphère – l’ensemble des glaces qui sont à la surface du globe terrestre –  il ne faut pas, selon les chercheurs, négliger les caractéristiques environnementales et topographiques locales qui nous permettent de comprendre pourquoi certains glaciers reculent plus que d’autres.

« Nous avons constaté de grandes différences de comportement alors que les conditions climatiques étaient les mêmes – température de l’eau et de l’air et concentration en glace de mer. Ceci nous montre bien que ce sont les caractéristiques propres du glacier qui constituent le facteur déterminant dans l’analyse des variations de retrait glaciaire », explique Luke Copland, coauteur de l’article et professeur titulaire au Département de géographie, environnement et géomatique et de la Chaire de recherche de l’Université en glaciologie.

« L’écroulement des plateformes glaciaires dans l’Arctique est l’une des principales causes de ce recul : les glaciers dont la langue flottante est inhabituellement large au contact de l’océan et ceux dont la partie immergée gagne en profondeur à mesure qu’ils s’éloignent de la côte ont aussi enregistré un recul particulièrement rapide », indique-t-il.

Les quelques exceptions, ceux qui ont gagné en épaisseur au lieu de se rétracter, doivent ce phénomène à une instabilité interne de « surge glaciaire », lequel provoque pendant quelques années une avancée du glacier de 10 à 100 fois plus vite que la normale.

« Toutefois, avertit Will Kochtitzky, ces glaciers vont probablement fondre plus rapidement dans les années à venir, et se rétracter sur le long terme. »

C’est en travaillant manuellement sur l’imagerie par satellite à l’Université d’Ottawa que les deux chercheurs ont cartographié ces variations glaciaires.

« Jusqu’à présent, personne n’avait idée du nombre de glaciers de marée dans l’hémisphère Nord; et l’on connaissait encore moins le pourquoi du comment de leur évolution », commente Will Kochtitzky.

« Ces recherches ont permis de situer chacun des glaciers, une base à partir de laquelle nous avons pu, pour la première fois, faire état de leurs variations. Ces données sont essentielles à une compréhension ciblée par hémisphère des impacts des changements climatiques. Elles serviront par exemple à de futures études sur le climat, comme celles que publie le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). »

Le glacier Zachariae Isstrøm, au nord-est du Groenland.
Le glacier Zachariae Isstrøm, au nord-est du Groenland. Photo : Will Kochtitzky, Landsat 8, USGS

Depuis l’an 2000, le glacier Zachariae Isstrøm, au nord-est du Groenland, a perdu plus de glace que n’importe quel autre glacier de l’hémisphère Nord, en raison de l’effondrement de sa plateforme glaciaire. 

Le glacier Jakobshavn, au Groenland
Le glacier Jakobshavn, au Groenland. Photo : Will Kochtitzky, Landsat 8, USGS

Le glacier Jakobshavn, au Groenland, a connu un retrait accéléré ces vingt dernières années, libérant une multitude d’icebergs dans l’océan (Ilulissat, juin 2015).

Trop tard pour renverser la vapeur?

D’après les deux chercheurs, le recul des glaciers de marée est devenu monnaie courante dans cette partie du globe; et rien ne laisse à penser, dans la conjoncture actuelle, que ce phénomène viendra s’inverser.

« Ces dernières années, nous avons vu disparaître au moins une bonne dizaine de plateformes glaciaires : un seuil climatique a été franchi, seuil au-delà duquel ces géants de glace ne peuvent plus subsister », estime Luke Copland.

« Les quelques plateformes glaciaires qui tiennent encore dans le nord du Canada, au Groenland et en Russie sont vouées à disparaître dans les années à venir. »

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