Découvrez comment le professeur Graham et son équipe transforment la biomécanique et l’IA en solutions concrètes — lisez l’entrevue complète ci-dessous pour en apprendre davantage sur la recherche qui alimente cette collaboration novatrice.
- Pouvez-vous décrire brièvement la nature de vos recherches à Celestra?
Nos recherches visent à développer des méthodes permettant d’analyser objectivement la démarche des personnes atteintes de maladies neurologiques (comme la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson) dans leur milieu de vie au moyen d’une technologie portable. Ce faisant, nous cherchons à améliorer la capacité de suivi longitudinal de la progression de la maladie (c.-à-d. amélioration, maintien ou aggravation de l’état) et à comprendre comment les patientes et patients répondent aux interventions (p. ex. : exercices, appareils fonctionnels, traitements pharmacologiques, etc.).
Avec mon équipe de stagiaires de niveau postdoctoral (Matthew Mavor [chef d’équipe], Mohammadhossein Akhavanfar, Kristen Beange, Danilo Catelli et Victor Chan), à laquelle se sont joints un doctorant (Alexandre Mir-Orefice) et une candidate à la maîtrise (Emilie Kuepper), nous avons mis au point des algorithmes à base logique et à base d’IA à l’aide de données transmises par des semelles intelligentes (pression, accélération, virage) pour identifier les activités locomotrices (position debout, marche, pivot, montée et descente d’un escalier), les analyser comme le ferait un laboratoire de capture de mouvement et produire une cote intuitive de qualité des mouvements sur une échelle de 0 % à 100 %.
- Pourquoi ces recherches sont-elles importantes? À qui viennent-elles en aide?
Chez les personnes atteintes d’une maladie neurodégénérative, on estime que c’est la capacité de se mouvoir qui contribue le plus à la qualité de vie; c’est aussi un marqueur biologique fort de la progression de la maladie. En général, lors des rendez-vous annuels (ou semestriels) en clinique, on quantifie grossièrement la qualité de marche en mesurant la distance parcourue en un temps donné (p. ex., test de marche de six minutes) ou le temps nécessaire pour parcourir une distance donnée (p. ex., test de marche chronométrée de 25 pieds), en complétant l’évaluation par des observations visuelles et une prise de notes rigoureuse.
Bien que les résultats de ces tests soient fortement corrélés à la progression de la maladie, on ne peut les considérer comme significatifs qu’en présence d’un changement détectable entre les visites ou mesures de référence, ce qui indique qu’un changement irréversible de la qualité de marche s’est produit et doit être pris en charge.
De plus, les habitudes de marche recèlent une multitude d’informations invisibles à l’œil nu, comme le temps passé avec un ou deux pieds au sol, la longueur de la foulée, la variabilité et l’asymétrie, entre autres exemples. Ces informations objectives sous-jacentes, essentielles pour évaluer la progression de la maladie, peuvent être utilisées pour différencier les individus des populations témoins, même aux tout premiers stades de la maladie. Cela dit, jusqu’à tout récemment, la technologie requise pour effectuer ces mesures était largement confinée aux laboratoires spécialisés dans la capture de mouvement, comme ceux de l’Université d’Ottawa.
La solution mise au point par mon équipe transporte ce laboratoire dans les chaussures de la patiente ou du patient. Au lieu de mesurer la durée et la distance lors de visites cliniques annuelles (ou semestrielles) pour obtenir un portrait ponctuel et sommaire de la qualité de marche, on peut analyser la démarche de manière très précise à même l’environnement naturel d’une personne – et ce, plusieurs fois par semaine.
Les prestataires de soins des gens atteints de troubles neurologiques auront ainsi accès à une grande quantité d’échantillons de marche de qualité, distillés en une seule valeur afin de déceler rapidement des tendances et de prendre des décisions objectives pour le bien de la patiente ou du patient. Bien entendu, il existe des indicateurs sous-jacents pour ceux et celles qui souhaitent approfondir l’analyse.
Par ailleurs, cette technologie facilitera l’accès aux soins de santé pour tous les patients et patientes, mais surtout pour ceux et celles qui vivent dans des zones rurales dépourvues de laboratoire de capture de mouvement, et toutes ces personnes pourront utiliser les données qu’elles génèrent pour obtenir des soins.
- Comment cette collaboration entre Celestra et l’Université d’Ottawa a-t-elle vu le jour?
Il y a plusieurs années, j’ai reçu un courriel du PDG de Celestra, Bruce Ford, expliquant sa vision de l’entreprise et la solution qui en découle : un système non encombrant de surveillance de la démarche à domicile. Nous en avons discuté et, depuis, nous travaillons en étroite collaboration.
- Quels avantages de cette collaboration entre le milieu universitaire et le privé aimeriez-vous faire connaître à vos collègues de l’Université d’Ottawa?
Cette collaboration nous a offert une occasion en or de mettre à profit notre expertise en biomécanique, en capteurs portables et en apprentissage automatique pour résoudre un problème concret et aider les personnes atteintes de troubles neurologiques. Cette collaboration entre le milieu du savoir et le secteur privé s’est également ouverte sur d’excellentes occasions d’apprentissage pour les membres de l’équipe, qui participent activement aux demandes de brevet, aux décisions d’affaires et au développement de logiciels de qualité commerciale.
Quelle expérience inestimable, pour toute l’équipe, de pouvoir travailler aux côtés de spécialistes logiciels d’un tel calibre et de leaders du monde des affaires! De plus, le Canada propose une foule d’excellents programmes de financement pour ces partenariats, et nous avons la chance incroyable de pouvoir agrandir notre équipe et pousser nos recherches grâce au financement de Mitacs et du Centre d’innovation de l’Ontario.
- Où se dirige maintenant le projet? Comment peut-on en savoir plus à son sujet?
Nous avons réalisé des avancées notables, mais ce n’est encore qu’un début. Si nous pouvons maintenant mesurer avec justesse les indicateurs clés de la marche en ligne droite, de nombreuses autres activités locomotrices pourront nous apporter des informations inestimables sur la progression de la maladie. En ce moment, l’équipe s’emploie à analyser objectivement les virages, l’équilibre debout, les sauts et la montée et descente d’un escalier.
Nous travaillons aussi sur les mesures de la fatigabilité en tant que marqueur de la progression de la maladie et sur l’identification des habitudes de marche stéréotypées, qui peuvent aider les prestataires de soins à localiser les lésions cérébrales. Nous procédons actuellement à plusieurs essais cliniques dans quatre pays (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne) auprès d’une bonne centaine de personnes utilisant activement notre solution, et d’autres essais sont prévus. Pour diffuser nos résultats, nous rédigeons plusieurs articles de recherche.
Notre rapport initial de validation a été publié sous forme de prépublication en attendant que le processus d’évaluation par les pairs soit terminé. Il est également possible d’en savoir plus en consultant le site Web de Celestra.
En passant directement du laboratoire à la maison, ce projet nous rappelle tout ce qu’on peut accomplir quand science, technologie et collaboration font partie de l’équation. Avec chaque point de données recueilli à partir de la démarche des patientes et patients, on se rapproche d’interventions plus hâtives pour améliorer le sort des malades et, ultimement, rendre les soins de santé plus accessibles à long terme.

« Cette collaboration entre le milieu du savoir et le secteur privé s’est ouverte sur d’excellentes occasions d’apprentissage... [Nos étudiantes et étudiants] participent activement aux demandes de... »
Professeur agrégé, Faculté des sciences de la santé