Lever le voile sur une danse mystérieuse : l’intrication quantique de photons captée en temps réel

Par Isabelle Mailloux

Media Relations Manager, External Relations, uOttawa

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Lever le voile sur une danse mystérieuse : l’intrication quantique de photons captée en temps réel
Une nouvelle technique basée sur des caméras de pointe révèle une approche rapide et efficace pour reconstruire l’état quantique complet de particules intriquées.

Des scientifiques de l’Université d’Ottawa, en collaboration avec Danilo Zia et Fabio Sciarrino de l’Université La Sapienza de Rome, ont récemment démontré une technique novatrice qui permet de visualiser en temps réel la fonction d’onde de deux photons (les particules élémentaires qui composent la lumière) intriqués.

Prenons une paire de chaussures : le concept d’intrication s’apparente à choisir l’une de ces chaussures au hasard. Dès qu’on identifie la chaussure, on connaît instantanément la nature de son homologue (qu’il s’agisse de la chaussure droite ou gauche), où que soit cette dernière dans l’univers. Mais ce qui est intrigant, c’est l’incertitude inhérente au processus d’identification jusqu’au moment précis de l’observation.

La fonction d’onde, principe fondamental de la mécanique quantique, donne une compréhension exhaustive de l’état quantique d’une particule. Dans notre exemple, la « fonction d’onde » de la chaussure transmettrait différentes données (chaussure droite ou gauche, taille, couleur, etc.). Plus précisément, la fonction d’onde permet aux scientifiques quantiques de prédire le résultat probable de différentes mesures d’une entité quantique (position, vitesse, etc.). Cette capacité de prédiction est inestimable, particulièrement dans un domaine aux progrès fulgurants comme celui des technologies quantiques. En effet, si on connaît l’état quantique généré ou entré dans un ordinateur quantique, on peut tester ce dernier. De plus, les états quantiques utilisés en informatique quantique sont extrêmement complexes, impliquant de nombreuses entités montrant de fortes corrélations (intrications) non locales.

Connaître la fonction d’onde d’un tel système quantique est tout un défi – c’est ce qu’on appelle la tomographie de l’état quantique (ou tomographique quantique). Avec les approches standard (basées sur ce qu’on appelle les projections), la tomographie complète requiert un grand nombre de mesures, nombre qui augmente en flèche avec la complexité (dimensionnalité) du système. Des expériences menées par le groupe de recherche avec cette approche ont montré que la caractérisation ou la mesure de l’état quantique à haute dimension de deux photons intriqués peut prendre des heures, voire des jours. De plus, la qualité des résultats est très sensible au bruit et dépend de la complexité du dispositif expérimental.

On pourrait dire que l’approche de mesure par projections s’apparente à regarder les ombres projetées de différentes directions sur les murs par un objet à haute dimension. Tout ce que l’on voit, ce sont les ombres; de là, on peut déduire la forme (l’état) de l’ensemble de l’objet. Par exemple, en tomodensitométrie (tomographie commandée par ordinateur), on peut reconstruire un objet 3D à partir d’un ensemble d’images 2D.

Il existe toutefois en optique classique un autre moyen de reconstruire un objet 3D : l’holographie numérique, qui consiste à enregistrer une seule image, l’interférogramme, produit de l’interférence entre la lumière diffusée par l’objet et un faisceau de référence.

Photo (de gauche à droite): Dr Alessio D'Errico, Dr Ebrahim Karimi et Nazanin Dehghan
Photo (de gauche à droite): Dr Alessio D'Errico, Dr Ebrahim Karimi et Nazanin Dehghan

L’équipe, menée par Ebrahim Karimi, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les ondes quantiques structurées, codirecteur de l’Institut Nexus de technologies quantiques (NEXTQ) de l’Université d’Ottawa et professeur agrégé à la Faculté des sciences, a appliqué ce concept à deux photons. Pour reconstruire l’état d’un biphoton, il faut le superposer à un état quantique que l’on présume bien connaître, puis analyser la distribution spatiale des points où deux photons arrivent en même temps. C’est ce qu’on appelle l’imagerie par coïncidence. Ces photons peuvent provenir du faisceau de référence ou de la source inconnue – les lois de la mécanique quantique dictent qu’il est impossible de déterminer leur source. Le patron d’interférence ainsi obtenu permet de reconstruire la fonction d’onde inconnue. L’expérience a été rendue possible par une caméra de pointe qui enregistre les événements à une résolution d’une nanoseconde (un milliardième de seconde) pour chaque pixel.

Alessio D’Errico, chercheur boursier de niveau postdoctoral à l’Université d’Ottawa et coauteur de l’article, vante les avantages considérables de cette approche novatrice : « Cette méthode est exponentiellement plus rapide que les anciennes techniques; on passe de quelques jours à quelques minutes ou secondes. Et plus important encore, la complexité du système n’augmente pas le temps de détection, ce qui résout un problème de longue date en tomographie par projections, celui de l’application à grande échelle. »

La portée de ces travaux va au-delà du milieu universitaire. Ils pourraient accélérer les progrès en technologies quantiques, par exemple en améliorant la caractérisation d’états quantiques et la communication quantique ainsi qu’en permettant le développement de nouvelles techniques d’imagerie quantique.

L’étude, intitulée Interferometric imaging of amplitude and phase of spatial biphoton states, a été publiée dans Nature Photonics le 14 août 2023.

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