La haine envers les journalistes sur Twitter

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Un téléphone, dans une main
La twittosphère est l’espace par excellence pour diffuser et commenter des informations. Pour les journalistes, c’est un forum d’échange idéal… à condition d’avoir les reins assez solides pour supporter les innombrables messages haineux.  

Nous nous sommes entretenus à ce sujet avec Elizabeth Dubois, titulaire de la Chaire de recherche de l’Université en politiques, communications et technologies, membre du Centre de recherche en droit, technologie et société, et professeure au Département de communication de la Faculté des arts.  

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier le phénomène de la haine envers les journalistes sur Twitter? 

La négativité prédomine sur le web. Tout ce qu’on savait au début de mon projet, c’est que les journalistes sont les cibles de propos haineux en ligne. Ce qu’on ne savait pas, c’est comment les journalistes faisaient face à ces situations. Je voulais savoir quelle était leur réaction à ces attaques, et s’il y avait des personnes ou des groupes particulièrement ciblés.   

De quelle façon recueillez-vous les données sur un sujet aussi sensible? 

La combinaison de l’analyse manuelle du contenu et d’entretiens auprès de journalistes nous a permis de recueillir un riche ensemble de données qualitatives et de produire une synthèse approfondie. Pour l’analyse manuelle, nous avons récolté un échantillon de gazouillis mentionnant des noms de journalistes et les avons classés selon le type de commentaire : positif, neutre, plutôt négatif ou très négatif.  

Nous avons ensuite associé ces données qualitatives à celles obtenues par une méthode automatisée, à partir d’un modèle d’apprentissage machine que nous avons conçu pour analyser des gazouillis mentionnant des noms de journalistes. Puisque la lecture répétée de messages de haine et de harcèlement peut être très difficile à supporter et miner la santé mentale, nous utilisons l’apprentissage machine pour accélérer l’analyse et préserver l’équipe de recherche de cette charge émotionnelle.  

Quelles sont vos constatations à l’issue de la recherche? 

Nous avons principalement étudié des gazouillis publiés dans le cadre des élections fédérales de 2019, en plus de mener des entrevues auprès de journalistes, afin d’élargir notre vision du problème et d’inscrire notre recherche dans une conversation générale. 

Nous avons constaté que les grands médias offrent un meilleur soutien à leurs journalistes, en leur permettant de déléguer la gestion des gazouillis à une équipe spécialiste des TI ou des médias sociaux ou de passer moins de temps en ligne pour faire leur travail. Les fonctions de blocage ou de sourdine sont très utiles pour ignorer les messages de haine et de harcèlement. C’est une autre histoire pour les journalistes en début de carrière ou pigistes, qui ne bénéficient pas de telles ressources et dépendent dans une large mesure des interactions en ligne pour faire leur travail.  

Comment survivre à la haine en ligne et garder une passion pour le journalisme? 

Lors de l’événement en ligne intitulé Journalists Facing Mean Tweets: What It Means for Our Democracy, j’ai interviewé Rosemary Barton, Fatima Syed et Mark Blackburn. Je leur ai demandé : qu’est-ce qui vous pousse à continuer? Comment trouvez-vous la motivation au fond de vous? Les trois m’ont répondu que c’était le désir de produire un journalisme de qualité. Malgré l’aspect négatif qui entoure la profession, le journalisme de qualité conserve une influence importante dans nos démocraties, et joue un rôle essentiel pour des groupes bien particuliers. Le fait de savoir que leur travail contribue à changer les choses est une grande source de motivation pour les journalistes. Par ailleurs, il existe des solutions techniques. Les fonctions de blocage et de sourdine dans Twitter et les mesures de soutien de l’employeur sont essentielles, tout comme la capacité de discerner les messages préoccupants de ceux qu’il faut simplement ignorer.  

Et maintenant? 

Je suis impatiente d’amorcer la prochaine étape du projet, qui consistera à étudier les messages positifs adressés aux journalistes, ainsi que les raisons et les circonstances de leur envoi. On a observé plusieurs cas où des membres du public, prenant conscience des attaques insistantes dirigées envers une ou un journaliste, lui envoyaient des messages de soutien soulignant la grande qualité de son travail.  

Si les travaux de la professeure Dubois vous intéressent, écoutez son balado Wonks and War Rooms (en anglais).