Les singes veulent ses fruits, les scientifiques veulent ses secrets : Le cas mystérieux d’un arbre tropical menacé d’extinction

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Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

Singe capucin à face blanche
Singe capucin à face blanche.
Le Pleodendron costaricense est un arbre séculaire en voie de disparition. Il n’en reste que neuf spécimens connus. On le trouve au Costa Rica, dans les montagnes bordant l’océan Pacifique et dans la péninsule d’Osa. Il est considéré par les botanistes comme un « fossile vivant » en raison de son ascendance historique.

Tony Durst, professeur émérite du Département de chimie et de sciences biomoléculaires, a commencé à étudier la composition chimique de son écorce et de son feuillage il y a environ 25 ans. Il a récemment fait équipe avec des scientifiques en conservation pour analyser le fruit. L’objectif? Comprendre pourquoi cette espèce est aussi rare, et potentiellement aider les botanistes de l’arboretum de conservation d’Osa dans leurs efforts de repeuplement. 

« Lorsqu’on les écrase, tant les feuilles que les fruits sentent très bon; ils dégagent une odeur légèrement mentholée et épicée, dit le professeur Durst. Par le passé, nous avons isolé et identifié différents composés aux propriétés antifongiques dans l’écorce et les feuilles. Nous avons constaté que la peau des fruits contient beaucoup de ces composés. »

Cela expliquerait pourquoi les singes capucins à face blanche aiment frotter la pelure dans leur fourrure. Selon Durst, une idée intrigante serait que les singes utilisent le fruit comme médicament, pour traiter les infections fongiques. Mais scientifiques n’en sont pas encore certains.

« Selon une autre théorie très plausible, ça pourrait repousser les moustiques. Le fruit pourrait également attirer les autres singes, au même titre que les humains sont attirés par les parfums. »

Crédit vidéo: Osa Conservation (en anglais seulement)

D’autres animaux, comme le kinkajou, l’olingo et le coati (tous membres de la famille du raton laveur, les Procyonidés), aiment beaucoup se délecter des fruits vert vif de cet arbre. Pour Durst, l’étape suivante consistait donc logiquement à isoler les composés dans la pulpe et les graines.

Serena Bezanson, étudiante du régime d’enseignement coopératif, a passé l’été à analyser différentes parties du fruit avec le professeur Durst. Sous la supervision de Sharon Barden, directrice du Laboratoire John L. Holmes de spectrométrie de masse (l’une des 26 plateformes technologiques de l’Université d’Ottawa), elle a appris à extraire les composés chimiques de la peau et de la pulpe et à analyser les échantillons en utilisant une combinaison de chromatographie en phase gazeuse et de spectrométrie de masse. Elle a ainsi potentiellement identifié plusieurs dizaines de composés qui n’ont pas encore été catalogués par les scientifiques.

« La base de données moléculaire est très considérable, donc ce serait vraiment enthousiasmant d’en avoir trouvé de nouveaux. Au fil du temps, beaucoup de gens ont étudié les composés chimiques produits par les plantes, donc c’est rare de nos jours de faire une découverte, explique Serena Bezanson, qui commencera un programme intégré de baccalauréat et de maîtrise en médecine cellulaire et moléculaire au campus Roger-Guindon cet automne. J’ai vraiment aimé mon expérience d’étudiante du régime d’enseignement coopératif, et j’ai trouvé ce projet fascinant. Ce sera utile pour ma carrière d’avoir appris à identifier des composés chimiques et à utiliser l’équipement de haute précision des plateformes technologiques. »

Tony Durst et Sharon Barden dans le Laboratoire John L. Holmes de spectrometrie de masse
Tony Durst, à gauche, et Sharon Barden, à droite, dans le Laboratoire John L. Holmes de spectrometrie de masse.

En analysant la pulpe, le professeur Durst et Serena Bezanson ont découvert une autre chose inusitée. 

« Habituellement, quand les animaux aiment manger un fruit en particulier, c’est à cause de sa valeur nutritive. Par exemple, il contient du sucre qui donne de l’énergie, ou des antioxydants pour renforcer le système immunitaire, indique le professeur. Mais la pulpe de ce fruit ne semble pas répondre à ces critères. En fait, Serena a remarqué que les composés dans la pulpe sont identiques ou similaires à ceux qu’on retrouve dans la peau du fruit. Alors, pourquoi les animaux en raffolent-ils? »

Les graines noires brillantes à l’intérieur du fruit suscitent aussi des questionnements chez les chercheures et chercheurs de l’Université d’Ottawa. Le professeur Durst se demande pourquoi les graines ne germent pas et ne produisent pas de plantule une fois qu’elles sont sur terre ou après avoir passé le système digestif d’un animal. Comment se fait-il que cet arbre soit en danger critique d’extinction?

Fruit du Pleodendron costaricense coupé en deux montrant les graines noires au centre
Fruit du Pleodendron costaricense. Crédit photo: Osa Conservation

« Les scientifiques d’Osa Conservation ont indiqué que les fourmis et les coquerelles aiment manger les graines. Se pourrait-il que ces dernières soient détruites avant leur germination? se demande le professeur. Un de mes collègues a aussi postulé que l’animal qui disséminait les graines est peut-être maintenant disparu, rajoute-t-il. Quoi qu’il en soit, la composition unique de la pulpe pourrait être un indice qui permettrait d’expliquer pourquoi l’arbre est en voie d’extinction N’est-ce pas là la beauté de la recherche scientifique? Tout le monde a sa théorie, et ce qui est intéressant, c’est d’utiliser la technologie pour la confirmer ou l’infirmer. »

Récemment, l’équipe de recherche botanique d’Osa Conservation, dirigée par María José Mata Quirós et Leonardo Álvarez Alcazar, a été en mesure de cultiver près de 150 plantules en exposant les graines à de l’acide gibbérellique, une hormone végétale qui stimule la croissance, un projet qui pourrait sauver cette espèce de l’extinction.

« Nous avons actuellement des Pleodendron costaricense qui poussent sur notre campus, dans d’autres zones protégées et sur les terres de notre partenaire de régénération. Les gens de la péninsule d’Osa et des environs se familiarisent donc avec un arbre si rare qu’il n’a pas encore d’appellation courante. Nous essayons de confirmer la capacité de l’arbre à disséminer ses graines en réalisant des expériences de passage par le système digestif. Dans le monde, 30 % des espèces d’arbres sont en voie d’extinction; c’est notre mission de rapprocher les gens des arbres et de contribuer à combler les lacunes dans les connaissances sur la conservation des arbres tropicaux. »

María José Mata s'occupe des semis de Pleodendron costaricense
María José Mata s'occupe des semis de Pleodendron costaricense. Crédit photo: Osa Conservation