Des scientifiques établissent un lien entre le mammouth laineux et la colonisation des Amériques

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Par Bernard Rizk

Media Relations Officer, University of Ottawa

illustration de Mammouth, Œuvre de Julius Csotonyi représentant un groupe de personnes qui observent des mammouths à partir des dunes au nord du site archéologique Swan Point
Œuvre de Julius Csotonyi représentant un groupe de personnes qui observent des mammouths à partir des dunes au nord du site archéologique Swan Point
Un professeur de l’Université d’Ottawa et son équipe font un bond de 14 000 ans en arrière pour montrer les liens entre les mammouths et les premières communautés de chasseurs-cueilleurs.

Imaginez-vous remonter à l’ère des mammouths laineux, il y a environ 14 000 ans. C’est ce qu’a fait une équipe composée de chercheuses et chercheurs internationaux de l’Université d’Ottawa, de l’Université d’Alaska à Fairbanks, de l’Université McMaster et de l’Université Adelphi, ainsi que d’universitaires autochtones. Grâce à un nouveau profil isotopique innovant à haute résolution (une sorte de paléo-GPS), ces scientifiques ont pu établir des liens entre les déplacements d’un mammouth laineux et les premiers établissements humains connus dans les larges étendues de l’est de la Béringie (le territoire entre la rivière Léna en Russie et le fleuve Mackenzie au Canada).

Cette étude, publiée dans la revue Science Advancesfait la lumière sur les relations entre les mammouths et les premières communautés de chasseurs-cueilleurs de la région. Par une analyse détaillée des restes et des liens génétiques du mammouth, l’équipe de recherche a pu reconstituer la vie et les mouvements de cette fameuse espèce, et ainsi apporter des preuves de sa cohabitation avec les humains et le rôle potentiel qu’elle a joué dans le peuplement des Amériques.

L’étude porte sur Élmayuujey’eh (Elma), une femelle mammouth laineuse nommée par le conseil du village d’Healy Lake (Alaska) dont les restes ont été découverts à Swan Point, le plus vieux site archéologique en Alaska. Près de l’animal se trouvaient également des restes d’un jeune et d’un bébé mammouths, indiquant la présence d’un troupeau dans la région. Cette découverte a intrigué les scientifiques et a suscité des recherches sur les mouvements et les interactions entre les mammouths et les premiers humains. 

Clément Bataille (professeur agrégé, Département des sciences de la Terre et de l’environnement, Faculté des sciences, Université d’Ottawa), l’autrice principale et doctorante Audrey Rowe (Université d’Alaska à Fairbanks) et le coauteur Matthew Wooller (Université d’Alaska à Fairbanks) ont mené une analyse isotopique approfondie des défenses complètes d’Élmayuujey’eh. Ainsi, ils ont pu retracer les déplacements du mammouth au cours de sa vie. 

« Elma s’est beaucoup promenée dans les régions les plus denses des sites archéologiques de l’Alaska, affirme Audrey Rowe. Cela porte à croire qu’il y avait une certaine proximité entre les mammouths et les campements des premiers humains. »

Pendant ce temps, Hendrik Poinar et son équipe à l’Université McMaster ont mené des analyses génétiques des restes de huit autres mammouths trouvés dans la région. Ils ont déterminé que la région de Swan Point avait probablement servi de point de rencontre pour au moins deux troupeaux très apparentés. Cette conclusion porte à croire que les mammouths avaient des structures sociales et adoptaient des comportements grégaires. 

Professor Cléments Bataille
FACULTÉ DES SCIENCES + ÉTUDE

« Le nouvel outil créé pour cette étude facilitera la préservation de la biodiversité en présentant une analogie avec les temps modernes. »

Professeur Clément Bataille

— Professeur agrégé, Département des sciences de la Terre et de l’environnement, Faculté des sciences

Résoudre le mystère de la cohabitation humain-mammouth

« Cette recherche donne de nouveaux renseignements sur les interactions entre mammouths et humains à l’arrivée de ces derniers en Amérique, déclare Clément Bataille. Il semble que les mammouths, qui abondaient dans l’est de la Béringie et constituaient une importante source de nourriture, ont attiré les humains dans cette partie du monde. » 

Ce n’est pas la première fois que la technique de géolocalisation est utilisée pour retracer les déplacements d’un mammouth. L’équipe l’a créée dans le cadre d’une étude portant sur un mâle de 17 000 ans appelé Kik, qui vivait à une époque plus froide, avant l’arrivée des humains, contrairement à Elma.

Chose curieuse, les patrons de déplacement de Kik et d’Elma étaient fort différents. Kik se déplaçait librement sur de longues distances; il parcourait de grandes vallées et la toundra, et passait régulièrement par des zones centrales. De son côté, Elma passait par les mêmes régions, mais se déplaçait sur de plus courtes distances et à haute altitude. Donc, la question se pose : quel rôle ont eu les humains et les changements climatiques dans l’influence des déplacements de cette espèce ancienne? 

La technique de profilage isotopique à haute résolution peut être utilisée pour révéler l’écologie de bien d’autres espèces disparues. Utilisée de concert avec les analyses génétiques, elle représente une façon innovante d’en savoir plus sur la réaction des espèces ancestrales aux pressions causées par les changements climatiques et les humains, et ultimement, sur ce qui a causé leur disparition. 

En faisant la lumière sur l’écologie et le mode de vie des mammouths ainsi que sur leurs liens à long terme avec les changements climatiques et les humains, l’étude nous permet de prévoir la réaction des animaux aux pressions futures exercées par le climat et les populations humaines. « Le nouvel outil créé pour cette étude, combiné aux connaissances sur l’écologie d’espèces disparues, facilitera la préservation de la biodiversité en présentant une analogie avec les temps modernes, où de nombreux grands mammifères sont en voie de disparition à cause des humains et des perturbations climatiques », explique Clément Bataille.

Cette étude a été financée en partie par le Programme de subventions à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et a été publiée dans Science Advances  le 17 janvier.