L’essor de la diplomatie scientifique : quel rôle pour les universités dans le développement d’une stratégie nationale?

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Par Université d'Ottawa

Cabinet du vice-recteur à la recherche et à l'innovation, CVRRI

Diplomatie scientifique - Illustration
L’étude et le partage du savoir sur l’importance, les défis et les enjeux de la diplomatie scientifique sont au cœur de la nouvelle Chaire de recherche en diplomatie scientifique de l’Université d’Ottawa, développée en collaboration avec l’Ambassade de France l’automne dernier.

L’appel à candidatures pour la Chaire de recherche en diplomatie scientifique est maintenant ouvert aux chercheuses et chercheurs qui souhaitent mettre en perspective de façon critique une question ou une façon de faire dans les domaines d’action à l’intersection de la diplomatie et de la science – indépendamment de leurs profils disciplinaires, tant en sciences sociales qu’en sciences et technologies et médecine.

Afin d’enrichir les connaissances de nos chercheuses et chercheurs qui seraient intéressés à explorer ce nouveau champ d’études, nous avons sollicité l’avis de divers spécialistes qui se sont rassemblés lors d’un panel pour examiner la construction de cette discipline émergente et comprendre comment les scientifiques de toutes les disciplines peuvent y contribuer. 

Qu’entend-on exactement par diplomatie scientifique? Voilà la question à un million de dollars. 

En bref, la diplomatie scientifique est le champ particulier des relations internationales où s’entrecroisent les intérêts de la science et ceux de la politique étrangère.

Pour Stéphanie Balme, doyenne du Collège universitaire de Sciences Po et membre fondatrice de l’European Science Diplomacy Initiative, on comprend la diplomatie scientifique en la pratiquant. Mais en attendant de mieux clarifier ce domaine, il est important selon elle de délimiter ses contours pour ne pas diluer son impact dans des définitions trop vastes. 

Selon Pierre-Bruno Ruffini, professeur de sciences économiques à l’Université Le Havre en Normandie et anciennement conseiller aux ambassades de France en Russie et Italie, le mot clé à considérer en premier est « diplomatie ». Par opposition, des expressions telles que « science diplomatique » ou « science au service de la diplomatie » pourraient détourner l’attention de la véritable signification de la discipline. 

Quant au professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et directeur de recherche au Global Strategy Lab, Patrick Fafard, il considère qu’un pays pratique la diplomatie scientifique dans la mesure où l’on peut établir un lien direct entre la science et la politique étrangère de son gouvernement. 

De son côté, le professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université et coordonnateur du projet "Inventing a shared Science Diplomacy for Europe", Pascal Griset, souligne que l’émergence de la diplomatie scientifique coïncide avec une montée en puissance d’une culture globale de transparence dans les deux dernières décennies, contrastée par une ancienne diplomatie qui rimait plus avec secrets.

En marge du panel, nous nous sommes entretenus avec Paul Dufour, chercheur affilié à l'Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique, Université d'Ottawa et directeur de PaulicyWorks, afin d’explorer d’autres facettes méconnues de ce domaine. 

Comment qualifieriez-vous l’approche canadienne en matière de diplomatie scientifique? 

P. Dufour : Au Canada, la diplomatie scientifique suit un cap flou. Nous n’avons pas de stratégie nationale à proprement parler. Cette situation nous donne tendance à vouloir nous « promener partout. » C’est bien ambitieux, mais pas nécessairement efficace! En développant une vision claire, nous pourrons cibler les domaines scientifiques qui s’arriment à nos priorités nationales et nos avantages concurrentiels, et ainsi éclairer des décisions d’investissement pour qu’elles soient plus judicieuses. 

Quel est l’intérêt pour les établissements d’enseignement à investir dans la diplomatie scientifique et la soutenir? 

P. Dufour : Investir dans la diplomatie scientifique est une aubaine pour les universités. Au-delà du renforcement des collaborations internationales et de l’attraction de cerveaux brillants, ce type de diplomatie dynamise l’écosystème de recherche en entier et inspire la nouvelle génération de chercheuses et de chercheurs. 

En gros, à quoi ressemblerait une stratégie de diplomatie scientifique efficace pour l’Université d’Ottawa? 

P. Dufour : L’Université d’Ottawa peut tourner le défi du vide stratégique national en sa faveur en établissant des partenariats solides, en lançant des occasions de collaboration et en favorisant la recherche multidisciplinaire. Ainsi, elle se positionnera comme chef de file et contribuera à susciter un élan national dans le domaine. Il convient ici de noter que la diplomatie scientifique ne devrait pas être approchée comme une tentative d’imposer certaines politiques, car la demande scientifique est le fondement de toute relation diplomatique efficace à cet égard. 

Êtes-vous au courant d’initiatives de diplomatie scientifique auxquelles l’Université d’Ottawa participe actuellement et de ce qui en ressort? 

P. Dufour : L’événement commémoratif Bromley, organisé par l’Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique (ISSP, Université d’Ottawa) et l’Institute for International Science and Technology Policy (IISTP, Université George Washington), est un excellent exemple de l’engagement de l’Université dans ce domaine depuis près d’une vingtaine d’années. Honorant la mémoire d’Allan Bromley, un éminent physicien nucléaire originaire d’Ottawa, cette initiative offre aux chercheuses et chercheurs la chance d’échanger avec des leaders mondiaux en science et technologie. 

Comment voyez-vous le rôle des ambassades et des établissements d’enseignement dans la promotion de la diplomatie scientifique? 

P. Dufour : Les ambassades sont la représentation la plus concrète des relations diplomatiques. C’est là où les liens internationaux se tissent. Il va alors sans dire qu’elles sont les mieux placées pour faciliter les relations entre scientifiques, gouvernements et autres parties prenantes – et ce, des deux côtés de la table. D’autre part, les établissements d’enseignement sont le porte-drapeau de toute démarche de diplomatie scientifique. Par l’intermédiaire de programmes tels que les chaires de recherche, elles sont capables de promouvoir leurs découvertes scientifiques dans le monde entier. 

Perspectives du panel  :

En tant que chercheuse et chercheurs engagés dans la diplomatie scientifique, pourriez-vous décrire votre expérience à vos collègues qui souhaitent vous emboîter le pas? 

Pascal Griset : En tant que spécialiste en histoire contemporaine, j’approche la diplomatie scientifique avec l’idée que l’histoire appliquée nous permet de décoder le présent et de mieux nous projeter dans l’avenir. Mes échanges avec les collègues des sciences dures me rappellent chaque fois l’importance de la multidisciplinarité. En convergeant vers des objectifs communs, il demeure toutefois important que chaque domaine puisse conserver son unicité. 

Stéphanie Balme : Mon parcours à l’ambassade française à Pékin a été une véritable révélation dans ma carrière de chercheuse en diplomatie scientifique. Face au néant stratégique du côté français, contrasté par une politique chinoise bien plus élaborée, j’ai constaté de visu la nécessité d’une approche en amont. Depuis, je m’engage activement à former la prochaine génération dans ce champ de recherche. 

Patrick Fafard : Ces dernières années, mon laboratoire s’est penché sur la résistance antimicrobienne, un enjeu d’intérêt global si on a appris la leçon de la COVID-19. Nos échanges avec des collègues en science du climat ont révélé que nous n’étions pas les seuls à nous soucier d’une diplomatie scientifique peu définie. Ce constat a fait naître des partenariats interdisciplinaires avec des collègues en sciences sociales et en médecine pour formuler des questions pertinentes communes et créer un impact sociétal plus large. 

L’appel à candidatures pour la Chaire de recherche en diplomatie scientifique de l’Université d’Ottawa et l’Ambassade de France au Canada est maintenant ouvert.