Pour guérir les maux du monde

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Autochtone

Par Sophie Coupal

Rédactrice, Pigiste

Georges Sioui
En nous invitant à renouer avec la cosmologie amérindienne, Georges Sioui ouvre des perspectives transformatrices pour nos sociétés modernes.

« Axé sur le progrès matériel, l’américanisme ne donne que la pollution, la division, l’exploitation des humains par les humains et la disparition du milieu naturel. Je pense que les Amérindiens doivent se positionner pour offrir autre chose. »

– Georges Sioui

À six ans, surpris des idées négatives qu’on lui enseignait à l’école sur ses ancêtres autochtones, Georges Sioui, fils et petit-fils de Hurons habitant la réserve de Village-des-Hurons (aujourd’hui Wendake), au Québec, a eu le réflexe de tout enfant : il a demandé à ses parents si c’était vrai.

« Mon père m’a dit : “Pour le moment, essaie juste d’avoir de bonnes notes. Écris ce qu’ils disent de toi, mais ne crois pas que ce soit la réalité. Un jour, ce sera à toi de récrire l’histoire” », se souvient-il.

Plusieurs décennies plus tard, en 1991, Georges Sioui devenait le premier Autochtone à décrocher un doctorat en histoire au Canada. En 1999, il publiait Pour une histoire amérindienne de l’Amérique, ouvrage encensé par nul autre que le célèbre anthropologue français Claude Lévi-Strauss.

« Chez nous, on n’a jamais été élevés avec l’idée qu’on était des victimes, dit le professeur Sioui. On était toujours responsables de donner quelque chose, d’apporter une contribution. »

Et c’est assurément ce qu’il a fait. À la fois historien, philosophe, militant, poète et chansonnier, M. Sioui enseigne aujourd’hui l’histoire, la métahistoire, la philosophie et la spiritualité autochtones au Département d’études anciennes et de sciences des religions de l’Université d’Ottawa.

Là, il s’emploie toujours à déboulonner certains mythes issus de l’héritage historiographique canadien, tout en travaillant à faire connaître la cosmologie (vision du monde) amérindienne, patiemment reconstituée à partir d’une variété de sources orales et écrites.

Un travail de moine, mais motivé par la profonde conviction que certains aspects de cette cosmologie offrent des pistes de solution pour « guérir les maux du monde », comme la dégradation de l’environnement et les problèmes d’inclusion sociale.

L’atteinte de cet objectif pour le moins ambitieux passe avant tout, dans l’optique du chercheur, par une redéfinition radicale de notre rapport aux autres et à la Terre. En effet, ses écrits, publiés dans de nombreux livres et revues en Amérique et à l’étranger, nous invitent notamment à renouer avec le mode de pensée « matricentriste » et « circulaire » typique des premiers peuples d’Amérique.

« C’est souvent synonyme, matricentrisme et pensée circulaire, explique-t-il. C’est simplement de reconnaître que le monde, la vie, est un cercle de relations, que nous sommes tous parents, tous interreliés, non seulement les humains, mais aussi tout ce qui existe dans l’univers. » Au centre de cette cosmologie se trouve la Terre elle-même, conçue comme une mère nourricière, indivisible et qui n’appartient à personne.

Pour prendre la mesure de ces idées très puissantes, il suffit de penser à ce qu’il adviendrait des problèmes environnementaux actuels si on cessait de voir la Terre comme la « propriété » de l’être humain, un bien qu’on peut découper, exploiter — et polluer — sans vergogne.

Pour le professeur Sioui, le matricentrisme et la pensée circulaire sont les fondements du « vrai visage spirituel de l’Amérique », cette américité qu’il oppose à l’américanisme et qui représente aussi ce que les Amérindiens ont de plus précieux à donner.

« Axé sur le progrès matériel, l’américanisme ne donne que la pollution, la division, l’exploitation des humains par les humains et la disparition du milieu naturel, dit-il. Je pense que les Amérindiens doivent se positionner pour offrir autre chose, quelque chose qui vient de l’Amérique et qui permet aux gens de s’engager à protéger leur terre. »

Ses étudiants, dont seulement de 5 à 15 % sont d’origine autochtone, se montrent toujours très réceptifs à ces idées.

« Chaque fois que je finis un cours, des étudiants me disent : “C’est la première fois qu’un cours universitaire me donne la possibilité de me rapprocher de mes camarades de classe, de me faire sentir qu’on est ensemble”», dit-il.

Ces témoignages ont de quoi réjouir celui qui rêve d’établir un centre d’étude de la pensée circulaire à l’Université d’Ottawa, non seulement pour faire rayonner cette pensée au potentiel salvateur, mais aussi, ultimement, pour aider le monde à changer. En mieux.