Des scientifiques de la Faculté de médecine de l'Université d'Ottawa se penchent sur le mécanisme cellulaire qui alimente les cancers résistants aux médicaments

Par David McFadden

Rédacteur scientifique, Université d'Ottawa

Cancer treatment
Un laboratoire de la Faculté de médecine dévoile de nouvelles données prometteuses sur la résistance aux traitements anticancéreux, ouvrant peut-être la voie à l'amélioration de l'efficacité de la radiothérapie et de la chimiothérapie chez les patients atteints de cancer.

Les mécanismes de résistance que développent les cancers pour échapper aux traitements qui auraient pourtant dû les détruire constituent un mystère qu’il est plus qu’urgent de résoudre, car la résistance aux traitements contribue à 90 % des décès liés au cancer. L’une des principales missions de la recherche médicale du 21e siècle est donc de vaincre cette résistance.

Aujourd’hui, de nouvelles recherches de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa pourraient inspirer des approches thérapeutiques ciblant les cellules porteuses d’ADN endommagé afin de bloquer les mécanismes de résistance.

Le professeur Damien D’Amours et l’étudiante de cycle supérieur Laurence Langlois-Lemay ont découvert comment les cellules à l’ADN endommagé arrivent à contourner les points de contrôle du cycle cellulaire qui les empêcheraient normalement de se diviser vu les dommages qu’elles portent. L’étude a été publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), l’une des revues scientifiques les plus citées au monde.

Il s’agit d’une découverte franchement fascinante, car ces cellules anormales se multiplient comme si elles étaient saines, et les mutations de l’ADN se cumulent alors rapidement, un peu comme ce qu’on observe dans les tumeurs résistantes aux traitements.

D'Amours 2

« Nos découvertes génèrent des connaissances cruciales sur la manière dont les cellules cancéreuses résistent aux traitements cliniques de RT/CT qui causent des dommages à l’ADN. »

Le Dr Damien D'Amours

Le professeur D’Amours, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la dynamique de la chromatique et l’architecture du génome, affirme que la principale découverte de l’étude est très pertinente pour le traitement du cancer, puisqu’un grand nombre d’agents chimiothérapeutiques fonctionnent en ciblant et en endommageant l’ADN de la tumeur.

« Bien que notre étude appartienne aux sciences fondamentales, nos découvertes génèrent des connaissances cruciales sur la manière dont les cellules cancéreuses résistent aux traitements cliniques de radiothérapie et de chimiothérapie qui causent des dommages à l’ADN », déclare le professeur D’Amours, dont l’équipe étudie les mécanismes qui régulent la division cellulaire et la stabilité du génome chez les eucaryotes, une extraordinaire famille d’organismes (dont font partie les êtres humains) qui descendent d’un ancêtre commun ayant vécu il y a environ deux milliards d’années.

Dommages à l'ADN et prolifération cellulaire

Les nouvelles découvertes du laboratoire du professeur D’Amours permettent de mieux comprendre les centrosomes, de minuscules organites présents à l’intérieur des cellules et chargés de diverses fonctions essentielles, dont la division des chromosomes.

L’étude a révélé que les centrosomes jouent en fait un rôle clé et inattendu en tant que centres de signalisation qui aident les cellules à décider si elles peuvent proliférer en présence de lésions de l’ADN impossibles à réparer.

/Langlois Lemay

« En tant que directeur de thèse, je trouve qu’il s’agit d’une véritable réussite pour Laurence et pour l’Université d’Ottawa. »

Le Dr D'Amours, se référant au premier auteur Laurence Langlois-Lemay (photo)

La recherche montre également que les médicaments qui inhibent la kinase de type Polo 1 (PLK1), une enzyme importante dans la régulation du cycle cellulaire, sont prometteurs pour prévenir l’adaptation aux dommages de l’ADN induits par le traitement, ainsi que la résistance aux traitements oncologiques.

Le professeur D’Amours explique que le recrutement de l’enzyme PLK aux centrosomes est une étape essentielle de l’adaptation aux dommages graves de l’ADN, un processus qui peut conduire à la prolifération, chez les personnes atteintes de cancer, de cellules anormales dont l’ADN est endommagé.

« La prolifération cellulaire en présence de lésions d’ADN est sans doute le moyen le plus efficace de provoquer des cancers chez l’humain. L’accélération du recrutement de PLK1 aux centrosomes devrait donc favoriser l’adaptation aux lésions de l’ADN, entraînant une prolifération des cellules anormales de même que des effets pro-oncogènes chez les patientes et patients », ajoute-t-il.

Des découvertes durement acquises

Les découvertes réalisées grâce à cette étude ambitieuse ont nécessité des années de travail scientifique à la fois créatif et méthodique.

Tout a commencé en 2017 lorsque le professeur D’Amours a été recruté par l’Université d’Ottawa pour déchiffrer les voies moléculaires qui maintiennent l’intégrité du génome dans les cellules vivantes. Cette même année, son laboratoire a été transféré de l’Université de Montréal à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.

Il explique que Laurence Langlois-Lemay, alors étudiante de maîtrise dans son laboratoire, a utilisé une « approche de biologie systémique » pour modéliser la réaction d’adaptation des levures à bourgeon, un organisme modèle au génome bien connu, utilisé par les scientifiques pour étudier un large éventail de processus biologiques et provoquer des modifications génétiques complexes impossibles à reproduire dans les cellules humaines.

Grâce aux installations technologiques de pointe de l’Institut de biologie des systèmes d’Ottawa, elle a découvert qu’une composante du centrosome, conservée au fil de l’évolution, était nécessaire pour que la protéine PLK de la levure s’associe aux centrosomes et permette la réaction d’adaptation aux lésions de l’ADN. Elle a entamé un programme de doctorat pour explorer ces questions et travaillé sur l’étude publiée dans la revue PNAS en tant que membre du laboratoire du professeur D’Amours. Elle soutiendra sa thèse cet été.

« En tant que directeur de thèse, je trouve qu’il s’agit d’une véritable réussite pour Laurence et pour l’Université d’Ottawa », déclare Damien D’Amours, professeur au Département de médecine cellulaire et moléculaire de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.

Valider les résultats et faire progresser les connaissances

Grâce à ces découvertes sur les mécanismes qui sous-tendent l’adaptation cellulaire aux lésions de l’ADN, les scientifiques pourraient, à terme, concevoir des stratégies novatrices pour mieux comprendre la résistance et faciliter le transfert de connaissances du laboratoire à la clinique.

C’est précisément sur ce type d’approche que le professeur D’Amours et son équipe se pencheront ensuite.

Il ajoute que la prochaine étape sera de mettre ces découvertes à l’épreuve en contexte clinique, tout particulièrement en validant la suppression de l’adaptation aux lésions d’ADN grâce à l’inhibition chimique de la protéine PLK1 chez l’humain, ce qui permettra ensuite d’accroître l’efficacité de la radio et de la chimiothérapie.

L’étude a bénéficié d’une subvention de la Fondation des IRSC. Elle aurait été impossible à réaliser sans l’accès aux installations technologiques de pointe de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa et de l’Institut de biologie des systèmes d’Ottawa. Le comité de thèse de Laurence Langlois-Lemay a également formulé des commentaires précieux, selon le professeur D’Amours.