Conférence du CIRCEM - Estelle Ferrarese

« Sanglots féminins, mélancolies masculines. Réflexions sur la prise sur le monde. » 

Que les pleurs sont genrés est un truisme, une évidence du sens commun comme une banalité des études scientifiques. Ces dernières montrent constamment qu’indépendamment d’autres variables telles que l’origine sociale ou culturelle, et de manière remarquablement stable ces dernières décennies, les femmes pleurent plus fréquemment que les hommes, plus longtemps, et plus souvent sous la forme de sanglots. 

La question que je souhaite aborder ici n’est toutefois pas celle du droit distribué différemment de part et d’autre des barrières du genre, à laisser voir ou entendre les sanglots, comme elle n’est pas celle de leur efficacité inégale. Elle n’est pas davantage celle des motifs genrés, les femmes perdant supposément contenance pour des raisons plus futiles que les hommes. Elle est plutôt celle de l’expérience du sanglot. Elle est plutôt celle de ce que les sanglots nous permettent de comprendre : « le corps étant l’instrument de notre prise sur le monde, le monde se présente tout autrement selon qu’il est appréhendé d’une manière ou d’une autre." (Beauvoir, Le Deuxième Sexe) La question devient alors : comment se présente le monde à un corps qui sanglote ? ou qui sanglote souvent ?  ou qui se trouve fréquemment dans des situations où il est amené à sangloter ?