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Par Laura Eggertson

Rédactrice, Pigiste

Les chercheurs du projet Énergie positive Louis Simard (à gauche), Monica Gattinger, Michael Cleland and Stewart Fast.
Les chercheurs du projet Énergie positive Louis Simard (à gauche), Monica Gattinger, Michael Cleland and Stewart Fast. Photo : Andrea Campbell / Université d'Ottawa
Les projets d'énergie renouvelable et non renouvelable génèrent leur lot d'opposition partout au Canada. Selon les chercheurs du projet Énergie positive, la clé de l'acceptation sociale consiste à entamer un véritable dialogue avec les collectivités touchées.

« La réaction d'une population à un projet est très souvent […] fonction du degré d'ouverture, de transparence ou de collégialité du processus décisionnel et de la confiance de la population envers la capacité des gouvernements à prendre une décision éclairée tenant compte des intérêts et des valeurs du secteur privé et de la collectivité. »

– Monica Gattinger

Au Canada comme ailleurs, des projets énergétiques dont la valeur s'élève à des milliards de dollars suscitent la grogne du public, du projet hydroélectrique de Muskrat Falls, au Labrador, jusqu'au terminal côtier Pacific Northwest LNG, destiné à l'exportation de gaz naturel liquéfié depuis le Nord de la Colombie-Britannique.

Or, comme le souligne Monica Gattinger, si les gouvernements et le secteur privé s'engagent dans ces grands projets de développement, c'est pour répondre au besoin grandissant en énergie, cette énergie dont dépendent nos maisons, nos entreprises et l'économie mondiale.

« C'est simple, les économies ont besoin d'énergie. Nous devons donc continuer de lancer des projets énergétiques », insiste la professeure et directrice de l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique de l'Université d'Ottawa.

Dans ce contexte, si l'on doit parvenir à un développement énergétique responsable, il est impératif de comprendre les facteurs qui motivent l'opposition publique aux projets afin de savoir comment répondre aux besoins des populations touchées.

Voilà l'objectif d'Énergie positive, le projet de recherche doté d'une enveloppe d'un million de dollars sur trois ans que dirige Mme Gattinger. En novembre dernier, le projet a publié un rapport intitulé A Matter of Trust: The Role of Communities in Energy Decision-Making, rédigé en collaboration avec la Fondation Canada West. Les auteurs ont étudié six projets énergétiques canadiens de différents types : pipeline, hydroélectricité, énergie éolienne, exploration de gaz de schiste et centrale thermique au gaz naturel. La recherche avait pour but de découvrir pourquoi certains projets ont réussi à obtenir le soutien de la population alors que d'autres n'y sont pas arrivés.

Pour obtenir l'aval d'une population, il faut connaître ses valeurs et échanger avec elle dans le cadre d'un processus permettant aux parties intéressées de modifier le projet, concluent les chercheurs. Autre facteur important : faire profiter les habitants des retombées potentielles du projet, qu'elles se traduisent en emplois ou en ententes de partage de ressources.

Étonnamment, la question des changements climatiques et de la nature renouvelable ou non des projets énergétiques n'était pas la motivation principale pour appuyer ou rejeter un projet, affirme Mme Gattinger.

« L'une des conclusions de notre recherche est que la réaction d'une population à un projet est très souvent […] fonction du degré d'ouverture, de transparence ou de collégialité du processus décisionnel, de la confiance de la population envers la capacité des gouvernements à prendre une décision éclairée tenant compte des intérêts et des valeurs du secteur privé et de la collectivité, et du fait que les risques d'un projet sont bien compris et peuvent être ou seront atténués », précise-t-elle.

Les auteurs du rapport recommandent l'élaboration d'un « système d'information énergétique beaucoup plus poussé » et font remarquer que l'appui de la population nécessitera une structure institutionnelle plus stable et un processus réglementaire ouvert à tous. Ils ajoutent que la population doit être intégrée tôt dans le processus décisionnel et avoir véritablement voix au chapitre. Ces changements ralentiront les processus décisionnels, ce qui se répercutera nécessairement sur le souhait du gouvernement fédéral de « rapidement forcer une transition vers un système énergétique à faibles émissions en GES ».

Dans le cadre du projet de recherche, Louis Simard, professeur à l'École d'études politiques de l'Université, s'est penché sur un projet d'installation de 25 éoliennes à Saint-Valentin, au Québec. Devant une opposition publique bien informée et organisée, la province a fini par rejeter ce projet, faute d'acceptation sociale.

Le promoteur du projet éolien ne s'attendait pas à l'opposition de sept municipalités et de propriétaires terriens de la région, en plus de la petite municipalité qui devait accueillir les éoliennes, explique M. Simard.

« Les citoyens étaient très engagés et proactifs. À leurs yeux, le projet était incompatible avec les activités agricoles de la région, relate le sociologue. L'impact de ces projets est souvent très régional, il faut donc ratisser plus large pour inclure les municipalités avoisinantes et différents acteurs et intervenants afin de les assurer qu'ils seront informés en amont et qu'ils auront leur mot à dire sur ces projets. »

Le projet Énergie positive s'est associé à Nanos Research pour sonder les populations touchées par les études de cas afin de comparer l'opinion des opposants à ces projets et celle de la population en général.

Énergie positive est financée par des autorités décisionnelles, des organismes réglementaires, des producteurs et des associations du secteur de l'énergie, comme Ressources naturelles Canada, la Commission canadienne de sûreté nucléaire et l'Association canadienne des producteurs pétroliers. Selon Mme Gattinger, le projet n'est pas « prodéveloppement à tout prix. Il s'agit d'organismes qui souhaitent mieux comprendre comment donner confiance au public envers le processus décisionnel gouvernant les projets énergétiques, ce qui comprend la possibilité de dire non à des projets. »

Le principal message pour les gouvernements, les organismes réglementaires et les entreprises faisant la promotion de grands projets énergétiques pourrait se résumer à l'importance d'écouter et de décrypter les déclarations et les émotions contradictoires des gens par rapport à l'énergie, synthétise Michael Cleland, professionnel en résidence à Énergie positive et président du conseil d'administration du Canadian Energy Research Institute.

« En ce qui concerne les projets énergétiques, les populations locales veulent rester maîtresses de leur avenir », conclut M. Cleland, principal auteur du rapport. Si elles ne voient pas leurs inquiétudes se traduire par des changements dans les projets de développement, les conséquences politiques et économiques pourraient être durables.