Qui peut réglementer les émissions de gaz à effet de serre?

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Environnement

Par Moira Farr

Rédactrice, Pigiste

Nathalie Chalifour
Photo: Peter Thornton
Pour respecter l'Accord de Paris, le gouvernement fédéral devra adopter une politique nationale sur les changements climatiques qui tient compte des initiatives provinciales et territoriales existantes, affirme Nathalie Chalifour.

En signant l'Accord de Paris, conclu en 2015 sous l'égide des Nations Unies pour s'attaquer aux émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale, le Canada a montré qu'il se réengageait dans la lutte aux changements climatiques, après des années à subir la réprobation de la communauté internationale pour ne pas avoir pris suffisamment la question au sérieux.

Selon l'experte en droit environnemental Nathalie Chalifour, de l'Université d'Ottawa, le défi pour le gouvernement fédéral consistait ensuite à employer les divers mécanismes législatifs et politiques à sa disposition pour créer une stratégie nationale sur le climat qui respecterait les politiques provinciales et territoriales existantes, véritable « courtepointe » qui s'est formée en l'absence de leadership fédéral sur la question entre 2006 et 2015. C'est ce qu'il a fait avec le lancement en décembre 2016 du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques.

Ce sont ces mécanismes fédéraux que Mme Chalifour a étudiés et analysés dans un article publié en août dernier, puis dans un texte d'opinion percutant publié sur le site ipolitics.ca, dans lequel elle avançait que le Parlement a « toute l'autorité constitutionnelle nécessaire pour légiférer sur les émissions de gaz à effet de serre en imposant des règlements, un programme national de plafonnement et d'échange, ou une taxe nationale sur le carbone, dans la mesure où ces solutions sont bien conçues ».

Pour bien comprendre les limites constitutionnelles du pouvoir du Parlement, la professeure a analysé des décennies de recherches et de jurisprudence canadienne et internationale. Elle en conclut que les pouvoirs du gouvernement fédéral sont rattachés à différents domaines, comme le droit criminel, la taxation et le commerce. À son avis, le temps est venu pour le gouvernement de se servir « des outils du fédéralisme coopératif » et d'une « interprétation élargie de la Constitution » pour se donner un rôle fort dans l'établissement de politiques répondant aux objectifs de l'Accord de Paris.

« Ce chantier aurait été beaucoup plus facile s'il avait été lancé il y a 15 ou même 10 ans, avant que les provinces établissent des approches aussi variées de lutte aux changements climatiques, surtout en ce qui concerne le prix du carbone », dit-elle. Néanmoins, elle croit la chose toujours possible sans empiéter sur les programmes provinciaux en vigueur.

Il est crucial que le gouvernement agisse rapidement et décisivement, soutient Mme Chalifour, car l'écart est considérable entre la trajectoire actuelle du Canada en matière d'émissions et son objectif de réduction de 30 % d'ici 2030. De plus, les tribunaux du monde entier commencent à imposer aux gouvernements de prendre les changements climatiques au sérieux, ajoute-t-elle en donnant l'exemple d'un tribunal des Pays-Bas, qui concluait en 2015 que le gouvernement avait l'obligation juridique de réduire les émissions de gaz à effet de serre à des niveaux bien en deçà de ce que la plupart des pays, dont le Canada, prévoyaient. « Beaucoup de pays se demandent, “sommes-nous tenus juridiquement de suivre cette voie?” »

Le gouvernement canadien a présenté son plan national de lutte aux changements climatiques, pour lequel il a payé un certain prix politique. « Maintenant, la question est de savoir si le gouvernement réussira à appliquer son plan. Ce ne sera pas facile, mais je crois que c'est tout à fait faisable », affirme Mme Chalifour. L'élément le plus controversé est le prix national du carbone, que le gouvernement fédéral a proposé d'instaurer en 2018 dans les provinces qui n'auront pas de prix équivalent. Bien que le mécanisme du prix national du carbone doive encore être peaufiné, nous aurons besoin d'un leadership fédéral fort et d'une excellente coopération intergouvernementale pour respecter notre objectif de l'Accord de Paris. Comme le dit Mme Chalifour, il s'agit, après tout, d'une question d'intérêt national.