L'intérêt supérieur de l'enfant : Un critère différent en matière de vaccination contre la COVID-19? | par Sonia Lemay-Naït

Depuis mai 2021, le gouvernement du Québec a autorisé la vaccination contre le COVID-19 pour les enfants de 12 à 17 ans. Suivent en novembre les enfants de 5 à 11 ans, puis les enfants de 6 mois et plus.

La vaccination est considérée par la loi comme un soin requis par l'état de santé d'un mineur (Lessard, 2021). En cette matière, le Code civil du Québec prévoit deux régimes, selon l'âge de l'enfant. Les enfants de plus de 14 ans peuvent consentir seuls à recevoir le vaccin contre la COVID-19 (article 14 alinéa 2 du Code civil du Québec). En ce qui concerne les enfants de 13 ans et moins, le titulaire de l'autorité parentale peut prendre cette décision (article 14 alinéa 1 du Code civil du Québec). La vaccination étant un traitement médical, il s'agit d'une décision importante qui requiert le consentement des deux parents, sauf exception (Roy, 2022). Dans ce cas, que se passe-t-il lorsqu'un parent souhaite faire vacciner son enfant, mais que l'autre s'y oppose catégoriquement ? À ce jour, les tribunaux ont toujours autorisé la vaccination contre la COVID-19 pour le parent requérant (Lessard, 2021). Il est toutefois pertinent de s'interroger sur les critères utilisés par les juges justifiant ce taux d'acceptation exceptionnel.

De manière générale, lorsque les tribunaux sont saisis d'une demande de soins requis par l'état de santé d'un enfant, le critère principal est toujours de prendre la décision qui est dans le meilleur intérêt de l'enfant (art. 33, 196 et 604 du Code civil du Québec). Pour ce faire, le juge pourra tenir compte d'une multitude de facteurs, dont les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l'enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial, ainsi que d'autres aspects de sa situation. De plus, le tribunal pourra tenir compte de l'opinion de l'enfant selon son âge et son degré de maturité, bien que le tribunal ne soit pas lié par l'opinion de l'enfant (A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009). On constate donc que l'intérêt supérieur de l'enfant est un critère subjectif qui s'analyse en fonction de la situation particulière de chaque enfant. Il est donc douteux que, selon ce critère, les tribunaux québécois aient toujours accordé la vaccination contre la COVID-19.

Dans plusieurs décisions, les tribunaux se sont largement appuyés sur le fait que la vaccination contre la COVID-19 était recommandée par les autorités gouvernementales (Roy, 2022). Dans une affaire bien détaillée, la Cour pèse le pour et le contre de la vaccination. Les avantages sont que les taux d'hospitalisation restent faibles et qu'il existe une faible possibilité de séquelles à long terme de l'infection au virus. Un facteur important retenu est que les enfants subissent les dommages collatéraux de la pandémie. Ils peuvent subir des perturbations scolaires, un isolement social et un accès réduit aux ressources scolaires et parascolaires, ce qui peut avoir un impact profond sur le bien-être physique et mental des enfants et de leurs familles. À l’opposé, le tribunal a estimé que l'inconvénient de la vaccination était le faible risque de myocardite. Le juge énonce également que l'enfant a un rôle à jouer afin de bénéficier d'un niveau de vie adéquat, c'est-à-dire qu'en se faisant vacciner, il contribuera à réduire la propagation et aidera à renverser les mesures sanitaires et l'interdiction de contact (Droit de la famille—22134, 2022). Cette dernière solution me semble être dans l'intérêt de la collectivité plutôt que dans celui de l'enfant.

En somme, puisque toutes les décisions rendues en cette matière s'appuient fortement sur les recommandations des autorités sanitaires pour accorder la vaccination, certains auteurs voient une présomption que la vaccination est dans le meilleur intérêt de l'enfant puisqu'elle est recommandée par les autorités sanitaires (Roy, 2022 ; Lessard, 2021). Pour contredire cette présomption, le parent contre la vaccination devra prouver que l'enfant a une contre-indication médicale spécifique telle qu'un problème de santé, une raison médicale particulière ou un problème d'obésité (Droit de la famille—22563, 2022). Les tribunaux rejetteront également les allégations de type conspirationnistes ou lorsque le parent prétend qu'il y a un manque d'études sur les effets de la vaccination (Droit de la famille—22563, 2022; Droit de la famille—211637, 2021).

Références

  • A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30 [2009] 2 RCS 181 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/24433>.
  • Droit de la famille—2229, 2022 QCCS 75 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jlsz1>.
  • Droit de la famille—22134, 2022 QCCS 299 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jm55q>.
  • Droit de la famille—22563, 2022 QCCS 1252 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jnp5z>.
  • Droit de la famille—211637, 2021 QCCS 3582 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jhvzz>.
  • Droit de la famille—212035, 2021 QCCS 4484 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jk0kc>.
  • Droit de la famille—212222, 2021 QCCS 4862 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jks7m>.
  • Droit de la famille—212431, 2021 QCCS 5343 (CanLII), en ligne : <https://canlii.ca/t/jlkb8>.
  • Rousseau, C., Quach, C., Dubé, È., Vanier-Clément, A., Santavicca, T., & Monnais-Rousselots, L. (2022). Vaccination des enfants dans les quartiers marginalisés : Défis liés à l’équité et à la diversité dans le cadre des campagnes de vaccination contre la COVID-19. Relevé des maladies transmissibles au Canada, 48(10), 464‑467, en ligne : <https://doi.org/10.14745/ccdr.v48i10a01f>.
  • Roy, A. (2022). REVUE DE LA JURISPRUDENCE 2021 EN DROIT DE LA FAMILLE : Intérêt de l’enfant et autorité parentale entre crise sanitaire et déblocages législatifs. Revue du notariat, 123(2), 353‑379, en ligne : <https://doi.org/10.7202/1091719ar>.